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ENVIE n. f. (du latin invidia, même sens)

Ce mot a tant de significations diverses, qu'il est bien difficile d'en préciser exactement le sens.

Généralement, on s'en sert pour désigner un très vif sentiment qui pousse les individus à avoir du chagrin en constatant qu'un autre individu est plus heureux, plus riche, plus populaire qu'eux-mêmes et à vouer à cet individu une haine forte et profonde.

Mais on l'emploie aussi dans d'autres circonstances.

Ainsi, l'on dit que l'on a envie de manger des cerises, de faire une promenade en tel endroit, de lire tel livre, de faire telle chose, etc... , ce qui signifie simplement qu'on éprouve un désir assez vif de ces différentes choses.

On dit aussi envie de vomir, de faire certains actes physiologiques indispensables, lorsque les fonctions naturelles du corps humain vous y obligent, et qu'on éprouve certaines nausées, indispositions qui provoquent le vomissement.

On parle également des envies des femmes en état de grossesse, sorte de désir vif, subit, et irraisonné qui les pousse à vouloir certaines choses.

Enfin, le mot est utilisé également pour désigner certaines taches sur la peau, que l'esprit populaire attribue, à tort ou à raison, à des désirs. De même ce nom est donné à un certain mal de la peau se détachant autour des ongles.

Mais l'envie, dans le langage, est surtout l'appellation du sentiment de haine, de jalousie, éprouvé envers autrui quand cet autrui a quelque chose qu'on n'a pas et qu'on voudrait avoir.

L'église chrétienne a fait de l'envie un péché formidable puni par les tortures de l'enfer. Alors qu'elle consacre toujours la plus odieuse exploitation, qu'elle sanctifie la guerre et le crime commis par les maîtres, c'est plutôt bizarre. Est-ce que, par hasard, en pourchassant le vil sentiment de l'envie, elle n'aurait pas eu pour objectif d'amener les pauvres à ne pas désirer d'être les égaux des riches, les esclaves ceux de leurs maîtres? L'explication me semble assez plausible.

La mythologie grecque, plus poétique et souvent plus humaine que le Christianisme, représentait l'Envie, comme étant la fille de la Nuit et du Styx (rivière entourant les Enfers) ; ayant la forme d'une vieille femme maigre et décharnée, entourée de serpents dont l'un lui ronge le cœur. Ils l'avaient faite guide de la Calomnie, regardant d'un œil louche et sombre ce qui l'entourait. Evidemment, il faut voir dans cette allégorie la représentation, le symbole d'un sentiment parfois vil et méchant, qui attriste et torture celui ou celle qui le ressent et provoque les pires actions.

C'est généralement sous ces apparences que l'Envie est présentée. On la condamne unanimement... et cette unanimité peut nous sembler suspecte. L'Envie, comme la jalousie (je ne parle pas de la sexuelle), comme la haine, est regardée avec horreur par les moralistes. Il y aurait pourtant lieu de distinguer entre les mobiles qui poussent les humains à envier les autres, que les partisans de l'ordre établi à leur profit ont tout intérêt à mêler dans la même confusion, afin de les condamner tous en bloc?

La femme du peuple, habillée de haillons, mal nourrie, traînant sa marmaille, regarde d'un œil d'envie la femme du patron qui passe dans son auto, luxueuse, insolente. Est-ce bien le même sentiment qui la guide que celui qui torture le cœur de l'envieux, incapable d'un effort d'intelligence, crétin fini, qui bave sur l'homme ayant su, par ses capacités, se faire une réputation? N'y a-t-il pas, dans l'envie de la malheureuse ou du malheureux, du déshérité de la vie, une part du sentiment de justice? Le crétin qui jalouse et qui calomnie l'intelligent est-il donc mû par le même mobile que l'intelligent qui se voit écrasé par un crétin fortuné ou puissant, et qui en souffre? L'homme qui travaille dur et vit dans un taudis est-il donc un vil esprit quand il sent la haine pousser dans son cœur, au spectacle d'un oisif se prélassant dans une riche demeure? La condamnation de l'envie n'est-elle pas, aux yeux des moralistes bourgeois, une pierre à deux coups qui frappera en même temps les sentiments de justice et d'égalité? « Ne soyez pas envieux! » correspondrait-il à l'enseignement de la résignation, de la soumission? Que de fois l'on a traité d'envie les plus nobles sentiments d'humanité, de justice sociale? Nous devons prendre garde de ne pas emboîter le pas à ces moralistes d'un genre tout spécial. Nous ne devons pas cataloguer d'envieux et condamner sous cette appellation toute critique contre ce qui est élevé! Au contraire, reconnaissons que cette critique fut souvent un facteur de progrès dans l'évolution humaine. Ce qui est injustement élevé, riche, puissant, on a raison de le critiquer et de vouloir le ramener au juste niveau. Combattre un privilège inique est bon et nécessaire. L'envieux, le véritable envieux que nous méprisons, c'est celui qui veut briller, dominer, jouir ; c'est celui qui veut rabaisser les autres parce qu'il ne se sent ni le courage, ni la capacité de les égaler ; c'est celui qui ne dénigre les plus haut placés que lui que parce qu'il voudrait avoir leur place. Celui-là est un être de désagrégation sociale, une puissance de mal.

Quant à tous ceux qui veulent rabaisser ce qui est élevé par d'iniques procédés, qui veulent relever ce qui est en bas par conséquence de l'injustice, ce ne sont pas des envieux, mais des combattants au service d'un noble idéal.



- G. BASTIEN.