Accueil


ENFER n. m. (du latin inferi, lieu bas)

L'enfer est le lieu destiné aux supplices des damnés de Dieu. Nul n'ignore qu'en son infinie sagesse Dieu, maître suprême, a prévu, pour après la mort et le jugement dernier des hommes, la récompense pour les bons et le châtiment pour les méchants.

Dans sa remarquable étude sur l'Imposture Religieuse, Sébastien Faure nous dit que « l'Enfer est la négation de l'infinie Bonté » et il ajoute : « Je soutiens que l'existence de l'Enfer nie l'existence de Dieu, parce qu'elle proteste contre l'infinie Bonté » et il termine en ces termes : « Ou bien il n'y a pas d'Enfer, ou bien Dieu n'est pas infiniment bon ». Logique raisonnement que tout cela, répondra l'Eglise, et l'on sait que l'Eglise ne s'embarrasse pas de logique et de raison. Elle affirme, c'est bien plus simple ; les naïfs n'ont qu'à croire.

Certains « philosophes » placent l'enfer au centre de la terre ; d'autres dans le soleil ; d'autres prétendent qu'il n'y a pas d'enfer. Plaçons-le dans l'imagination de l'homme, nous serons, je pense, dans la vérité.

Pourquoi, diront certains, s'arrêter à de telles niaiseries, et perdre son temps à dénoncer un « Enfer » qui n'effraie plus que les enfants en bas âge, et ne sert de thème qu'à des conteurs fantastiques? Il serait à souhaiter qu'en notre siècle de science l'influence de l'Enfer soit nulle. La réalité est, hélas, tout autre, et l'enfer exerce toujours ses ravages sur les classes ignorantes.

Il est évident qu'à mesure que l'individu évolue cérébralement, que ses connaissances s'étendent, que son intelligence se développe, l'idée de l'enfer s'estompe, se localise, se cache dans un coin de son cerveau, mais elle a tellement pénétré l'esprit humain que nous voyons cette idée réapparaître, sitôt que l'individu est menacé par un danger mortel.

La peur de la mort n'est-elle pas, en réalité, la peur de l'Enfer? Même pour celui qui s'affirme « libre penseur », la crainte du néant n'est, en vérité, qu'une peur incomprise et inexpliquée de l'Enfer. Chez le croyant qui fait appel, lorsqu'il arrive au terme de la vie, au concours du prêtre, et réclame de lui l'absolution de ses péchés, c'est l'espérance du ciel qui le fait agir et l'on conçoit encore la terreur qui l'anime. Il croit, lui, ouvertement, franchement, à l'existence d'un lieu de supplices où il aura à payer durant une éternité ses erreurs terrestres. Il cherche à échapper aux tourments infernaux qui le menacent. Mais, comment expliquer la peur de la mort, l'épouvante qui s'empare de celui qui se dit incroyant? Eh bien, c'est toute l'hérédité, c'est toute l'éducation faussée qui revient à la surface, c'est l'incertitude du Néant, et cette incertitude, c'est l'Enfer.

Que de cerveaux puissants ont sombré face à cette inquiétude subite qui les tenaillait à l'approche de la mort! Et comment s'en étonner, quand on sait l'histoire des religions, de quelle façon elles ont travaillé l'esprit des hommes à travers les âges, et les traces profondes qu'elles y ont laissées ?

« L'Enfer, c'est l'horrible vision qu'on évoque devant les enfants, les vieillards et les esprits craintifs à qui, pour les épouvanter, les terroriser et les mieux assouplir aux volontés du Clergé, on décrit, avec un luxe de détails incomparables, les horribles tourments auxquels sont condamnés les réprouvés, sans qu'ils puissent seulement conserver l'espoir que leurs tortures auront une fin ; c'est le spectre qu'on installe au chevet des agonisants, à l'heure où l'approche de la mort leur enlève toute lucidité et toute résistance » (Sébastien Faure, L'Imposture Religieuse, p. 80).

L'Enfer est une invention sublime de l'Eglise et toutes les religions - bien avant la religion chrétienne - s'en sont servi pour asservir les hommes ; cependant, il faut rendre à César ce qui appartient à César, et reconnaître que c'est à l'Eglise chrétienne que revient «  l'honneur » d'avoir décrit, par la plume de ses théologiens, tous les raffinements des supplices exercés dans le lieu maudit, créé par Dieu pour punir les infidèles.

Pourtant, quelles que soient l'épouvante et la terreur exercées par l'Enfer, même à l'origine de la Chrétienté, les infidèles, en leur naïveté, estimaient qu'une éternité de douleur, c'était payer bien cher quelques péchés terrestres. Le dogme de l'Enfer eut pu en souffrir et les représentants de « Dieu » sur la terre comprirent qu'il serait utile, dans l'intérêt même de la religion et de l'Eglise, d'ouvrir aux pécheurs une porte de salut. C'est environ vers le troisième siècle que le purgatoire vint se placer entre le Ciel et l'Enfer. Le purgatoire est l'antichambre du Ciel et les âmes des pécheurs peuvent se purifier en ce lieu si elles ne sont pas complètement damnées. Est-il besoin d'ajouter que le Purgatoire fut une source de richesses pour l'Eglise et pour le Clergé, ce dernier enseignant que les offrandes pouvaient libérer les âmes qui souffraient en attendant d'être admises au Ciel parmi celles des bienheureux?

Et dire que sur de telles fantaisies se sont bâtis des mondes! C'est que tout est humain dans la Société et que les fondateurs de religions sont des hommes. Ce n'est pas Dieu qui a « créé » l'homme à son image ; c'est l'homme qui a « créé » Dieu à son image, et comme l'homme s'offense, il a imaginé que Dieu pouvait également être offensé. La loi humaine prétend que toute « peine » mérite « châtiment ». Le châtiment est une défense, affirme le moraliste. L'Enfer est un châtiment. Dieu a-t-il donc besoin de se défendre? « C'est se faire de Dieu une étrange idée, dit J. M. Guyau, que de se figurer qu'il pourrait ainsi lutter matériellement avec les coupables sans perdre de sa majesté et de sa sainteté. Du moment où la « loi morale » personnifiée entreprend ainsi une lutte physique avec les coupables, elle perd précisément son caractère de loi ; elle s'abaisse jusqu'à eux, elle déchoit un Dieu ne peut pas lutter avec un homme ; il s'expose à être terrassé comme l'ange par Jacob. Ou Dieu, cette loi vivante, est la toute puissance, et alors nous ne pouvons pas, véritablement, l'offenser, mais il ne doit pas nous punir ; ou nous pouvons réellement l'offenser, mais alors nous pouvons quelque chose sur lui, il n'est pas la toute puissance, - il n'est pas l' « absolu », il n'est pas Dieu » (J. M. Guyau, Esquisse d'une Morale sans obligations ni sanctions, p. 228).

« Les malheureux ne doivent-ils pas être, en tant que tels, sinon sous les autres rapports, les préférés de la bonté infinie? » demande également Guyau. Mais non, les malheureux sont justement malheureux parce qu'ils ont cru et qu'ils croient encore en la bonté divine. A vouloir le royaume des cieux, ils gagnent l'Enfer ; l'enfer durant leur vie ; l'enfer après la mort ; les deux se tiennent.

Qu'a-t-il donc à craindre de plus terrible que son passage sur la terre, le pauvre bougre, le paria, le miséreux? La terre n'est-elle pas pour lui une vallée de larmes et la cruauté du Dieu céleste peut-elle être plus épouvantable que celle des dieux terrestres? « Dante n'avait rien vu » nous dit un écrivain bourgeois, Albert Londres, en décrivant les supplices endurés par les loques humaines victimes de la brutalité des chefs militaires, dans les bagnes d'Afrique.

Et c'est partout où se portent les regards, que l'Enfer nous apparaît sur cette boule ronde. L'Enfer, c'est l'usine, où le maître domine, où le travail est un esclavage qui ne nourrit pas celui qui l'accomplit ; l'enfer, c'est la caserne où l'individu ne devient qu'un numéro ; l'enfer, c'est la prison, c'est le bagne, où, pour s'être mis en marge de la loi injuste, des hommes sont enfermés durant des années et des années ; l'enfer, c'est la guerre, qui détruit toute une jeunesse virile, qui incendie villes et villages, et qui laisse derrière elle une population de veuves, d'orphelins et de criminels ; l'enfer, c'est la Société viciée, corrompue, pourrie, présidée par une poignée de parasites malfaisants : juges, ministres, députés, avocats, commerçants, financiers, industriels, prêtres et diplomates, qui vivent de la misère d'autrui et spéculent sur l'ignorance, qui est la faiblesse du peuple. Cet enfer-là, il n'est pas imaginaire. Il n'a pas germé en l'esprit d'hommes ivres d'autorité ; il est réel, palpable, matériel ; on le voit, on le touche, on le subit et on en souffre.

C'est cet enfer-là qu'il faut détruire, car il est une insulte à l'humanité et à la civilisation. Il charrie dans ses ruisseaux de boue et de sang les corps de millions et de millions d'asservis et d'exploités, qui ne sont considérés que comme une marchandise que l'on achète et que l'on vend, que l'on oppresse et que l'on tue.

Eteignons donc, par notre action, par notre lutte, par notre volonté, le feu de cet enfer. Sachons lever la tête et réduire la puissance d'un capitalisme qui est la cause primordiale de toutes les souffrances, de toutes les douleurs, de toutes les misères et de tous les supplices et, lorsque la terre sera un paradis construit par les hommes, sans craindre la mort, sans craindre l'enfer, les vieillards :

S'éteindront, béats, sous le ciel mystère,

Ayant bien vécu, loin de ses hauteurs.