GÉNIE n. m.
Le génie est la plus haute expression de la supériorité intellectuelle caractérisée par des inventions, des découvertes, des oeuvres philosophiques, scientifiques, littéraires ou artistiques, une action politique ou sociale qui intensifie notre connaissance de l'univers et contribue au progrès de l'humanité.
On a beaucoup divagué à propos du génie. Lombroso et ses disciples en ont fait un état anormal voisin de l'épilepsie et de la folie. Cette opinion ne faisait que justifier une vieille croyance.
Nihil est injenium sine aliqua stultitia, dit un proverbe latin ; il n'est pas de génie sans quelque grain de folie.
Il est possible que, les forces humaines étant limitées, l'hypertrophie d'une ou de plusieurs facultés intellectuelles soit compensée, chez l'homme de génie, par la déficience des autres. Mais il est difficile d'avoir à ce sujet une documentation sérieuse. Les tares, apparentes chez l'homme de génie, qui est un point de mire, passent inaperçues chez la masse des hommes ordinaires. L'épilepsie d'un Dostoïevski frappe tout le monde ; mais il ne faut pas oublier que la presque unanimité des épileptiques n'ont rien de génial.
L'inspiration géniale a aussi fait dévier bien des auteurs. On l'a comparée à une hallucination.
Newton, génie lui-même, réfute cette opinion lorsqu'il nous dit que « le génie n'est qu'une longue patience » et qu'il a découvert la gravitation « en y pensant toujours ».
Il n'est pas d'ailleurs, lui non plus, dans la vérité. Certes, les découvertes géniales ne tombent pas du ciel comme une communication médianimique. Celui qui n'a pas étudié une science n'y découvre jamais rien. Mais, en revanche, on peut penser longtemps à une question sans y rien découvrir de nouveau. Il faut renverser l'assertion de Newton. Si Newton est un génie ce n'est pas parce qu'il a eu la patience ; il a, au contraire, eu la patience parce qu'il avait du génie.
Il n'est pas donné à tout le monde de poursuivre pendant toute une vie la solution d'un grand problème abstrait.
Le génie est inné : l'enfant l'apporte en naissant, sous l'influence de causes qui nous sont inconnues. L'hérédité, tout en y jouant un rôle, est insuffisante à le produire. D'abord il faudrait que le couple fût génial et non pas seulement un des deux conjoints ; condition en pratique irréalisable.
La plus haute instruction, la meilleure éducation ne sauraient donner du génie à qui n'en a pas. Néanmoins, si l'instruction ne donne pas de génie, elle est la condition indispensable de son développement. C'est ainsi qu'on trouve parfois dans la classe ouvrière des hommes extraordinairement doués qui, parce qu'ils ont eu le malheur d'avoir des parents pauvres, ne produiront jamais rien de grand. Il en est qui refont des découvertes déjà faites depuis des siècles, mais qu'ils ignoraient. Le monde stupide et barbare se moque d'eux et les traite volontiers de toqués ; ils auraient été de grands hommes si la société avait été plus juste.
La société actuelle ne fait rien pour le développement des génies. L'intelligence n'est estimée que de manière secondaire ; ce qui domine tout, c'est l'argent. Pour permettre le développement d'un génie, il faut donc, outre les dons naturels, des circonstances heureuses qui sont seulement le lot d'un petit nombre de privilégiés.
On dit souvent que les obstacles favorisent les génies. C'est une erreur grossière. Il est des génies qui triomphent en dépit des obstacles ; mais on oublie tous ceux qui sont vaincus et que, par suite, on ne peut connaître, car le génie, c'est le succès.
« Le peuple n'aime pas les sages; il supporte plus difficilement l'aristocratie de la raison que celle de la naissance et de la fortune », a dit justement Renan.
Seul, l'homme de génie qui a conquis la gloire, les honneurs et l'argent s'impose au public. Mais encore, à moins que la spécialité de l'homme illustre ne la touche directement, - Pasteur qui guérit la rage, - la masse n'aime pas les supériorités. Lombroso s'est fait l'interprète de cette masse lorsqu'il impute aux hommes de génie tous les méfaits et tous les vices. D'après l'auteur italien, ils sont impérieux, égoïstes, cruels ; les rares femmes de génie avaient de mauvaises moeurs.
Il y a cependant une part de vérité dans ces opinions malveillantes. De même que le pouvoir politique a une influence détestable sur le caractère, le pouvoir moral de l'homme illustre a pour effet de le rendre parfois insupportable dans la vie privée. Grisé par sa popularité, le génie se croit facilement au-dessus de l'humanité et il a une tendance à traiter en esclaves le reste des hommes.
Tout en admirant les hommes de génie qui sont le ferment du progrès humain, il ne faut pas les adorer sans réserves.
D'abord il ne faut pas oublier que l'homme universellement génial n'existe pas. La plupart des grands hommes ne sont que de grands spécialistes. Pasteur, génial en bactériologie et en cristallographie, n'avait pu s'affranchir de la religion.
De tels hommes doivent être écoutés avec déférence dans la matière dont ils se sont occupés mais, pour le reste, leur opinion ne saurait prévaloir. Il ne faut pas croire en Dieu parce que Pasteur y croyait.
Dans la société de l'avenir, l'intelligence sera mise à la place occupée aujourd'hui par l'argent. L'instruction, donnée libéralement à tous les enfants, permettra l'éclosion en beaucoup plus grand nombre des hommes et des femmes de génie.
- Doctoresse PELLETIER.