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FIDUCIAIRE (du latin fiducia, confiance)

Ce mot a une popularité relativement récente, et ce n'est que depuis la « paix » qu'il a pénétré dans le peuple. Ce mot « se dit, nous enseigne le Larousse, de valeurs fictives fondées sur la confiance de celui qui les émet ». La monnaie fiduciaire ; la circulation fiduciaire. En principe, chaque billet de banque mis en circulation par un gouvernement est une valeur fictive, et doit avoir son équivalent en or dans les caisses du Trésor. C'est-à-dire que si un Etat a une encaisse or de 5 milliards de francs, il ne doit pas y avoir une circulation fiduciaire supérieure à 5 milliards de francs, de manière à ce que les détenteurs de billets soient en mesure de les échanger à leur gré contre la valeur équivalente en or. On comprendra donc facilement que la circulation fiduciaire repose uniquement sur la confiance d'une population, car si celle-ci est supérieure à l'encaisse or et que la population en réclame - ainsi qu'elle en a légalement le droit - le remboursement, l'Etat serait acculé à la plus sombre faillite.

Avant la guerre, il y avait déjà dans de nombreux pays une circulation fiduciaire supérieure à l'encaisse or de l'Etat, mais cette monnaie fictive s'est accrue, pendant et après la guerre, dans de telles proportions, qu'elle a déséquilibré toute l'organisation économique du système capitaliste et les gouvernants de plusieurs nations sont obligés de recourir à des pis- aller pour tenter de retrouver une stabilité, tout au moins provisoire.

Nous allons, afin de bien déterminer la situation financière des divers états du monde, après la guerre, dresser un tableau indiquant leur encaisse or et leur circulation fiduciaire en 1923 :



PAYS

MONNAIE

ENCAISSE OR

Circulation fiduciaire

France

Franc

5.500.000.000

40.000.000.000

Allemagne

Mark

1.200.000.000

520 quintillions

Belgique

Franc

266.000.000

7.000.000.000

Brésil

Milrès

128.000.000

5.000.000.000

Gde Bretagne

Livre St.

4.000.000.000

10.000 000.000

Canada

Dollar

800.000.000

1.000.000.000

Australie

Livre St.

570.000.000

1.200.000.000

Espagne

Peseta

2.500.000.000

4.300.000.000

Etats-Unis

Dollar

15.000.000.000

10.000.000.000

Italie

Lire

1.000.000.000

17.000.000.000

Japon

Yen

3.000.000.000

8.500.000.000

Pays-Bas

Florin

1.240.000.000

2.200.000.000

Suisse

Franc

641.000.000

981.000.000

Turquie

Livre t.

1.300.000.000

4.000.000.000



On remarquera que, seule, de tous les états du monde, la République des Etats-Unis d'Amérique du Nord a une encaisse or supérieure à la valeur des billets en circulation. Tous les autres pays et particulièrement ceux qui eurent à souffrir directement de la guerre ont une encaisse or terriblement inférieure à la somme de billets de banque jetés sur le marché par des gouvernements à court d'argent. Il en résulte fatalement un désaxage dans les finances publiques, et c'est le travailleur qui, le premier, souffre d'un semblable état de choses.

On s'étonnera peut-être, en constatant, sur le tableau que nous avons tracé, l'énormité de la circulation fiduciaire de l'Allemagne en 1923. C'est qu'au lendemain de la guerre, l'Allemagne poursuivit une politique financière particulière. N'ayant que peu de dettes extérieures, elle considéra qu'elle pouvait jouer sur une monnaie dépréciée, jetée sur le marché pour les besoins de la cause, et de cette façon se libérer assez rapidement des lourdes charges contractées durant ce carnage. Cette opération accula le prolétariat allemand à la famine. La valeur du mark changeait avec une rapidité inconcevable en 1922, et entraînait une augmentation continuelle du coût de la vie. Cette augmentation était si rapide qu'un ouvrier qui, le samedi, touchait le salaire de la semaine écoulée, ne pouvait pas, le lundi, avec le nombre de marks qu'il possédait, acheter ce qui était nécessaire à la vie d'une journée. Il faut dire que la situation de l'Allemagne était exceptionnelle et voulue par les dirigeants. Car, si la situation fiduciaire joue directement un rôle sur la valeur des produits d'importation, en ce qui concerne les produits de provenance intérieure, un gouvernement qui a la faculté d'imposer une valeur à une monnaie fictive, aurait, s'il n'était pas intimement lié à toute entreprise financière commerciale et industrielle, la possibilité - et le devoir - d'imposer de la même façon le prix des marchandises.

Nous avons dit qu'en France, la circulation fiduciaire était, en 1923, de 40 milliards de francs, Si l'on ajoute à cette somme toutes les autres valeurs fictives lancées par l'état, et qui, n'ayant pas directement une puissance d'achat, peuvent être échangées contre des billets de banque, la circulation fiduciaire augmente immédiatement, et nous allons voir que la position financière d'un état ou d'un gouvernement est, de la sorte, subordonnée aux grandes entreprises d'exploitation financière ou industrielle.

En 1923, la dette française par tête d'habitant était de 8.250 francs, et la valeur du franc était de 80 francs à la livre sterling. A 40 millions d'habitants, la dette totale de l'Etat français était donc de 330 milliards de francs. Cette dette totale se répartit en dette à court terme et dette à long terme (voir le mot dette). Dans la dette à court terme, on comprend les Bons de la Défense nationale, les Bons du Trésor, dont le remboursement peut être exigé presque immédiatement par ceux qui les détiennent. Or, ces bons, directement ou indirectement, sont entre les mains des grosses associations financières ; et, selon l'attitude du gouvernement, ils les renouvellent ou en réclament l'échange contre des billets de banque qui ont une puissance directe d'achat. Lorsque l'Etat n'est pas en mesure de rembourser, il a recours à l'inflation, c'est-à-dire qu'il fait imprimer à nouveau de la monnaie fiduciaire ; mais on conçoit que ceci ne s'opère pas sans inconvénient, et que la panique s'empare assez rapidement de la population, lorsque la monnaie se déprécie. La haute finance spécule sur ce sentiment populaire, et la crainte de l'ouvrier ou de l'épargnant de voir la puissance d'achat de son argent s'affaiblir, permet à la finance et à l'industrie de tenir sous leur coupe les gouvernements, à quelque parti qu'ils appartiennent. D'autre part, un gouvernement ne peut se livrer à l'inflation sans le concours et la complicité des maîtres de la finance. En effet, comme nous le disons plus haut, la circulation fiduciaire repose sur la confiance ; or, la finance qui détient le monopole de la presse, qui a un pouvoir de propagande formidable, aurait tôt fait de briser cette confiance, si un gouvernement lui résistait. Et une population refusant les billets mis en circulation acculerait l'Etat à la banqueroute,

La population d'un pays est généralement impressionnée par la hausse ou la baisse de la devise nationale, sans saisir exactement les causes de ces fluctuations continuelles. Certains économistes démocrates conseillent la stabilisation de la monnaie pour mettre fin à la spéculation facilitée par une monnaie instable ; mais sur ce terrain, les groupes financiers ne sont pas d'accord, leurs intérêts étant différents et, impuissant, le peuple assiste à une bataille financière dont il paie tous les frais.

En réalité, si certains groupes de financiers sont adversaires d'une revalorisation ou d'une stabilisation de la monnaie, ce n'est que provisoire. Ils en seront partisans le jour où, avec cette monnaie dépréciée, ils auront acquis une plus grande puissance économique en la transformant en propriétés. Une revue française signalait en décembre 1926, le cas d'un syndicat financier international, qui se porta acheteur de 8 à 10 milliards de francs, ce qui provoqua la hausse de cette valeur de 50 p. 100.

« Quel est donc l'intérêt qui fait agir le syndicat international? demandait cette revue. Il est peu probable que ce soit dans l'unique but d'améliorer la cote du franc sur le marché mondial, ou, d'autre part, de provoquer une crise économique, industrielle et commerciale en France? C'est uniquement l'espoir d'une opération fructueuse qui l'a décidé à acheter ces masses de francs...

Il est possesseur d'une masse considérable de francs, mais s'il fait monter notre devise en l'achetant, ne risque-t-il pas de l'anéantir au jour où il voudra dénouer l'opération? »

D'autre part, cette masse de monnaie fiduciaire permet aux groupes de capitalistes qui la possèdent d'accaparer les richesses sociales, et l'on peut être certain qu'au jour où leurs opérations seront terminées, ils ne s'opposeront plus à la revalorisation ou à la stabilisation.

Ces vastes questions financières sont complexes et peu accessibles à l'esprit populaire qui n'en ressent que les contrecoups, sans en connaître les causes ; cependant, la large circulation fiduciaire nous aura démontré ceci : c'est que l'argent où la monnaie en soi n'a aucune valeur réelle, mais simplement une valeur spéculative. Lorsque le peuple s'inspirera de cette idée que la monnaie est une entrave à la vie, et que, loin d'améliorer les procédés d'échange, elle les complique, un grand pas sera fait vers l'organisation d'une société économique plus libre. Supprimer toute la monnaie, c'est permettre à chacun de vivre selon ses besoins, et c'est le but le plus près que nous devons atteindre.