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EXIL

Quand un individu gêne dans son pays d'origine, l'autorité l'en expulse : le voilà en exil. D'aucuns s'exilent volontairement, soit qu'ils préfèrent voyager que de subir les conséquences de leur insoumission économique ou militaire, soit qu'ils ne se trouvent plus en sécurité dans leur pays (Voir : insoumis).

Théoriquement, il n'y a pas d'exil pour l'anarchiste, comme d'ailleurs pour tout internationaliste conséquent. La patrie, c'est le pays où l'on est bien : mettant à profit ce proverbe il s'expatrie quand c'est nécessaire, risque l'expulsion quand les nécessités de l'action l'y exposent. Ces déductions théoriques font que nombre de personnes s'exilent et déchantent bientôt. Le premier danger de l'exil, c'est la suggestion qui porte à désirer le retour au pays dès que cela devient impossible. Les objections de la famille, des amis plus ou moins intéressés, reviennent alors à l'esprit ; romantisme aidant, on s'aperçoit qu'on est très malheureux. La plupart des insoumis au service militaire tombent dans ce premier combat ; la porte leur restant ouverte - à condition de se soumettre - ils rentrent bientôt au bercail. Les juges ne prennent pas trop en mauvaise part leur petite fugue, qui servira de leçon à ceux qui pourraient avoir l'envie de prendre le même chemin. En général, l'exilé dispense d'ailleurs généreusement cette leçon autour de lui, pour des motifs trop faciles à comprendre.

Quant à ceux qui « continuent », les voilà aux prises avec toutes sortes de difficultés. Gagner son pain n'est pas chose facile - surtout pour les intellectuels -­ dans un pays dont on ignore la langue. Tout le monde n'est pas capable de s'assimiler une langue rapidement : la difficulté de s'exprimer et de comprendre provoque un ralentissement de la vie intellectuelle et affective, car la lecture et la correspondance ne suppléent pas à tout, et le « cafard » vient, mord... et un deuxième contingent des exilés rend les armes, prêt à reconnaître qu' « il y a tout de même quelque chose de vrai dans ces histoires de patrie ».

Les survivants n'auront plus qu'à se faire au climat de leur pays d'adoption, à ses mœurs - moralité publique, vêtements, cuisine! - à se soumettre aux exigences du nouveau milieu en y laissant le moins possible de soi-même. La police guette ; elle surveille le courrier, fourre le nez dans la correspondance, menace par les journaux subversifs. Les familiers se méfient : - « Qu'a­ t-il fait dans son pays? - Pourquoi est-il ici? » ; le patron se fait fort de vous faire coffrer et expulser en cinq sec si vous bronchez... « S'exiler pour échapper à Némésis ou à la Caserne, et rencontrer ça, c'est un marché de dupe » raisonnent les neuf-dixièmes du dernier contingent en réintégrant ses anciennes pénates.

Naturellement, l'exilé peut être bien sage, s'être expatrié pour trouver un emploi rémunérateur, emmener sa famille et ses meubles, fréquenter beaucoup l'église et pas du tout les réunions publiques ; avoir en poche passeports et lettres de recommandation. Celui-là ne rencontrera que des difficultés de second ordre, mais ce n'est pas de lui qu'il est question...

De ce qui précède, tirons des conclusions pratiques.

Aux parents indépendants qui souhaitent et préparent le même caractère à leur progéniture, disons qu'il convient de tenir compte avec l'éventualité d'exil dans l'éducation des enfants. Mouvements révolutionnaires avortés, réaction, insoumission, ne leur donneront que trop d'occasion de s'expatrier. Beaucoup se sentent ankylosés à l'idée de faire un voyage à l'étranger : il faut les y habituer. L'étude préalable de langues, et un métier manuel aplanissent beaucoup de difficultés en cas d'exil. L'enseignement public est terriblement unilatéral ; de sa patrie, le moindre ruisseau ou coteau a de l'importance, mais on ignore tout des pays voisins : langue, industrie, mœurs, régime ; cela fait qu'on ne s'y sent pas « chez soi » : avis aux éducateurs!

Que les amis gardent leurs lettres larmoyantes : mieux vaut un mot gai, au besoin, un mandat! S'informer du nouveau milieu de l'exilé, l'interroger sur ce qu'il observe, lui demander des chroniques pour journaux, etc... , il se verra forcer de s'extérioriser, de regarder autour de lui et finira par s'intéresser à sa nouvelle vie, échappera au découragement, à la nostalgie. Et que les amis négligents se souviennent que si, pour eux, une lettre n'a que peu d'importance dans le train de leur vie, elle est souvent pour l'exilé un événement capital.

Lorsque ses parents ne l'en ont pas pourvu, que l'exilé acquière par lui-même « l'éducation de l'exil ». Quoi de plus stupide pour celui qui ambitionne la vie rude de l'insoumis ou du militant, que de prendre par exemple un emploi aux contributions ? Ne serait-il pas plus sage d'apprendre le métier de charpentier, mieux encore : d'étudier sérieusement avant que de partir la langue et la littérature de son propre pays, afin de pouvoir l'enseigner à l'étranger? (Voir Malato : Joyeusetés de l'exil)

Une fois à l'étranger, ne pas oublier que la « mère patrie » y entretient des espions, principalement les consuls, qui ne négligent rien pour se procurer des renseignements susceptibles de créer à l'exilé des ennuis avec les autorités. La réaction s'organise internationalement. J'aime à croire que les hommes d'action le feront bientôt à leur tour. Une vaste documentation sur les ressources matérielles et morales que présente chaque contrée (moyens de débrouillage, colonies, milieux sympathiques), des relations suivies de pays à pays permettront alors de vivre totalement en sans-patrie.