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ESCROQUERIE n. f.

L'escroquerie, nous dit le Larousse, est l' « action d'obtenir le bien d'autrui par des manœuvres frauduleuses ».

L'escroquerie se différencie du vol proprement dit en ce que, dans le vol, le délinquant s'approprie le bien d'autrui à l'insu de ce dernier, alors que dans l'escroquerie la victime apporte elle-même son argent ou son bien au détrousseur qui l'a trompée sur la destination de ce dépôt ou sur l'usage qu'il comptait en faire.

L'escroquerie est un délit puni par la loi ; mais les articles du Code sont tellement élastiques, qu'un escroc, adroit, puissant et intelligent, ne se laisse prendre que très rarement. D'autre part, la loi permet l'escroquerie lorsque celle-ci est exercée sur une grande échelle et bien souvent elle la favorise.

Légalement, « Le délit d'escroquerie existe par la réunion de trois éléments : 1° l'emploi de moyens frauduleux, consistant dans l'usage d'un faux-nom ou d'une fausse qualité, ou bien dans des manœuvres tendant à tromper la victime choisie (le mensonge pur et simple, ne suffit pas) ; 2° l'obtention de valeurs grâce à l'usage de ces moyens ; 3° le détournement ou la dissipation de ces valeurs » (Larousse).

Or, nous disons quelques lignes plus haut que la loi favorise l'escroquerie. Les deux premiers éléments de la citation ci-dessus vont nous le démontrer si nous les étudions tant soit peu.

On n'escroque plus aujourd'hui sous un faux nom car il y a vraiment trop de facilités d'escroquer légalement sous le couvert d'une société civile, commerciale ou anonyme. De plus, puisque le mensonge pur et simple ne caractérise pas le délit d'escroquerie, c'est ouvrir la porte à tous les abus, puisqu'en réalité l'escroquerie en soi repose sur un mensonge pur et simple.

Prenons un exemple courant en matière commerciale, industrielle et bancaire.

Un groupe d'individus décide de former une société anonyme en vue d'exploiter une industrie ou un commerce quelconque. Ils n'ont pas d'argent pour lancer leur affaire et, d'autre part, celle-ci est plutôt équivoque et les espérances sont aléatoires. Ils s'en vont trouver un banquier et lui demandent de bien vouloir mettre en circulation un certain nombre d'actions qui procureront les fonds nécessaires à l'entreprise.

Si le banquier accepte, il prélèvera sur chaque action placée, un bénéfice d'autant plus grand que l'affaire est douteuse. Dans une entreprise sérieuse le banquier ne demandera que 2, 3 ou 4 % ; dans une entreprise véreuse il réclamera 8, 9 ou 10 % et parfois plus.

Le banquier n'engage jamais son argent. Le marché conclu, par l'intermédiaire de ses démarcheurs, il cherchera des clients ; leur vantant la marchandise qu'il présente, et leur faisant espérer des bénéfices mirifiques dans un temps rapproché, il sortira l'argent des poches des pauvres poires qui se laissent prendre aux offres alléchantes qui leur sont faites et partagera avec ses complices le fruit de leur larcin.

Au bout d'un temps plus ou moins long, l'entreprise périclitera - car telle était sa destinée - l'action de cent francs ne vaudra plus que cent sous et le tour sera joué. C'est le mensonge des commerçants, de l'industriel et du banquier qui aura été cause de la perte sèche des actionnaires, mais l'affaire est légale, elle est couverte par la loi, il n'y a pas escroquerie et les « escrocs » sont à l'abri de toute poursuite.

Les combinaisons en matière d'escroquerie sont multiples et la banque est une association d'escrocs. Comment un gouvernement prendrait-il des mesures contre toutes ces organisations financières alors qu'il en est le prisonnier et qu'il a lui-même recours aux gens de la haute finance pour escroquer les deniers du public? Toute escroquerie nationale se fait par l'intermédiaire de la banque. Le public, éternellement confiant, éternellement crédule, bien que volé des milliers et des milliers de fois, se laisse toujours prendre. Rien ne lui sert d'exemple ni d'enseignement. Il faudrait un ouvrage colossal pour citer tous les cas retentissants d'escroquerie, tous les scandales qui ont éclaté depuis la fameuse affaire de Panama remontant à 1889 et que Jaurès rappelait en ces termes à la séance de la Chambre, le 25 juillet 1894 :

« Est-ce que vous vous imaginez qu'il y a eu quelqu'un qui n'ait pu être touché, remué, bouleversé dans sa conscience, si isolé que vous le supposiez, lorsque pendant six mois, tout ce pays, toute cette Chambre ont été suspendus à la dramatique discussion de l'affaire que vous connaissez bien, lorsque le pays a appris tout à coup que sur les centaines de millions qu'il avait versés, près des deux tiers avaient été gaspillés d'une façon criminelle ; quand il a pu voir que cette corruption capitaliste et financière avait voisiné avec les Pouvoirs publics, quand le Parlement et la finance causaient dans les coins, trinquaient ensemble? Est-ce que vous croyez que cela n'était rien quand il a appris que des ministres allaient être traduits en cours d'assises, quand il a appris que des dénégations hautaines, portées à la tribune ou devant la commission d’enquête, allaient être suivies de révélations écrasantes et de foudroyantes condamnations ; lorsqu'il y a eu un moment où, devant cette commission d'enquête, les uns comparaissaient la tête haute, les autres balbutiant, où, pour le public qui regardait, le Palais-Bourbon et la Cour d'Assises semblaient de niveau, où les puissants passaient des grands salons éclairés du pouvoir dans les couloirs obscurs de la justice et où, comme sur un disque tournant les couleurs se confondent, le pays vit se mêler sur le disque rapide des événements, la couleur parlementaire et la couleur pénitentiaire? » (Jean Jaurès, discours prononcé à la séance de la Chambre des députés le 25 juillet 1894).

Comme dans toutes les escroqueries de haute école, dans l'affaire du Panama, les véritables coupables s'en tirèrent à bon compte ; et depuis quarante ans rien n'a changé. Le Parlement se corrompt chaque jour davantage et ses membres participent de plus en plus aux affaires louches et véreuses. Comme par le passé, l'escroquerie s'organise dans les couloirs du Palais Bourbon et la magistrature assise ou debout innocente par ses arrêts les détrousseurs du Peuple.

Le tsar de toutes les Russies avec l'assentiment des divers gouvernements français qui se sont succédé depuis 1900 a escroqué au peuple plusieurs milliards. Aujourd'hui que le peuple russe, avec raison, se refuse à reconnaître les dettes contractées par l'impérial tyran, les porteurs de fonds russes, pour la plupart petits fonctionnaires et petits rentiers, se laissent de nouveau dépouiller de ce qui leur reste, par un autre despote : le tsar de Roumanie. Et la comédie continue. La Banque, le Parlement, la Presse, associés dans leur ignoble besogne participent à l'escroquerie. Le peuple ne voit rien, il n'entend rien, il ne comprend rien. De même qu'en matière électorale il porte ses suffrages sur le candidat le plus menteur - le meilleur ne vaut rien ­- en matière financière, il porte ses économies au plus voleur.

Et si, par hasard, éclairé d'une lueur de raison, il se refuse à donner son argent à l'Etat ou aux Etats qui le lui réclament, le peuple l'engloutit dans des sociétés mutuelles, dans des sociétés d'assurances, dans des sociétés commerciales qui ne sont également que de vastes entreprises de spéculation où l'on se charge de dilapider les fonds recueillis.

Le monde capitaliste est un vaste marché. Nous avons par ailleurs dénoncé le commerce comme un vol légal ; il est également une escroquerie tolérée et si parfois, à la suite d'un scandale retentissant, les juges condamnent les délinquants à des peines relativement minimes en regard des méfaits accomplis, c'est un accident, une exception qui confirme la règle.

Dans l'escroquerie commerciale, comme dans l'escroquerie financière, l'Etat et le Parlement ne sont pas ignorants des pratiques frauduleuses, et bénéficient des manœuvres malhonnêtes qui s'exercent ouvertement. En 1925, un pamphlétaire parisien dénonça dans la revue qu'il publiait, l'escroquerie monstrueuse organisée par une société commerciale empoisonnant le public français avec une eau soi-disant minérale qui n'était en réalité qu'une eau de rivière même pas purifiée. Les savants, à l'analyse, étaient unanimes à reconnaître que l'eau vendue au public ne possédait aucune propriété curative et ne provenait même pas de la source de laquelle elle était supposée jaillir. Cependant, cette société poursuit activement son entreprise. La presse, la Grande presse liée par des contrats de publicité, achetée pour garder le silence, est muette comme une carpe, et ladite société continue à écouler par année des millions et des millions de bouteilles de son eau de rivière.

L'Etat ne dit rien non plus et il n'y a pas lieu de s'en étonner car il touche 0 fr. 20 sur chaque bouteille vendue. Et c'est ainsi que, non seulement pour satisfaire aux appétits des mercantis, on escroque le pauvre monde, mais encore on livre à la consommation des produits nocifs et malfaisants.

La soif d'argent du capitalisme ne connaît pas de limites. La bourgeoisie profite de toutes les occasions pour grossir sa richesse. La guerre de 1914-1918 fut pour elle une source de profits. Cela ne fut pas suffisant et elle spécule sur l'après-guerre.

La destruction d'une partie du territoire français, les ravages causés dans les centres du Nord, la misère et la détresse des habitants, permit au capitalisme d'organiser l'escroquerie des « régions libérées ».

Sur une centaine de milliards de francs alloués pour la reconstruction des départements dévastés par la guerre, par un jeu de combinaisons admirables parfaitement licites, le petit fut dépossédé au profit du gros. Et c'est toujours la même histoire, la société le veut ainsi.

Les formes d'escroquerie sont tellement nombreuses que l'on s'étonne qu'une société puisse subsister dans de telles conditions. Personne n'échappe aux tentacules de l'escroc, et les sans-travail, les chômeurs, les misérables à la recherche d'un emploi, sont eux-mêmes victimes des procédés indélicats d'êtres sans aveu qui leur soutirent les derniers sous qu'ils ont en poche, en leur promettant des places avantageuses qui ne viennent jamais.

Tenter de réformer un tel état de choses serait folie.

Ce ne sont pas les Anarchistes qui sont des utopistes, ce sont tous ceux qui prétendent rénover par des moyens légaux l'ordre social actuel.

Qu'on le veuille ou non, seule la Révolution, balayant toute la corruption qui règne souveraine, peut transformer la Société.

Nous avons eu pendant des siècles l'escroquerie religieuse ; nous avons aujourd'hui l'escroquerie laïque, l'escroquerie civile, l'escroquerie collective ou individuelle qui découlent toutes du capitalisme. Tant qu'une société, par sa forme d'organisation, par ses rouages, permettra au plus malin de tromper son semblable pour en tirer profit ; tant que le monde sera gouverné et dirigé par le mensonge, l'escroquerie subsistera. Elle est une conséquence du régime capitaliste et ne disparaîtra qu'avec lui. C'est aux hommes conscients, éclairés, qu'il incombe d'accomplir la tâche d'assainissement qui s'impose et d'entraîner derrière eux toutes les victimes de l'escroquerie sociale.