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EXPORTATION n. f. (du latin exportatio, même signification ; de ex, hors, et portare, porter)

Le mot exportation est un terme commercial qui signifie : transporter et vendre à l'étranger des produits du sol ou des marchandises de l'industrie. Nous avons démontré par ailleurs qu'aucune nation du monde ne pouvait vivre sans le concours de ses voisines proches ou éloignées, la fertilité du sol ou la production industrielle étant conditionnées à une quantité de facteurs, tels que le climat, la situation géographique, ethnographique, etc. Le régime économique du monde repose donc sur l'importation, dont la contrepartie est nécessairement l’exportation. Il serait pourtant puéril de croire que seuls les besoins matériels d'une population jouent dans les importations et les exportations d'un pays ; les intérêts commerciaux, la plupart du temps contraires aux besoins des consommateurs, figurent comme un des facteurs principaux en ce qui concerne l'exportation des produits bruts ou manufacturés d'une nation. Nous savons qu'en ce qui concerne les importations, de nombreux pays, où ne s'exerce pas encore le libre-échangisme, les produits étrangers sont frappés à l'entrée de droits de douane prohibitifs, afin de permettre au capitalisme national d'écouler à un prix élevé ses propres produits. Nous avons traité de cette question au mot « douane » et démontré que le régime du protectionnisme ne pouvait que profiter aux exploiteurs de la misère humaine. Urbain Gohier, dans une étude déjà vieille, puisqu'elle date de 1906, intitulée « Le nouveau pacte de famine », nous éclairait lumineusement sur les désirs intéressés des protectionnistes : « Envisageons, disait-il, un groupe de cent une personnes : cent ouvriers, et le patron, individuel ou collectif.

Le patron dit aux ouvriers : « A cause de la concurrence étrangère, je serai contraint de diminuer vos salaires, si nous ne sommes pas protégés ; car je ne fais plus que 300.000 francs de bénéfice net par an. Donc, puisque vous êtes citoyens électeurs, exigez de vos élus des lois de protection ». Les ouvriers n’hésitent pas : ils ne savent pas en quoi consistera la chose ; ou bien ils croient qu'elle aboutira seulement à la prohibition du produit étranger, à l'obligation, pour tous les consommateurs, d'acheter l'objet qu'ils fabriquent. C'est si bon de se savoir « protégés » quand on est faible et, d'ailleurs, sans application pour étudier, sans intelligence pour comprendre, sans courage pour se défendre soi-même! Etre défendu, n'importe comment, par l'Etat-Providence, par l'Etat-Dieu, au moyen d'une loi mystérieuse, d'un grimoire enchanté : quel rêve!

Les cent ouvriers sont protectionnistes du coup ; ils élisent un protectionniste forcené, tantôt borné comme eux, tantôt prêt à tous les métiers pourvu qu'ils l'apportent, tantôt simple compère du patron. Les tarifs sont votés. Grâce à l'augmentation de 140 à 180 pour 100 des taxes, le patron relève ses prix ; au lieu de gagner 300.000 francs net, il place à la fin de l'année 400.000 francs ; il a bénéficié de 100.000 francs.

Mais les ouvriers? On n'a pas diminué leur salaire, puisqu'on le leur avait promis ; on ne l'a pas augmenté non plus. Seulement, par le jeu de tout le système, leur vie est devenus plus difficile ; leurs vêtements ou leurs aliments leur coûtent plus cher ; avec la même somme, ils se trouvent dans une détresse plus profonde.

Toutes les marchandises qu'ils consomment sont « protégées », c'est-à-dire qu'elles coûtent plus cher. Une seule reste au même prix : celle qu'ils vendent ­ leur travail. Ne recevant pas un sou de plus et dépensant beaucoup davantage, ils subissent indirectement une diminution de salaire. Leur salaire nominal n'a pas changé, mais il a perdu beaucoup de sa valeur utile ». (Urbain GOHIER, La Révolution vient-elle? « Le nouveau pacte de famine », Paris, 1906.)

Nous voyons, par ce qui précède que, si l'exportation est généralement libre, elle est entravée par les droits d'entrée, qui frappent les marchandises à leur introduction dans un pays étranger, et que c'est le consommateur, en grande partie le travailleur, qui en souffre.

« Pendant de longs siècles, dit le Larousse, les Etats frappèrent les marchandises de droits très élevés, non seulement à l'entrée, mais aussi à la sortie ; il fallait, croyait-on, entraver l'exportation des produits, et particulièrement du blé, pour éviter des famines ou empêcher le pays de s'appauvrir. En France, les droits à l'exportation furent supprimés en 1860 ».

Si les droits à l'exportation ont été supprimés, non seulement en France, mais dans presque toutes les nations du monde - exception faite pour certains pays de l'Amérique du Sud qui poursuivent cette politique économique - ce n'est pas que les grands producteurs ou les gros industriels aient considéré le problème sous son angle social et pensé que la famine ou l'appauvrissement de leur pays n'était plus à craindre. Comme toujours lorsqu'il s'agit du commerce, ils ne furent animés que par un bas intérêt particulier. Il est indéniable que les droits à l'importation entravent la liberté du consommateur, en haussant les prix, des produits nationaux. Ces produits, qu'il ne peut pas écouler intérieurement, il faut qu'il les écoule extérieurement. Il importe peu, au commerçant, à l'industriel ou au financier, que la population de son pays meure de faim, marche pieds nus et n'arrive pas à se vêtir ; ce qu'il veut, c'est vendre cher, à n'importe qui. On nous avait dit que le régime de l'exportation était soumis à certains facteurs atmosphériques, climatériques ou géographiques. Prenons un exemple. Quelles que soient la volonté, le génie, l'intelligence du producteur français, il n'arrivera jamais à faire pousser sur son sol, du cacao ou du café ; pour consommer de ces produits, le peuple français aura recours à l'importation, ce qui comporte fatalement l'exportation des pays producteurs de ces produits. Et alors, se joue une double spéculation. Les pays producteurs, sachant que les pays importateurs ont absolument besoin d'eux, vendront leur marchandise au prix fort, ce qui, inévitablement provoquera la hausse dans le pays d'origine ; d'autre part, lorsqu'il s'agit d'un produit de consommation courante, tel le café, par exemple, l'Etat, le gouvernement du pays importateur le charge de droits de douane formidables afin de se procurer des ressources. Il apparaît donc évident qu'un régime qui repose sur le commerce, donc sur le vol légal, ne peut trouver dans la légalité, une mesure susceptible de mettre un terme à l'arbitraire de la spéculation commerciale.

Un autre exemple frappant nous est offert en France de ce qu'est le régime de l'exportation commerciale, et de la cupidité des exportateurs. La France est un pays de production vinicole, et le vin étant la boisson nationale, une grande partie de la production pourrait être écoulée sur le marché français. Le climat de l'Angleterre, par contre, ne permet pas la culture de la vigne et ce pays est obligé de s'adresser à la France pour sa fourniture de vin. Le propriétaire français en profite et l'Angleterre payant plus cher que la France, il préfère écouler ses produits de l'autre côté de la Manche. Il en résulte une hausse des prix dans le pays d'origine et le consommateur français paye cher un produit qu'il devrait pouvoir se procurer à un prix relativement bas. Il en est de même pour quantité d'autres denrées, entre autres : le lait, le beurre, les œufs, les primeurs, etc... De plus, depuis la guerre, les pays à monnaie dépréciée ont vu s'étendre le champ de leurs exportations, et les propriétaires et les industriels, sans tenir compte des besoins de la population, n'ont pas hésité à exporter les matières de première nécessité et à les échanger contre une monnaie saine, peu sujette aux fluctuations des spéculations et du change. En aucun cas, les gouvernements et plus particulièrement les gouvernements français qui se succédèrent de 1919 à 1926, n'envisagèrent de mesures propres à arrêter l'exportation de produits indispensables à la vie de la population française ; qu'importe aux maîtres du pouvoir politique, représentants directs des maîtres du pouvoir économique, que le consommateur français réduise sa consommation au strict minimum, du moment que le capitalisme réalise des bénéfices scandaleux ? Parfois, cependant, l'exportation de certains produits est prohibée momentanément ; mais généralement, cette mesure demeure sans effet, car elle survient trop tard, une fois que l'exportation desdits produits est accomplie.

En vérité, on ne voit pas bien quelle réforme au statut commercial qui régit l'exportation et l'importation pourrait mettre un frein à un tel régime. Tout se tient dans la société bourgeoise et, même en supprimant les barrières douanières, on ne résoudrait pas le problème de l'exportation et de l'importation, qui provoque la hausse d'une matière, au gré du capitalisme qui la possède.

Que faire ? Pas grand chose en réalité dans le domaine de la légalité. Rien à attendre du Parlement, des ministères et des gouvernants. Le remède est en dehors de l'ordre social établi. Les échanges ne se font pas aujourd'hui, de nation à nation, en raison des besoins économiques de chaque nation, ou si le facteur « besoin » joue un certain rôle, le facteur « intérêt particulier » en joue un plus grand encore. Et il en sera ainsi, sous des formes différentes, tant que l'intérêt particulier ne sera pas subordonné à l'intérêt collectif, tant qu'un individu ou un groupe d'individus, pourront réduire la consommation de millions d'êtres humains pour satisfaire leur soif de bénéfice et d'argent. Notre conclusion ne peut être que ce qu'elle fut pour quantité d'autres questions se rattachant au régime social actuel. Seule la Révolution économique peut transformer la société ; seule la prise des moyens de production par les producteurs peut faire régner l'égalité dans la distribution et la répartition des richesses sociales. En dehors de cela, il n'y a rien de vrai ; tout n'est que bluff et démagogie. Les Parlements peuvent voter des lois, à l’importation ou à l'exportation. Ce ne sera qu'un trompe-l'œil pour les électeurs naïfs. Interdirait-on demain en France l'importation ou l'exportation des blés, les grands propriétaires se chargeraient bien vite de raréfier le produit pour en provoquer la hausse. Il n'y a rien à faire de véritablement efficace dans le domaine du régime actuel. C'est la roue qui tourne et apporte toujours de l'eau au moulin. Par la bêtise, l'ignorance et la lâcheté humaines, le capitalisme est plus fort et il en profite. Il tient le peuple courbé sous son régime économique, et ce dernier restera économiquement un esclave, tant qu'il n'aura pas conscience de sa force, de ses possibilités, de ses moyens, et qu'il ne se libérera pas par la Révolution de tout ce qui le tient enchaîné à une société qui est condamnée par tout être raisonnable, sensé, sincère et logique.