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ENTOMOLOGIE n. f. (du grec entamon, insecte et logos, discours)

Partie de la zoologie qui traite des animaux articulés et spécialement des insectes. C'est Linné le premier qui, fondateur de l'entomologie, décrivit les genres et les espèces, et établit les divisions. L'entomologie a peu à peu progressé et son étude s'est développée à mesure que se précisaient les sciences agricoles d'abord (études des insectes nuisibles, dit ravageurs) et ensuite, en même temps que se perfectionnait l'exploitation de certains insectes (abeilles, vers à soie, etc...). Une chaire d'entomologie, un laboratoire d'études existent à Paris, au Muséum d'Histoire naturelle. D'autre part, l'étude des moyens propres à lutter efficacement contre les ravageurs a conduit à l'installation de laboratoires spéciaux (stations entomologiques). Parmi les savants qui, depuis Linné, se sont illustrés dans l'étude de l'insecte, citons : Fabricius, Lataille, Réaumur, de Geer, Lepelletier de Saint-Fargeau, Fourcroy, Léon Dufour, V. Audouin, Espinas, Newport, J. Perez, Blanchard, Passerini, Brullé, Hubes, Gledditsch, Bonnier, Emery, J. H. Fabre, Wheeler, Deegener, Forel, etc...

Nous sortirions du cadre de l'Encyclopédie en nous étendant trop largement sur l'entomologie. Cependant, nous croyons qu'il n'est pas inutile de souligner en passant ce que le savant professeur Bouvier a appelé : Le Communisme chez les Insectes, et les curieux rapprochements que l'on peut faire entre certaines sociétés d'insectes et les sociétés humaines. C'est, en effet, chez quelques insectes - et chez eux seulement - que l'on trouve, rigoureusement appliqué, un communisme parfait. Nulle part ailleurs (car nous ne pouvons pas considérer les organismes multicellulaires comme des sociétés) aussi bien chez l'animal que chez l'homme, nous ne pourrions trouver exemple aussi précis. Il est bien entendu que la comparaison à laquelle nous nous livrons ne peut être qu'artificielle et que nous n'entendons pas donner la ruche ou la fourmilière comme modèle de la société future. (On trouvera d'ailleurs plus loin notre conclusion). Néanmoins, ce simple exposé pourra donner cours à des réflexions profitables.

Le communisme entre individus ne se rencontre que dans quatre familles d'insectes : les guêpes, les abeilles, les fourmis et les termites. Ces sociétés communistes comprennent deux groupes : 1° les sociétés maternelles, où les femelles restent seules après avoir été fécondées par les mâles qui meurent peu après (guêpes, abeilles et fourmis) ; 2° les sociétés conjugales « où les deux sexes restent en association constante, la présence des mâles étant nécessaire pour assurer le renouvellement des jeunes fécondateurs » (termites).

Voyons comment se comportent entre eux les individus d'une même société communiste d'insectes et quel en est l'esprit.

Ce qui frappe tout d'abord lorsque l'on considère une société communiste d'insectes, c'est l'absence de « dirigeants ». Il existe bien parmi eux des individus que les naturalistes ont appelés « rois » ou « reines », mais ici, ce vocable sert simplement à désigner les individus dont la fonction sociale est la reproduction et qui n'ont aucune espèce de pouvoir sur leur entourage. Les insectes communistes ne vivent ni en monarchie ni en république mais, ainsi que l'observe Forel, l'activité sociale qui les caractérise « leur permet de vivre sans chefs, sans guides, sans police et sans lois, dans une anarchie admirablement coordonnée ».

Examinons, par quelques brefs aperçus sur la vie de ces insectes, le mécanisme de leur existence sociale. Nous verrons que les hommes y pourraient souvent puiser un enseignement d'activité utile et de labeur sans contrainte.

Voyons d'abord l'abeille et laissons-nous guider par le savant professeur Bouvier : « Sitôt sortie du berceau, la jeune ouvrière reçoit l'accueil de ses sœurs qui la soutiennent, la lèchent, la brossent et lui offrent des lampées de miel. La voici réconfortée, mais non propre aux voyages de récolte ; elle va s'occuper au logis où la besogne ne manque pas... On savait depuis longtemps que la jeune ouvrière se livre à des travaux d'intérieur successifs, qui varient avec l'âge. Dans une étude récente, Roesch a voulu fixer la succession de ces travaux. La jeune abeille se fait d'abord nettoyeuse des alvéoles ; elle va ensuite se reposer et dormir des heures sur les cellules closes, qu'elle contribue sans doute à couver ; à partir du troisième jour, elle puise aux réserves de miel et de pollen, moins pour elle-même que pour les larves âgées dont elle se fait nourrice ; au bout du sixième jour, ses glandes péricérébrales entrent en fonctions et sécrètent la gelée qu'elle distribue aux jeunes larves, modifiant ainsi son rôle de nourrice qu'elle remplit jusqu'au quinzième jour ; alors, moins craintive, elle se rend sur le tablier de la ruche et s'essaye à des vols d'orientation au voisinage du logis, faisant avec ses compagnes ce que les praticiens désignent sous le nom de « soleil d'artifice » ; d'ailleurs, elle rentre assez vite pour s'occuper à prendre la charge des butineuses et à tasser dans les alvéoles à provisions le pollen qu'elles rapportent ; un peu plus tard, elle remplit les fonctions de gardienne et se tient alors sur le tablier, chassant les ennemis de la ruche, repoussant les intruses, en éveil surtout contre les abeilles pillardes. Au vingtième jour, enfin, elle prend son rôle pour tout de bon et, devenue récoltante, peut s'éloigner jusqu'à cinq kilomètres comme ses sœurs butineuses... ».

Trouverait-on une société d'hommes aussi intelligemment policée, où le travail commun s'expédie sans heurt, sans chicane, en solidarité instinctive?

Mais baissons-nous encore sur la besogne des « cirières », jeunes abeilles qui travaillent à l'intérieur de la ruche. Huber nous les montre à l'œuvre dans une ruche artificielle : copieusement nourries de miel, puis de sirop sucré, elles grimpèrent aux baguettes dont a été formée la voûte, s'y cramponnèrent par les griffes de leurs pattes antérieures, pendant que d'autres s'accrochaient à leurs pattes de la dernière paire avec celles de la première. Elles composaient de la sorte des espèces de chaînes fixées par les deux bouts aux parois supérieures et servaient de pont ou d'échelles aux ouvrières qui venaient se joindre à leur rassemblement ; celui-ci formait une grappe dont les extrémités pendaient jusqu'au bas de la ruche. Les cirières demeurèrent immobiles près de quinze heures, sécrétant la cire qui se montrait en lames blanches sous leur abdomen. Alors, une abeille se détacha de la grappe, monta au centre sous la voûte et cueillit une de ses lames avec les pattes antérieures qui la maintinrent entre les mandibules. Celles-ci réduisirent la plaquette en fragments qu'elles, broyèrent avec de la salive, et la pâte ainsi produite fut fixée à la voûte en un petit bloc rectiligne. Ayant épuisé de la sorte ses huit lames, l'ouvrière rentra dans la grappe et céda la place à une de ses sœurs qui se comporta de même. Et ainsi de suite, le bloc prenant la forme d'une petite cloison verticale raboteuse...

Transposé sur le plan humain, combien un pareil travail comporterait-il de contremaîtres? Là, rien ; chaque individu, conscient de la tâche à accomplir, s'en acquitte allègrement sans contrainte d'aucune sorte.

Chez les fourmis, nous pourrions faire des constatations analogues. Mais là, plus nombreux encore sont les rapports qui apparentent l'insecte à l'homme. Aussi bien dans l'ordre des défauts que dans celui des qualités. Ne nourrissent-elles pas des commensaux qui font la loi chez elles, détruisent leur progéniture et les mènent à la ruine, cela parce que ces commensaux sécrètent une liqueur dont les fourmis sont friandes? Ce « symphylisme », ainsi qu'on l'appelle, devient alors une maladie sociale assez semblable à l'alcoolisme humain et qui conduit aux mêmes dégénérescences physiques et morales. Mais, par contre, les fourmis savent concurrencer l'homme sous des aspects plus intéressants. Il est en effet de véritables fourmis agricoles qui pratiquent la culture des champignons, et chez l'Atta texana (grande fourmi champignonniste du sud des Etats-Unis), Wheeler observe que « les plus petites ouvrières demeurent dans les jardins où elles nettoient soigneusement les pousses et empêchent la croissance de champignons étrangers qui pourraient être introduits par les récolteuses ; les ouvrières de moyenne taille coupent, transportent, triturent les feuilles et préparent le jardin ; tandis que les plus grandes, des soldats, font la garde du nid ». Chez certains termites on trouvera une culture analogue. Ces termites préparent des meules spongieuses étagées en chambres souterraines, faites, dit Bugnion, « de pâte de bois partiellement différée, émise du rectum des ouvriers sous forme de crotte brune, mais travaillée à nouveau par les pièces buccales et agglutinée au moyen de la salive ». Le mycélium, ajoute Bouvier « développe sur la meule une forêt de courtes tiges qui se dilatent en petites sphères appelées mycotêtes, ces mycotêtes développent à leur tour des sphérules et des buissons de conidies qui servent, comme les mycotêtes, à la nourriture des termites, surtout des jeunes larves ». Une autre industrie importante chez les fourmis est l'élevage des pucerons, lesquels pucerons constituent dans certaines ruches un véritable bétail donnant un miellat sucré dont les fourmis se régalent. Ces pucerons, les fourmis les soignent, les caressent, les changent de place comme un bétail précieux et accordent les mêmes soins à leurs œufs. Et ce n'est pas tout puisqu'il existe des fourmis filandières.

Nous n'avons pas la place d'étudier ici la vie des sociétés communistes d'insectes, leur genèse, leur évolution et le mécanisme de leurs groupements. Nous terminerons donc par quelques généralités, sans plus insister sur les ressemblances ou les différences qui existent entre sociétés humaines et sociétés d'insectes.

Wheeler est allé un peu loin en déclarant que « la société humaine et les sociétés d'insectes sont tellement semblables qu'il est difficile de trouver entre elles des différences biologiques fondamentales » (Social Life among the Insects, 1922). Car des différences - surtout psychiques mais biologiques aussi - existent qui ne permettent qu'un parallèle artificiel quoique séduisant. Forel a eu raison de dire : « toute l'histoire des peuples humains prouve à satiété notre incapacité absolue de vivre dans l'heureuse anarchie si bien coordonnée que représente un fourmilière ». Elle est en effet une réalisation exagérée du rousseauisme et M. Adrien Roubier (alias Léon Werth) a pu écrire (L'Impartial Français, 12 nov. 1926) : « Toujours est-il que si l'on peut proposer à l'homme l'imitation de l'altruisme social des insectes, des guêpes, abeilles, fourmis et termites, tout au moins il faudrait beaucoup d'ingéniosité pour croire que son intelligence consentît au renoncement personnel auquel atteignent les insectes par instinct, sans évangélisme, sans kantisme, sans marxisme. Aussi bien, le communisme des insectes n'est-il point évangélistique puisque les individus sont impitoyablement sacrifiés, quand ils n'ont plus d'utilité sociale. Il n'est point davantage marxiste, puisqu'il n'a point pour origine un principe de lutte de classes... ». Mais, toutes ces réserves faites, il ne nous déplaît pas de suivre l'avis du professeur Bouvier :

« Sans doute il ne saurait être question d'imiter dans la Société humaine l'organisation des fourmilières et des sociétés communistes d'insectes... mais la subordination au bien social que les insectes communistes tiennent aveuglément de l'instinct, ne pouvons-nous l'instaurer librement nous-mêmes, en soumettant à une règle sage les hautes facultés de notre esprit? Ce n'est pas une chimère : dans la subordination de l'intérêt individuel à l'intérêt général, il y a de grandes différences entre les peuples et ces différences suffisent pour montrer qu'une évolution heureuse peut se produire dans cette voie ».

Nous ajouterons : si la nature et l'instinct ont pu réussir chez des minuscules êtres cette « heureuse anarchie si bien coordonnée » dont parle Forel, sera-t-il dit que l'intelligence et la bonne volonté de l'homme ne parviendront pas à créer, à leur usage, une anarchie d'une autre essence mais aussi bien coordonnée, mais aussi profitable à chacun comme à tous? Et la nature ne nous livre-t-elle pas un précieux exemple? Nous le croyons, Et si nous n'y pouvons pas puiser un grand enseignement - trop différentes sont les sphères et trop différents sont les moyens - nous y pouvons cependant trouver un réconfort - disons le mot, (dussent les sceptiques en rire) : un encouragement. ­



-Georges VIDAL.