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GÉNÉALOGIE n.f. (du grec genos, race, et logos, discours)

La généalogie est la science qui a pour objet d'établir le dénombrement des ancêtres d'un individu, la filiation d'une famille jusqu'à son premier auteur. Dans la noblesse, en vertu d'un préjugé ridicule qui subsiste encore de nos jours malgré les progrès du démocratisme, un individu qui connaît ses origines lointaines et peut produire des titres les établissant, est considéré comme un être d'essence supérieure. Le roturier est celui qui ne connaît pas ses origines.

Voltaire a, sur la généalogie, écrit une page pleine de satire et d'ironie : « Aucune généalogie, dit-il, n'approche de celle de Mahomet ou Mohammed, fils d'Abdallah, fils d'Abd’-all-Moutabeb, fils d'Ashem ; lequel Mahomed fut, dans son jeune âge, palefrenier de la veuve Cadisha, puis son facteur, puis son mari, puis prophète de Dieu, puis condamné à être pendu, puis conquérant et roi d'Arabie, puis mourut de sa belle mort, rassasié de gloire et de femmes. Les barons allemands ne remontent que jusqu'à Vitikind, et nos nouveaux marquis français ne peuvent guère montrer de titres au delà de Charlemagne ; mais la race de Mahomet ou Mohammed, qui subsiste encore, a toujours fait voir un arbre généalogique dont le tronc est Adam, et dont les branches s'étendent d'Ismaël jusqu'aux gentilshommes qui portent aujourd'hui le grand titre de cousin de Mahommed. Nulle difficulté sur cette généalogie, nulle dispute entre les savants, point de faux calculs à rectifier, point de contradictions à pallier, point d'impossibilité qu'on cherche à rendre possible. Votre orgueil murmure de l'authenticité de ces titres ? Vous me dites que vous descendez d'Adam, aussi bien que le grand prophète, si Adam est le père commun ; mais que cet Adam n'a jamais été connu de personne, pas même des anciens Arabes ; que ce nom n'a jamais été cité que dans les livres juifs ; que, par conséquent, vous vous inscrivez en faux contre les titres de noblesse de Mahomet ou Mohammed. Vous ajoutez qu'en tout cas, s'il y a eu un premier homme, quel qu'ait été son nom, vous en descendez tout aussi bien que l'illustre palefrenier de Cadisha ; et que, s'il n'y a point eu de premier homme, si le genre humain a toujours existé, comme tant de savants le prétendent, vous êtes gentilhomme de toute éternité ? A cela, on vous réplique que vous êtes roturier de toute éternité, si vous n'avez pas vos parchemins en bonne forme. Vous répondez que les hommes sont égaux, qu'une race ne peut être plus ancienne qu'une autre ; que les parchemins auxquels on fend un morceau de cire sont d'une invention nouvelle ; qu'il n'y a aucune raison qui vous oblige de céder à la famille de Mohammed, ni à celle de Confutzée, ni à celle des empereurs du Japon, ni aux secrétaires du roi du grand Collège. Je ne puis combattre votre opinion par des preuves physiques, ou métaphysiques, ou morales. Vous vous croyez égal au daïri du Japon, et je suis entièrement de votre avis. Tout ce que je vous conseille, quand vous vous trouverez en concurrence avec lui, c'est d'être le plus fort. »

De nos jours, cependant, il ne suffit plus d'avoir un nom, et de connaître ses origines, pour briller dans le monde. La généalogie d'un individu ne suffit pas si cet individu n'est pas en puissance d'argent. Mais la bourgeoisie est encore tellement imprégnée de vieux préjugés, tellement jalouse de la vieille noblesse déchue, qu'elle n'hésite pas parfois à échanger son argent contre un titre de noblesse et à acheter une généalogie. Le travailleur, le plébéien, n'a pas besoin de connaître le nom de ses ancêtres ; il n'a pas besoin de fouiller le passé pour connaître ses ascendants. Il sait. Il sait qu'il a faim depuis toujours, que son père, son grand-père, son aïeul eurent faim et que, depuis la plus lointaine antiquité, dans tous ses ancêtres il fut honteusement opprimé et toujours dépossédé du fruit de son travail. Qu'importe le nom des esclaves qui le précédèrent. Ce furent des esclaves et c'est tout. Mais, si le peuple ignore le nom de ceux qui le précédèrent dans la souffrance et dans la misère, il a compris que ce n'est que par la révolte qu'il arrivera à transformer une société qui l'opprime et l'empêche de conquérir le bonheur. Et il sait que, demain, il triomphera de la bataille gigantesque qui se livrera et que toute la noblesse, toute la bourgeoisie, toute la ploutocratie verra son règne se terminer pour le plus grand bonheur des hommes.