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FEMINISME du latin femina, femme

Le féminisme est une doctrine ayant pour objet de faire admettre universellement, pour les femmes, des droits égaux à ceux des hommes dans la société humaine. Aucune doctrine n’est plus que celle-ci conformé à un élémentaire esprit d’équité. Cependant, elle a rencontré, et rencontre encore, nombre d’oppositions, dictées par la routine, le fanatisme religieux, ou plus simplement par l’intérêt. Dans beaucoup, de milieux qui se prétendent « avancés », c’est-à-dire ayant là prétention de précéder notablement leurs contemporains sur la voie du progrès, on fait beaucoup de réserves sur la question de l’égalité des sexes. La crainte de compétitions plus nombreuses autour des urnes électorales, et de surprises désagréables quant au résultat du scrutin, paraît être surtout en jeu. Cependant, on dissimule cette appréhension derrière des considérations philosophiques : On prétend que la femme est inférieure à l’homme, physiquement et intellectuellement ; qu’elle est dépourvue de sens administratif, et incapable de se diriger elle-même ; enfin, que son éducation sociale n’est pas faite. Examinons ce que valent ces arguments :

La femme est, en moyenne, de taille et de musculature plus faibles que l’homme, c’est exact. Mais ce qui est une condition rédhibitoire pour des travaux de force, tels le terrassement ou la forge, ne l’est nullement pour d’autres tâches aussi utiles, telles la couture, les soins ménagers, l’infirmerie, ou l’enseignement, pour ne citer que ces exemples. On pourrait même dire que, à notre époque où, de plus en plus, la puissance mécanique remplace avantageusement l’effort musculaire, la collaboration des bras solides est de celles qui offrent de moins en moins d’intérêt pour la production. Le manœuvre disparaît progressivement devant le technicien. Et ce qui fait le technicien, c’est le savoir et l’ingéniosité, non la rudesse de la poigne. Sauf pour ce qui est de la carrière militaire, on ne demande pas aux jeunes hommes qui sortent des grandes écoles un minimum de taille et de tour de biceps. On exige d’eux simplement une suffisante connaissance des matières du programme. Alors qu’un débile, doué, du sexe masculin, peut être reçu dans ces conditions, pourquoi la fragilité féminine, si souvent unie, d’ailleurs, à l’intelligence et à la beauté, serait-elle une infranchissable barrière ?

La plupart des grandes découvertes scientifiques, et des magistrales œuvres d’art, sont dues au sexe masculin. C’est exact encore. Mais leurs auteurs ne sont qu’une infime minorité dans l’espèce humaine. L’immense majorité est représentée par des ouvriers, des artisans, des comptables, aux professions à peu près équivalentes pour les deux sexes. Au manuel qui sollicite une carte syndicale, on ne réclame pas le brevet d’une invention. Au citoyen qui se présente à la mairie, pour avoir sa carte d’électeur, on ne demande ni un certificat médical d’aptitude, ni même la preuve qu’il sait lire. Pourquoi donc des travailleuses habiles, des institutrices, des doctoresses, des poétesses, des artistes de talent seraient-elles tenues à l’écart, alors qu’est reconnu digne de prendre part, à la gérance des affaires publiques, n’importe quel crétin illettré, pourvu que l’état-civil ait témoigné qu’à son bas-ventre était appendu le douteux ornement d’un pénis, alourdi de testicules ?

Pourquoi faut-il que le langage populaire ait fait de ces objets l’emblème du courage civique, dans le même temps que la discrète entrée des paradis charnels ne demeurait prise que pour emblème de la stupidité ?

Pour ce qui est de la thèse de l’incapacité des femmes à régir quoi que ce soit, et se suffire à elle-mêmes, l’expérience de la grande guerre en a fait bonne justice. Pendant que des millions d’hommes étaient mobilisés, des millions de femmes qui, pourtant, n’avaient, en très grande partie, fait aucun apprentissage sérieux de leurs nouvelles fonctions, étaient appelées à les remplacer à l’usine, au bureau, à l’atelier, aux champs, dans les hôpitaux, à la direction de quantité d’entreprises industrielles et commerciales. Or, elles surent fort bien s’adapter à ces exigences imprévues de la vie sociale. Ce qui éloigne surtout la femme de nombre d’activités, qui semblent devoir être éternellement l’apanage du sexe masculin, ce n’est ni la débilité mentale, ni la faiblesse physique, mais bien l’absorbant souci du ménage, et principalement de la maternité, qui a pour mission de perpétuer la vie, et devrait, dans une organisation bien construite être à elle seule suffisante pour conférer, au sein de la société, une place honorable et des égards.

C’est un lieu commun de prétendre que, dans la famille, l’épouse représente, par excellence, l’élément volage, dépensier, frivole. En vérité, ceci ne résiste pas à l’examen des faits. L’homme est aussi fréquemment que sa compagne joueur, débauché, égoïste, prodigue. Il est en revanche, d’ordinaire, beaucoup moins sobre. Ce qui ne doit point signifier que le sexe féminin puisse être pris pour modèle des vertus de l’espèce. La préoccupation de guerroyer pour le droit des plus faibles ne justifie ni l’injustice ni les contre-vérités !

Cependant, discuter sur le féminisme en recherchant qui, de l’homme ou de la femme, a le plus contribué à la prospérité humaine, c’est discuter à côté de la question. De deux choses l’une : Ou, pour être admis à défendre ses intérêts et se prononcer dans les assemblées publiques, on doit être en possession de brillantes facultés intellectuelles, et d’un minimum de savoir, et alors, seule, une élite d’hommes et .de femmes, instruits et capables, aura qualité pour s’occuper de l’organisation sociale, les autres citoyens des deux sexes n’auront qu’à obéir. Ou bien seront jugés dignes de défendre leurs droits et d’exprimer une opinion tous ceux qui participent, à un titre quelconque, à l’activité de la société, en tant que travailleurs manuels ou intellectuels, et alors tous ceux qui se rendent utiles, et sont de bonne volonté, doivent être également pris en considération par l’ensemble. Ce n’est plus le sexe, masculin ou féminin, qui doit compter, mais la qualité de travailleur. Ce n’est plus la forme des génitoires qui doit être retenue, en vue d’une sélection pour un emploi quelconque, mais l’aptitude physique ou intellectuelle à remplir convenablement cet emploi.

On prétend que l’éducation sociale de la femme est en retard. Mais est-elle bien sérieuse, celle du citoyen « conscient » qui ne possède, en fait de connaissances, d’autre bagage sociologique que la lecture de quelques brochures et de son journal préféré ? Les citoyens ne s’expriment-ils pas en conformité de leurs besoins personnels et immédiats, beaucoup plus qu’en raison de données historiques qu’ils ignorent, d’ailleurs, presque tous ? Et si le droit de prendre part aux décisions dans la collectivité c’est le droit, finalement, de faire valoir ses revendications et d’exposer ses doléances, comment pourrait-on admettre, contre toute évidence, que la femme, même si elle n’avait à s’exprimer qu’en tant que fille, épouse et mère, serait seule, dans le genre humain, à n’avoir rien à dire ?

Rien n’a fait plus de mal au féminisme, rationnellement compris, que cette sorte de masculinisme de fait, sinon de théorie, dans lequel se sont complu certaines militantes féministes, en s’efforçant de contrefaire les hommes presque dans la coupe de leurs vêtements, jusque dans leurs vices et leurs laideurs, Une telle attitude n’est pas en faveur du sexe féminin - que l’on semble répudier tout en se faisant son avocat - mais au contraire tout à la louange du sexe masculin - dont on paraît regretter de ne point faire partie tout en le décriant.

Les véritables féministes sont trop épris des qualités particulières et des charmes inhérents au sexe féminin, trop convaincus de leur importance considérable dans les destinées humaines, pour souhaiter leur disparition, en faveur de quelque type nouveau d’humanité ridicule et hybride. Prôner l’égalité des sexes, c’est reconnaître en eux des vertus complémentaires, également nécessaires au bonheur commun ; c’est vouloir les exalter, sans accorder aux unes plutôt qu’aux autres la prééminence. C’est, sans avilir l’homme, rétablir, au profit d’Aphrodite libérée, un culte disparu.

Jean MARESTAN.

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FÉMINISME

Doctrine qui revendique l’émancipation sociale et politique des femmes. Il y a beaucoup de sortes de féminisme comme il y a bien des espèces de socialisme. Le féminisme peut être timoré et se borner à la revendication pour la femme des droits civils, excluant les droits politiques ; il peut être intégral et prétendre à l’égalité complète de la femme et de l’homme dans la société.

Le féminisme, comme le pacifisme et le socialisme, est très ancien. Dès l’aurore des civilisations, il s’est trouvé des femmes supérieures et aussi des hommes épris de justice pour s’élever contre l’esclavage dans lequel la moitié féminine de l’humanité était tenue ; mais on peut dire que le féminisme conçu comme un mouvement d’ensemble est de formation relativement récente, il est une conséquence de la démocratie.

Pendant la grande révolution française, le mouvement féministe a atteint de très fortes proportions. A côté des clubs masculins, il y avait des clubs de femmes, et ils couvraient toute la France. Ces réunions discutaient des questions de l’actualité politique, mais aussi des revendications spéciales aux femmes. A la déclaration des Droits de l’Homme, Olympe de Gouges opposa la déclaration des Droits de la Femme.

En 1830 et en 1848, nous voyons l’agitation révolutionnaire atteindre aussi les femmes. Elles se joignent aux hommes dans les émeutes de la rue ; mais elles tentent aussi de profiter du mouvement d’affranchissement populaire pour obtenir l’émancipation politique et sociale de leur sexe. En 1848, Jeanne Deroin imposa à l’attention de tous, les revendications du féminisme.

Durant la seconde moitié du dix-neuvième siècle, le féminisme prit les proportions d’un mouvement mondial, quoique à la vérité timide et en général assez peu actif.

Presque partout il a été un mouvement bourgeois ; en ce sens qu’il était dirigé et suivi par des bourgeoises. Cela s’explique fort bien. Seule la femme de la bourgeoisie était assez instruite et éclairée pour comprendre la situation inférieure dans laquelle était placé son sexe et vouloir la modifier. La masse des ouvrières et des paysannes, plongées dans l’ignorance, élevées dans les préjugés, subissaient sans murmure le millénaire esclavage dans lequel était tenu leur sexe.

Sans agitation violente, le féminisme obtint peu à peu des succès ; victoires au compte-gouttes si l’on peut ainsi dire. Les universités ouvrirent l’une après l’autre leurs portes aux jeunes filles. Tout d’abord très peu en profitèrent ; les mœurs étaient à cet égard en arrière des lois ; la bourgeoisie ne voyait pour, ses filles d’autre carrière que le mariage ; seules, quelques exceptions ; personnalités supérieures ou plus simplement filles de savants, de professeurs osaient s’asseoir à côté des jeunes gens sur les bancs des facultés.

La grande guerre a précipité la victoire du féminisme universitaire comme du féminisme en général.

La situation des classes moyennes devenue instable par la crise des changes ; le mariage rendu plus problématique par la grande hécatombe de jeunes hommes déterminèrent la bourgeoisie à donner à ses filles une profession libérale qui leur permît, au besoin, de vivre sans le secours d’un homme. Les jeunes filles envahirent les universités où elles étaient parfois durant les années de guerre plus nombreuses que les jeunes gens. L’étudiante longtemps mal tolérée, considérée par les professeurs et les collègues comme une originale, a obtenu aujourd’hui droit de cité ; le baccalauréat est devenu la sanction des études secondaires pour les deux sexes.

Depuis le milieu du dix-neuvième siècle, des États de l’Amérique avaient accordé aux femmes le vote politique ; mais le mouvement était lent.

L’Angleterre, où déjà Stuart Mill avait obtenu en faveur du vote des femmes une forte minorité à la Chambre des Communes réussit à donner au mouvement dit des « Suffragettes », une extension inconnue jusque-là à aucun mouvement féministe. Sans atteindre à l’émeute sanglante qu’elles repoussaient en principe, les féministes anglaises firent pendant une dizaine d’années une propagande des plus actives. Une suffragette sacrifia délibérément sa vie en se jetant sous un cheval du Derby d’Epsom, afin que sa mort serve à la cause du vote des femmes. C’est là une forme originale de propagande par le fait.

La guerre, qui mobilisa pour la première fois les hommes par millions força les États à recourir à la main-d’œuvre féminine. La ménagère déserta sa cuisine pour l’usine et l’atelier, où, pour la première fois, elle eut le plaisir de gagner de hauts salaires dont elle pouvait disposer à son gré, puisque les hommes étaient absents.

L’ouvrière commença alors à comprendre le plaisir de la vie indépendante, même lorsque cette indépendance est chèrement achetée par un long séjour à l’atelier.

Dans l’industrie, dans les emplois divers où on voulut bien l’accepter, les femmes montrèrent qu’elles étaient une force sérieuse de production. Bien des préventions anti-féministes tombèrent, et nombre de pays ont accordé aux femmes le droit de vote, et même l’éligibilité.

Aujourd’hui, les femmes votent, même en Turquie, le pays des harems, où il y a seulement quinze ans, les femmes ne pouvaient sortir que voilées.

La France, à cet égard, reste en arrière, ce qui prouve que nous sommes en réalité un pays très conservateur.

Les anarchistes, qui ne reconnaissent pas la valeur du suffrage universel, ne s’intéressent pas aux revendications politiques des femmes. Mais la société présente n’est pas l’anarchie, et il est naturel que les femmes éprises de justice et d’égalité, revendiquent le droit dans la société d’être ce que sont les hommes.

Si les Françaises n’ont pas eu de succès jusqu’ici sur le terrain politique, la guerre a marqué dans les mœurs un mouvement très net d’affranchissement féminin.

Les modes, tout en restant très féminines, se sont en partie affranchies de tout ce qui dans la mise entravait les mouvements de la femme. Plus de lourds chignons, mal retenus par des épingles ; plus de corsets baleinés qui comprimaient la taille ; plus de jupons empesés ; plus de longues robes incommodes.

Par le sport, la jeune fille a cessé de mettre sa coquetterie dans la faiblesse. Nombre de sports réputés masculins, sont pratiqués par des femmes ; elles forment des sociétés et briguent des championnats.

Enfin, la jeune fille, renonçant aux vieux préjugés, se détermine à vivre la vie sexuelle. La vieille fille éternellement vierge, n’existe plus guère aujourd’hui. Nombre de jeunes personnes, loin de mettre en le mariage tout l’espoir de leur existence, le repoussent, au contraire, comme un esclavage. Mais, à défaut de mari, elles prennent volontiers un ami et elles ont appris à éviter les charges de la maternité.

Doctoresse PELLETIER.