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EXPERIENCE (du latin experientia ; de experire, éprouver)

Connaissance acquise par l'épreuve personnelle que l'on a faite d'une chose, soit volontairement par l'observation et la pratique, soit involontairement, par suite des circonstances dans lesquelles on s'est trouvé placé. Le mot expérience ne sert pas seulement à désigner le résultat de l'épreuve personnelle, quant à l'augmentation des connaissances acquises, mais le moyen par lequel ce résultat a été obtenu, c'est-à-dire l'épreuve elle-même. On dit : « C'est un homme d'expérience » en parlant de quelqu'un ayant eu l'occasion de beaucoup observer et l'avantage de beaucoup retenir. Mais on dit aussi : « Le talent de ce romancier s'inspire de ses expériences amoureuses » ; ou bien encore : « Les expériences de ce savant ont justifié toutes nos suppositions ».

Les vieillards se réclament volontiers des droits que leur donne l'expérience, pour essayer d'imposer leurs opinions à autrui. C'est là une prétention excessive. D'abord, parce qu'il suffit de questionner des vieillards sur maints sujets, notamment dans les domaines de la politique et de la religion, pour constater qu'ils sont loin d'être d'accord entre eux, ce qui ne manquerait pas de se produire s'il était vrai qu'il suffît d'avoir un grand âge pour acquérir, à l'égard de toutes choses, une sorte d'infaillibilité. Ensuite, parce que l'expérience de beaucoup de personnes âgées, dont l'existence fut surtout végétative, préoccupées chaque jour d'effectuer les mêmes gestes, en relation avec les mêmes personnes, dans un décor identique, n'est en vérité qu'une expérience insuffisante, pour apprécier la vie dans sa complexité, Enfin, parce que faire valoir au cours d'une discussion, que l'on a les cheveux blancs, constitue une référence sans doute, quant au caractère sérieux des propos émis, mais ne devrait jamais dispenser une personne raisonnable de faire, avec des arguments plus positifs que celui-ci, la démonstration de ce qu'elle affirme.

On n'a pas forcément raison parce que l'on est âgé, ou parce que l'on est père de famille, ou parce que l'on a été soldat. On a raison quand on a pour soi la logique et l'observation des faits.

Sous réserves de ces remarques, il est exact que, si la jeunesse a pour elle la générosité des enthousiasmes, et le courage désintéressé, qui s'allient fréquemment à là candeur, l'âge mûr a pour lui le sens réaliste, et les prudentes méthodes suggérées par les difficultés graves que l'on rencontre dans la pratique. Encore ne faut-il point confondre ces avantages intellectuels avec la sécheresse de cœur, et l'esprit de routine, qui caractérisent tant de gens ayant traversé la vie sans voir et dont les jugements portent la marque de l'égoïsme et de l'irréflexion.

Dans le domaine scientifique, la méthode expérimentale, qui consiste dans le contrôle des idées par les faits, est la seule qui donne des résultats certains. Tant que l'on discute sur des données métaphysiques, ou d'après des convenances philosophiques personnelles, les systèmes s'affrontent sans grand profit, et l'on n'arrive point à conclure, du moins d'une manière satisfaisante pour tout le monde. La preuve par le fait évident pour quiconque ne se refuse point à ouvrir les yeux, est l'argument sans réplique. Il réduit à néant les thèses chimériques, et met un terme aux ratiocinations vaines.

C'est grâce à la méthode expérimentale, telle que la conçurent Galilée, Newton, Descartes, Claude Bernard, que la science, se dégageant des idées préconçues, nées de l'influence religieuse et des préoccupations abstraites, a donné de si merveilleux résultats, en ne s'inspirant désormais que de la libre recherche de la vérité.

Partout où elle peut s'exercer, la méthode expérimentale est, pour ce qui concerne l'enseignement, la meilleure et, en même temps, la plus honnête. Avec elle, il n'est point nécessaire, pour convaincre, de faire appel à l'autorité de la tradition, ni au témoignage des ancêtres en faveur d'une douteuse révélation. Il suffit d'inviter l'élève à se rendre compte par lui-même de la réalité des faits décrits par le livre. A l'écolier qui douterait de ceci : qu'un acide répandu sur un calcaire détermine une effervescence, il serait fâcheux de répondre : « Tu dois le croire parce que j'ai un diplôme et que je suis ton aîné! » Il est beaucoup plus sage, et plus modeste, et plus affectueux, et plus convaincant aussi, de dire à l'enfant : « Voici du vinaigre et un morceau de craie. Verse donc sur la craie quelques gouttes de vinaigre, et décris-moi ce qui va se passer! »



- Jean MARESTAN.