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ESCLAVAGE n. m.

Etat, condition d'esclave : Les Spartiates réduisirent en esclavage les Messéniens vaincus. Fig. : Dépendance, assujettissement : être esclave de ses passions.

Fruit de l'oppression du faible par le fort, l'esclavage est apparu avec les premières sociétés humaines.

Dès que l'homme se stabilisa quelque part pour cultiver le sol, sa tribu eut à lutter contre d'autres tribus. Les plus forts l'emportèrent. D'abord, sans doute, ils durent massacrer les mâles et les femelles dont ils n'avaient que faire parce que trop âgées ou laides ou trop nombreuses. Mais déjà, la culture n'avait pas été sans amener des développements intellectuels assez considérables. De bonne heure, les chefs durent réfléchir qu'emmener les ennemis vaincus, au lieu de les tuer, les faire travailler et leur prendre le produit de leurs efforts, cela leur faciliterait l'existence.

Dans les civilisations qu'il nous est donné de connaître l'esclavage était courant. On ne trouve pas trace d'anciennes sociétés l'ayant méconnu. Il y avait des esclaves chez les Hébreux, chez les Grecs, chez les Romains, etc... Les esclaves des Lacédémoniens, traités avec une dureté exceptionnelle, portaient le nom d'Ilotes. Les Romains les recrutaient parmi les prisonniers de guerre et les peuples vaincus. Les marchands d'esclaves suivaient les armées, achetaient les captifs à l'encan, par grandes masses, et les envoyaient vendre au détail dans les marchés. Le nombre des esclaves excédait souvent le chiffre de la population libre, car l'enfant d'une esclave naissait esclave. A Rome, les esclaves formaient, une classe avilie, réduite au rôle d'instrument d'utilité, de plaisir et de vanité. Au regard du droit civil, on peut dire qu'ils n'existaient pas : ils héritaient pour leur maître, ils recevaient des donations pour leur maitre, mais jamais pour eux, de sorte qu'ils n'étaient que des instruments, des intermédiaires. Longtemps le maître eut droit de vie et de mort sur les esclaves ; aussi se révoltèrent-ils fréquemment, et les Romains eurent à soutenir contre eux, à plusieurs époques, des guerres redoutables.

La guerre des esclaves sous Spartacus qui put en réunir 70.000 sous ses ordres, mit Rome à deux doigts de sa perte. Même lorsqu'ils étaient affranchis, les esclaves n'étaient pas, dans l'ancien droit, sur le même pied que les hommes d'origine « ingénue », c'est-à-dire libres de naissance ; ils prenaient le nom de leur maître, qui devenait leur patron ; dans l'ordre politique, ils ne pouvaient aspirer à certaines dignités, ni contracter mariage avec des ingénus. Sous l'empire, le droit de « régénération » ou assimilation avec les ingénus leur fut accordé de plus en plus fréquemment et l'on vit certains d'entre eux s'élever aux hautes fonctions publiques. Ils exerçaient les professions commerciales et industrielles dédaignées par les ingénus. Quelques-uns, comme Narcisse, devinrent des conseillers des empereurs. D'autres brillèrent par leur génie ou leur talent : Térence, Esope, Phèdre, etc... Le célèbre poète Horace était fils d'un affranchi.

Ce n'était point par humanité que quelques esclaves avaient été affranchis, mais par nécessité. En effet, la classe des nobles, des propriétaires, par devoir, dédaigne tout travail manuel. « Qu'aucun citoyen, dit Platon, ni même le serviteur d'aucun citoyen, n'exerce de profession mécanique. Le citoyen a une occupation qui exige de lui beaucoup d'étude et d'exercice : c'est de travailler à mettre, et à conserver le bon ordre dans l'Etat ».

Or, il y a du travail manuel, mécanique, dans l'exploitation de l'esclave.

Les nobles sont donc obligés de confier ce travail à des esclaves, auxquels ils transmettent un certain degré de pouvoir. Ils choisissent naturellement pour cet emploi ceux dont l'intelligence est le mieux développée ; ils développent même parfois expressément l'intelligence de quelques-uns d'entre eux, afin de pouvoir s'en faire mieux aider dans l'exploitation des masses.

Ces esclaves, auxquels est ainsi déléguée une certaine autorité, deviennent dès lors des affranchis.

« Les affranchis (Colins, Science Sociale, t. II) par le travail et l'industrie que la caste privilégiée leur abandonne comme ignobles, amassent, nécessairement, presque toute la richesse mobilière productive ; d'autant plus que la propriété territoriale leur est interdite autant que possible.

Par la seule force de cet état de choses, les affranchis deviennent de plus en plus nombreux. Lorsque leur nombre les a rendus redoutables pour les nobles, contre lesquels ils pourraient soulever le peuple à l'aide de l'action plus directe et plus immédiate qu'ils exercent sur lui, il faut que la caste des nobles, pour engager les affranchis à continuer, à leur profit commun, le système d'oppression établi, les admette au partage des bénéfices du despotisme... »

(...) C'est alors que les affranchis privilégiés prennent le nom de : bourgeois ; ils deviennent caste politique.

La propriété bourgeoise se transmet, non par droit de primogéniture, mais par simple hérédité, avec faculté d'aliéner.

Or, par suite de ces deux conditions, il arrive nécessairement qu'une partie des affranchis se trouve privée de propriété. Et ainsi s'établit, parmi eux, deux divisions plus ou moins tranchées : l'une de « propriétaires » l'autre de « prolétaires » ».

Mais les bourgeois ne se contentent bientôt plus de partager les bénéfices de l'exploitation avec la classe supérieure, ils veulent tout avoir. Pour atteindre ce but, ils soulèvent, au moyen de sophismes, la masse des exploités contre les nobles et le clergé et parviennent ainsi à les renverser. Il suffit pour enlever toute influence sociale à la noblesse, de lui enlever le privilège de la propriété foncière, et d'abolir l'hérédité par primogéniture quand elle existe.

Voici comment s'exprime A. de Potter : « C’est pour leur grand intérêt que les despotes affranchissent certains de leurs esclaves, et donnent ainsi naissance au bourgeoisisme. Le même motif les guide dans la transformation graduelle qu'ils font subir à l'esclavage.

Dès l'origine des sociétés, il y a des esclaves.

Quand il y a trop d'esclaves, et que leur réunion, dans chaque intérieur domestique, les rend dangereux à la sécurité des maîtres, ceux-ci, pour les diviser par des intérêts, leur disent que les plus méritants d'entre eux vont cesser d'être esclaves. Alors ils en attachent une partie à la glèbe, sous le nom de « serfs ». Le serf est « libre » de la chaine ; il ne peut plus être vendu « individuellement ».

Quand les maîtres, propriétaires du sol, ont trop de serfs, vu l'accroissement des populations ; quand, vu cet accroissement, les terres rapportent plus, et plus facilement, par le travail d'hommes qui se croient libres, que par celui des serfs ; les maîtres - tant pour affermir leur autorité par des espèces de surveillants qu'ils s'adjoignent, que pour augmenter leurs revenus et s'emparer, au moyen de l'offre du rachat, du pécule des serfs - ils finissent par anéantir la servitude en faisant des « affranchis». L'affranchi est, en apparence, encore plus libre que le serf : il ne peut plus être vendu.

Quand ensuite il y a trop d'affranchis ; quand une partie d'entre eux est devenue caste bourgeoise, et que, toujours par suite de l'accroissement de population et des communications qui en résultent, le nombre des affranchis restés sans propriété devient inquiétant pour la féodalité bourgeoise comme pour la féodalité nobiliaire, toutes deux, d'accord entre elles, ne reconnaissent plus que des « vassaux » et des « ouvriers ».

Enfin quand il y a trop de vassaux et d'ouvriers relativement à l'intelligence, à la population et aux communications de l'époque, les bourgeois renversent la féodalité nobiliaire à l'aide du peuple, et s'emparent du pouvoir. Ils abolissent en même temps les diverses mesures, ou droits féodaux qui en étaient la conséquence et établissent ainsi, à les en croire, l'égalité, la libre concurrence entre tous les travailleurs. C'est seulement à partir de cette époque qu'il y a des « prolétaires » décorés par le bourgeoisisme du nom de travailleurs « libres ». Ce sont les esclaves de la propriété mobilière, du capital.

L'esclave passe ainsi, toujours sous le nom « d'homme libre », aussitôt qu'il se trouve émancipé du servage, par les transformations « d'affranchi », puis de « vassal » sous un seigneur, ou « d'ouvrier » sous une corporation bourgeoise, puis enfin de « prolétaire ».

Mais il est un terme où ces émancipations illusoires qui, en réalité, sont des aggravations d'esclavage, doivent s'arrêter. Nous sommes précisément arrivés à cette époque. A chacune des émancipations dont nous parlons, le maître avait pu présenter à l'esclave un avantage apparent à changer de position, et avait retiré, lui, un profit réel de ce changement. Mais lorsque l'esclave, d'affranchissement en affranchissement, est tombé dans l'abîme du prolétariat, il n'en est plus ainsi. Existe-t-il maintenant, un nouvel avantage illusoire à offrir aux esclaves? Aucun. Le prolétaire, en apparence, est libre comme l'air. Son travail, il est vrai, est indirectement pressuré. Mais directement, jamais il ne lui est demandé une obole. Le prolétaire a-t-il ensuite quelque chose à perdre qui puisse avantager ses maîtres? Rien, absolument rien! »

La prise du pouvoir par la bourgeoisie eut pour conséquence, par la liberté du commerce, de faciliter le passage des individus d'une classe à l'autre. Tel prolétaire s'enrichit et passe à la bourgeoisie ; tel bourgeois se ruine et est rejeté dans les rangs du prolétariat où il ne tarde pas à devenir un puissant ferment de révolte. La liberté d'opinion, facilite l'expansion des idées de justice, de fraternité, de liberté. L'écho des Révolutions, réveille jusque dans les pays les plus lointains, l'esprit de lutte. Les derniers remparts de l'esclavage tombent sous les coups du mouvement humanitaire du XIXème siècle.

Aux Etats-Unis, la guerre de Sécession, entre les Etats du Sud, esclavagistes, et ceux du Nord, abolitionnistes, qui avait commencé en 1860 se terminait en 1865 par la défaite des esclavagistes.

Dans les colonies françaises l'esclavage avait été aboli en 1848 ; en Russie, en 1861 ; au Brésil, en 1888.

Mais l'esclavage existe encore dans certaines parties de l'Afrique 'et nous pouvons lire dans « l'En Dehors » de janvier 1927 : « Aux Etats-Unis... Les lynchages de nègres sont fréquents. Dans les villes, on les tient autant que possible séparés ; les hôtels, restaurants, théâtres, ayant une clientèle blanche, n'acceptent pas de noirs. Certains quartiers et tramways leur sont interdits. Il est des communes, de petites villes, et même des régions dont ils sont exclus absolument, et il n'est pas rare que les hommes de « couleur », non avertis, y soient assassinés.

... Il y a quelque temps, à Miami, on voyait un petit monument, placé sur un trottoir de la première rue, sur lequel on pouvait lire : « C'est ici qu'il y a quelques années, un homme blanc fut trouvé, lequel avait été enduit de goudron et de plumes, parce qu'il avait prêché l'égalité pour les nègres. Si vous êtes un noir insensé, ou un blanc qui croyez à l'égalité sociale, vous êtes prévenu que ce comté n'a pas besoin de vous ».

Dans l'Ouest, on a vu, en 1923, des commerçants et banquiers aller dans les champs, empoigner les Japonais pour les jeter sur des camions et les transporter ailleurs ».

L'esclavage, fruit de l'oppression du faible par le fort, n'est pas près de disparaître de notre globe. Cependant les anarchistes redoublent d'efforts afin d'allumer dans les esprits des opprimés, la flamme des fières résistances à l'oppression. Ils espèrent instaurer enfin une société où nulle trace d'esclavage, d'autoritarisme ne viendra enlaidir la vie des humains.



- A. LAPEYRE.



ESCLAVAGE

La signification de ce mot est pour tout le monde celle-ci : Asservissement d'un ou plusieurs individus à d'autres plus forts ou plus malins. Il y a toujours eu des esclaves. Mais selon les époques, les pays et les conditions sociales, selon même le degré et les formes, de civilisation, l'esclavage a différé dans son genre et ses méthodes.

Des volumes entiers ne suffiraient pas à décrire les souffrances des esclaves à travers les âges, dans tous les pays du monde ; rien ne peut résumer l'ignominie, la cruauté, le sadisme autoritaire des maîtres, surtout à certaines époques des civilisations disparues. Cela, dit-on, n'existe plus.

On sait pourtant que l'esclavage, sous des noms différents, a toujours existé, pour la honte de l'humanité. On sait qu'il existe encore plus ou moins. Il suffit de le vouloir pour le constater en pleine prospérité ignoble : dans les casernes, dans les colonies, dans les bagnes capitalistes, dans les établissements religieux, dans les couvents, les ouvroirs, les refuges philanthropiques et autres institutions hypocrites de prétendue charité...

D'une façon générale, dans la civilisation bourgeoise, actuelle, nous croyons inutile de démontrer en détail son existence : toutes les victimes de l'exploitation de l'homme par l'homme sont de malheureux esclaves.

Un brillant écrivain du XIXème siècle, Chateaubriand, a écrit : « Le salariat est la dernière forme de l'esclavage ».

Vouloir, comme le veulent tous les socialistes, la suppression de l'Esclavage, c'est donc vouloir la suppression du salariat. Il nous semble impossible de l'abolir sans abolir le Capitalisme et tout le système d'exploitation qui en découle, et tout le système autoritaire d'organisation sociale qui le maintient. Une révolution sociale peut, seule, en venir à bout par la Révolte consciente des esclaves.



- G. YVETOT