FÉCONDITÉ du
latin fecunditas
La fécondité est la qualité de ce qui est fécond, c’est-à-dire apte à
la procréation. Une femme est dite féconde lorsqu’elle est capable
d’avoir des enfants. On dit également des femelles des animaux et des
végétaux qu’elles sont fécondes lorsqu’elles peuvent servir à la
reproduction de l’espèce à laquelle elles appartiennent. Par extension,
on dit d’une terre qu’elle est féconde, lorsqu’elle est susceptible de
fournir en abondance des produits de culture. Au figuré, il est admis
de dire qu’une matière est féconde lorsque l’on peut s’en inspirer pour
de multiples ouvrages de l’esprit. Au figuré, encore, on peut employer
le mot fécondité, en parlant d’un auteur, pour désigner sa puissance de
production littéraire.
Soulignons, à ce propos, que de pouvoir, en quelques heures, sans
effort apparent, noircir, d’une plume hâtive, tout un cahier et, en
quelques années, remplir de gros volumes une bibliothèque, est un
talent d’ordre plus que secondaire. Ce qui, en effet, compte
principalement pour un écrivain, c’est l’originalité du style, la
nouveauté des idées, la valeur de l’observation personnelle, et non
l’importance numérique des pages écrites. Il n’est pas rare que de
remarquables écrivains, tels Gustave Flaubert, travaillent avec une
difficulté extrême et s’attardent très longuement sur un feuillet, Si
Honoré de Balzac, Victor Hugo, Émile Zola, ont été à la fois des hommes
de génie et des auteurs d’une fécondité impressionnante, il n’en est
pas moins vrai que les grands records de la production se constatent
surtout parmi les artisans peu consciencieux, les brouillons, d’esprit
médiocre, nourris de lieux communs. Il en est des œuvres d’art comme de
la génération humaine : pour celles-là, comme pour celle-ci, la
quantité n’est estimable que lorsqu’elle s’allie à la qualité, et met
en relief cette dernière, sans se développer toutefois à ses dépens.
Pour n’atteindre point à celle des microbes, inexactement dénommés «
les infiniment petits », qui peuvent, en très peu de temps, par
bourgeonnement, ou scissiparité, se reproduire par milliards, la
fécondité des végétaux n’en est pas moins très remarquable. Une simple
tige de maïs porte 2.000 graines ; un pavot, 32.000 ; un platane,
100.000 ; un orme, 300.000. Le pin en répand par millions, avant de
périr de vétusté.
Les poissons et les insectes fournissent des nombres en rapport avec
ceux des végétaux. Les araignées pondent chacune une centaine d’œufs ;
la mouche, 150 ; les pucerons ont jusqu’à dix générations et plus,
toutes considérables, en une seule année. Une abeille mère fait 8.000
œufs, en une seule ponte, et la femelle du termite dix fois plus dans
sa journée. La perche donne 10.000 œufs, et l’éperlan, 25.000 ; le
hareng, 36.000 ; la carpe, 350.000 ; la tanche, 40.000. Et nous
n’atteignons pas le record pour les habitants des eaux, car la sole,
avec un million, et la morue, avec sept millions d’œufs, sont encore
dépassées par l’esturgeon, cet empereur des pères de famille, qui se
donne, en une seule année, 10 millions de descendants !
Pour être très sensiblement inférieure, la fécondité des mammifères est
digne encore de retenir l’attention : Le chat peut engendrer, avant
l’âge d’un an, et s’accoupler toute sa vie, c’est-à-dire pendant neuf
ou dix ans, pendant lesquels il pourra avoir, chaque année, de 8 à 12
petits en deux portées. Il en est de même, à peu près, pour le chien.
Une truie peut reproduire, à l’âge de dix mois, et donner pendant
plusieurs années deux portées par an, de 6 à 16 petits chacune. Une
souris est capable de mettre bas de 4 à 6 petits, tous les mois. Enfin,
le lapin, ce modèle des citoyens prolifiques, le lapin, qui vit huit ou
neuf ans, et peut produire, dès l’âge de cinq ou six mois, se trouve
suffisamment doué pour être père, en cinq à six portées, de 40 à 60
petits par année.
Les espèces sont, à part quelques exceptions, d’autant moins
prolifiques, qu’elles occupent un degré plus élevé dans l’échelle des
êtres, et que sont moins grandes leurs chances de destruction. L’espèce
humaine, qui justifie cette règle, est très peu féconde par rapport aux
insectes, aux poissons, et même à la plupart des mammifères. Cependant,
sa puissance prolifique naturelle, lorsque nul obstacle n’intervient
pour la limiter, est suffisante pour peupler, et surpeupler, en un
petit nombre d’années, de considérables espaces. Une femme normale,
c’est-à-dire en bonne santé, et qui ne fait rien pour éviter la
maternité, est apte à concevoir depuis l’âge de seize ou dix-huit ans
jusqu’à celui de quarante-cinq ans, parfois plus, c’est-à-dire pendant
près de trente années, et, si elle s’unit tôt à un homme jeune et
robuste, elle peut avoir de lui douze enfants. C’est là une moyenne qui
n’a rien d’exagéré. Beaucoup de femmes en ont eu quinze, d’autres une
vingtaine. On cite même une Canadienne qui en eut trente-deux !
Cette moyenne de douze enfants par famille a été observée, au début de
la colonisation, dans tous les pays neufs et salubres, où des couples
vigoureux ont été s’établir en pleine nature, et y ont fait souche sur
de vastes territoires, où ne manquaient ni la place, ni les ressources
en subsistances, et où le grand nombre des enfants, au lieu d’être un
facteur de misère, était une condition de prospérité. Si, dans les
grandes nations modernes, les familles de douze enfants et plus
constituent un fait exceptionnel, cela tient à deux sortes de causes
bien différentes. Chez les riches, la recherche du luxe, et le goût de
l’intellectualité, le souci de conserver des formes juvéniles, et de ne
pas morceler en trop de parts les héritages, éloignent les femmes de la
maternité. Chez les pauvres, la crainte de charges familiales venant
compliquer une situation déjà précaire, maintient beaucoup de gens dans
le célibat ou, mariés, les fait recourir à la fraude sexuelle ou aux
terribles procédés de l’avortement clandestin. Et puis, les taudis, la
misère physiologique, les tares alcooliques, syphilitiques ou
tuberculeuses des parents se chargent de pratiquer des coupes sombres
parmi l’enfance des bas quartiers.
Pourtant, malgré ces fléaux divers, auxquels viennent s’ajouter la
guerre, la famine, les épidémies, et l’émigration, la population,
contrairement à ce qu’affirment les nationalistes, continue partout à
s’accroître, même en France, quoique avec une lenteur de plus en plus
marquée. C’est ce phénomène de réduction progressive dans le taux de la
natalité que l’on est convenu, dans les sphères officielles, de nommer
improprement « la dépopulation ». Il n’a pas empêché la collectivité
européenne de doubler en bien moins de cent ans, au cours du XIXè
siècle. Il est donc évident que si une révolution, collectiviste ou
communiste déterminait présentement en Europe une honnête aisance pour
tous les habitants, la fin des conflits armés, et la possibilité du
mariage jeune sans inquiétude pour l’avenir, c’est tous les trente ans,
environ, que l’on verrait doubler le nombre des humains, sur un
continent dont la surface n’est pas extensible, et dont le rendement,
comme produits alimentaires, peut être augmenté par les méthodes
scientifiques, sans pouvoir être néanmoins indéfiniment accru. Il en
résulterait que la société nouvelle se trouverait, à très bref délai,
en présence de difficultés vitales graves que seule la procréation
consciente et volontairement limitée serait à même de résoudre.
Jean MARESTAN.