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GENÈSE n. f. (du grec genesis, origine, naissance)

On donne le nom de genèse à l'ensemble des faits qui ont concouru à la formation de quelque chose. La genèse de la Révolution ; la genèse de la guerre; la genèse d'un drame.

La « Genèse » est également le titre du premier livre du Pentateuque qui, en cinquante-deux chapitres, traite de la création du monde jusqu'à la mort du patriarche Joseph, c'est-à-dire durant une période de 2.700 ans environ. Ce livre, d'inspiration « divine », est bien à tort attribué à Moïse, le grand prophète juif, dont l'existence elle-même est douteuse ; mais de même que les chrétiens prêtent à Luc, à Marc ou à Jean la rédaction de leurs évangiles canoniques, les juifs crurent devoir, bien avant l'ère chrétienne, attribuer à Moïse un livre qui fait autorité dans la religion judaïque. Rien cependant n'est moins vraisemblable ; et même, en supposant que Moïse ait existé, il ne peut être l'auteur d'un ouvrage fabuleux, fantastique, tel que le Pentateuque, car il y a de telles contradictions dans cet ouvrage « d'inspiration divine », qu'il est impossible d'en attribuer la rédaction à un seul homme.

La création du monde est, dans la « Genèse », racontée de deux façons différentes. Dans le premier récit, « Dieu » est appelé « Elohim », dans le second « Jahveh ». On a donc donné le nom de « Elohiste » et de « Jehoviste » à chacun de ces récits. A titre de spécimen, nous donnons quelques passages de ces deux récits ; on remarquera que la création d'Eve, que le péché d'Adam n'existent que dans le récit Jehoviste.

Récit Elohiste. - I. - 1. Au commencement, Elohim créa les cieux et la terre. 2. La terre était un chaos ; le souffle d'Elohim se mouvait sur les eaux. 3. Elohim dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. 4. Et Elohim vit la lumière, qu'elle était bonne, et Elohim sépara la lumière d'avec les ténèbres. 5. Et Elohim nomma la lumière jour, et les ténèbres nuit ; et il fut soir, et il fut matin ; un jour. 6. Elohim dit : « Qu'il y ait un firmament entre les eaux ! »… 9. Elohim dit : « Que les eaux qui sont sous les cieux se rassemblent et que le sec apparaisse. »… 11. Et Elohim dit : « Que la terre produise la verdure, l'arbre fruitier portant le fruit suivant son espèce. »… 14. Elohim dit : « Qu'il y ait des luminaires dans le firmament pour diviser le jour d'avec la nuit. »… 20. Elohim dit: « Que les eaux fourmillent de vie et que les oiseaux volent sur la terre. »… 21. Et Elohim créa les monstres marins et tous les êtres dont fourmillent les eaux, et tout oiseau ailé. 22. Et Elohim les bénit en disant : « Soyez féconds, multipliez et remplissez les eaux des mers, et que l'oiseau multiplie sur la terre ! » 24. Et Elohim dit : « Que la terre produise des êtres vivants suivant leurs espèces. » 26. Et Elohim dit : « Faisons l'homme à notre image » ; mâle et femme, il les créa. 28. Et Elohim les bénit et il leur dit : « Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre et l'assujettissez ! » 29. Et Elohim dit : « Voici, je vous donne toute herbe portant semence et tout arbre qui a un fruit... pour votre nourriture. »

II. - 1. Et furent achevés les cieux et la terre et toute leur armée. 2. Et Elohim acheva au septième jour son œuvre ; et au septième jour il se reposa. 4. Ceci est les généalogies des cieux et de la terre, lorsqu'ils furent créés.

Récit Jehoviste. - II. - 4. Au jour que Jahveh Elohim fit la terre et les cieux. 5. Aucun arbuste n'était encore sur la terre, aucune herbe n'avait encore germé, parce que Jahveh Elohim n'avait pas encore fait pleuvoir sur la terre, et il n'y avait pas d'hommes pour cultiver le sol. 6. Mais une nuée s'éleva de la terre et arrosa le sol. 7. Et Jahveh Elohim forma l'homme de la poussière du sol et souffla dans ses narines le souffle de vie. 8. Et Jahveh Elohim planta un jardin dans l'Eden et y plaça l'homme qu'il avait formé. 9. Et Jahveh Elohim fit pousser du sol tout arbre agréable, et l'arbre de vie au milieu du jardin et aussi l'arbre de la science du bien et du mal. 15. Jahveh Elohim prit l'homme et l'établit dans le jardin d'Eden pour le cultiver et le garder. 16. Et Jahveh Elohim ordonna à l'homme, en lui disant : « De tout arbre du jardin tu peux manger. » 17. Mais de l'arbre de la science du bien et du mal tu ne mangeras pas, car au jour où tu en mangeras tu mourras de mort. 18. Et Jahveh Elohim dit : « Il n'est pas bon que l'homme soit seul ; je lui ferai une aide qui lui corresponde. » 21. Alors Jahveh Elohim fit tomber un profond sommeil sur l'homme, il prit une de ses côtes et enferma la place avec de la chair, 22. Et Jahveh Elohim forma le côté qu'il avait pris à l'homme, en femme, et il l'amena à l'homme...

III. - 1. Le serpent était rusé par-dessus tous les animaux des champs et il dit à la femme : « Jahveh Elohim a-t-il réellement dit : Vous ne mangerez aucun arbre du jardin ? » 2. Et la femme dit au serpent : « Nous mangeons les fruits des arbres du jardin. » 3. Mais quant au fruit de l'arbre qui est au milieu du jardin, Elohim a dit : « Vous n'en mangerez pas et n'y toucherez pas pour ne pas mourir. » 4. Et le serpent dit à la femme : « Vous n'en mourrez pas... 5. Car Elohim sait qu'au jour où vous en mangerez vos yeux s'ouvriront et vous serez comme Elohim, connaissant le bien et le mal. » 6. Et la femme... prit du fruit de l'arbre et en mangea, et elle en donna à son mari, près d'elle, et il en mangea... 8. Et ils entendirent la voix de Jahveh Elohim qui parcourait le jardin à la brise du soir. Et il dit : « De l'arbre dont je t'avais défendu de manger, est-ce que tu en as mangé ? » 12. Et l'homme dit : « La femme m'a donné du fruit de l'arbre et j'ai mangé. » 13. Et Jahveh Elohim dit à la femme : « Pourquoi as-tu fait cela ? » Et la femme dit : « Le serpent m'a séduite et j'ai mangé. » 14. Jahveh Elohim dit au serpent : « Puisque tu as fait cela, tu es maudit... tu marcheras sur ton ventre et tu mangeras la poussière. 15. J'établirai une inimitié entre toi et la femme, entre ta race et sa race ; celle-ci t'écrasera la tête et tu lui blesseras le talon. » 16. A la femme il dit : « J'augmenterai la peine de la grossesse ; tu enfanteras dans la douleur. » 17. Et à l'homme il dit : « Tu mangeras dans la peine tous les jours de ta vie. 19. Tu mangeras ton pain à la sueur de ton visage, jusqu'à ce que tu retournes au sol d'où tu as été pris ; car tu es poussière et tu retourneras à la poussière... » 22. Et Jahveh Elohim dit : « Voici l'homme est devenu comme l'un de nous pour la connaissance du bien et du mal ; mais maintenant qu'il n'étende pas sa main pour prendre de l'arbre de vie, manger et vivre éternellement. » 23. Et Jahveh Elohim l'expulsa du jardin de l'Eden pour qu'il cultivât le sol d'où il avait été pris.

Examinons tout d'abord une des contradictions essentielles de ces deux textes. Les versets 27 et 28 du texte élohiste nous disent que « Elohim créa l'homme à son image ; homme et femme, et les créa », alors que dans le texte Jéhoviste la femme est formée d'une côte prise sur l'homme. D'un côté Dieu bénit l'homme et la femme et leur dit de peupler la terre et de l'assujettir, alors que, dans le second texte, l'enfantement est pour la femme une punition à ses péchés. Il semble donc absolument impossible que le même auteur ait pu rédiger ces deux récits.

Poussons plus loin l'analyse de ces textes qui sont acceptés, non seulement par la religion juive, mais également par toutes les autres religions occidentales, et voyons sur quoi repose cette idée, d'un dieu créateur, d'un dieu tout-puissant, qui, depuis des siècles, domine le monde. Tout d'abord, le récit Jéhoviste nous apprend qu'à l'origine le serpent parlait, et il en était probablement ainsi de tous les autres animaux peuplant la terre ; de plus, il nous faut supposer qu'il avait des jambes et était constitué physiquement comme l'homme, puisque c'est sa séduction qui lui valut la peine infligée par Dieu. C'est peut-être une explication simpliste de la variété des individus, mais certains s'en contentent. Pour nous tout cela est, en vérité, un joli conte susceptible peut-être de distraire un enfant; mais qu'au vingtième siècle, des êtres sains d'esprit, à ce que l'on prétend, soient encore attachés à de telles croyances, c'est ce qui nous paraît inconcevable.

D'autre part, nous ne voyons pas bien quelle est la puissance de ce Dieu qui dit : « Voici l'homme devenu comme l'un de nous par la connaissance du bien et du mal », et qui le chasse du jardin de l'Eden, de crainte que, mangeant du fruit de l'arbre de vie, il ne vive éternellement. Dans l'esprit comme dans la lettre, cela veut dire que si l'homme avait mangé du fruit de l'arbre de vie, Dieu se fût trouvé dans l'incapacité de punir l'homme par la mort.

En outre, le pluriel employé, dans le texte de la « Genèse », nous porte à croire qu'il ne s'agit pas d'un Dieu, mais de plusieurs « Dieux » et, par conséquent, de « Créateurs » multiples. Les juifs devaient, en effet, être polythéistes à l'origine et le mot Elohim lui-même nous le prouve. Elohim, en hébreu est, en effet, un pluriel dont le singulier est : eloah. Que devient alors cette idée d'un « Dieu » unique, puissant, d'un Créateur maître de toutes choses, maître du monde ?

Il n'est même pas besoin de se placer sur le terrain scientifique de l'origine des espèces pour détruire la Genèse ; elle se détruit elle-même, dans l'esprit d'un homme sain, par ses absurdités.

Signalons également que la « Genèse » n'est pas une création particulière des Juifs et que d'autres religions, bien antérieures au judaïsme, avaient imaginé la création du monde de façon fantasmagorique.

« Tous les peuples dont les Juifs étaient entourés, dit Voltaire, avaient une Genèse, une Théogonie, une Cosmogonie, longtemps avant que ces Juifs existassent. Ne voit-on pas, évidemment, que la Genèse des Juifs était prise des anciennes fables de leurs voisins ?

« Jaho, J'ancien dieu des Phéniciens, débrouilla le chaos, le Khautereb ; il arrangea Muth, la matière ; il forma l'homme de son souffle, Calpi ; il lui fit habiter un jardin, Aden ou Eden ; il le défendit contre le grand serpent Ophienée, comme le dit l'ancien fragment de Phérécide. Que de conformités avec la « Genèse » juive ! N'est-il pas naturel que ce petit peuple grossier ait, dans la suite des temps, emprunté les fables du grand peuple inventeur des arts ?

« C'était encore une opinion reçue d'Asie que Dieu avait formé le monde en six temps, appelés chez les Chaldéens, si antérieurs aux Juifs, les six gahambârs.

« C'était aussi une opinion des anciens Indiens. Les Juifs, qui écrivirent la Genèse, ne sont donc que des imitateurs ; ils mêlèrent leurs propres absurdités à ces fables, et il faut avouer qu'on ne peut s'empêcher de rire quand on voit un serpent parlant familièrement à Eve, Dieu parlant au serpent, Dieu se promenant chaque jour, à midi, dans le jardin d'Eden, Dieu faisant une culotte à Adam et un pagne à sa femme Eve. Tout le reste paraît aussi insensé ; plusieurs Juifs eux-mêmes en rougirent ; ils traitèrent dans la suite ces imaginations de fables allégoriques. Comment pourrions-nous prendre au pied de la lettre ce que les Juifs ont regardé comme des contes ? » (Voltaire, Le Tombeau du Fanatisme, ou l'Examen important de Milord Bolingbroke).

La Genèse est donc définitivement condamnée pour tout être sérieux, sensé, logique. Elle est condamnée par le raisonnement d'abord et par la science ensuite. L'Eglise, cependant, ne désarme pas et elle poursuit son oeuvre de corruption intellectuelle. Pétrissant le cerveau des enfants, le bourrant d'anecdotes mensongères et ridicules, elle fait des bambins qui lui sont confiés des êtres incomplets, incapables de penser sainement et de se conduire librement dans la vie.

L'entant est un petit être curieux et confiant. Dès son plus jeune âge il cherche à savoir et à s'expliquer tous les phénomènes de la vie. Son esprit éveillé le porte à questionner ; il veut savoir le pourquoi de toutes choses et est toujours porté à admirer ce qui lui paraît grandiose. C'est pourquoi il aime tous les contes de fées. Il admire la force et la puissance de ces êtres surnaturels, lui qui se sent si petit et si faible, et l'explication simpliste de la création du monde, qui lui évite de fouiller et de chercher, le satisfait pleinement. C'est la force de l'Eglise de savoir profiter de l'inexpérience de la jeunesse, et c'est pourquoi l'Eglise est dangereuse. Une fois que le poison a pénétré dans le cerveau d'un gosse, il est difficile de l'en extirper ; même lorsque l'enfant a atteint l'âge d'homme, un flottement, une incertitude subsistent, et cela engendre la crainte de l'inconnu qui est un facteur de lâcheté et d'esclavage. Gardons-nous donc nous-mêmes de conter aux enfants des histoires qui peuvent paraître inoffensives et cependant font des ravages. Tâchons, petit à petit, de leur expliquer les phénomènes de la vie, détruisons systématiquement toute idée légendaire de la création et nous arriverons rapidement à la genèse d'une ère nouvelle.

- J. CHAZOFF.