GOUVERNEMENT n. m.
Action de conduire, d'administrer, de diriger, de gouverner. Le gouvernement est l'organisme qui se trouve à la tête d'une nation, d'un Etat. Un gouvernement républicain ; un gouvernement impérial ; un gouvernement monarchiste. Il y a plusieurs formes de gouvernement dont les deux principales sont : le gouvernement absolu et le gouvernement représentatif. Dans le premier cas, le Pouvoir est exercé par un souverain, un monarque ou un chef, qui ne sont soumis à aucune règle, sauf celle du bon plaisir, et à aucun contrôle ; dans le second cas, le Pouvoir est confié par un Parlement à des délégués supposés représenter la majorité de la nation. Nous verrons, par la suite, qu'il n'y a, en réalité, que peu de différence entre ces deux formes de gouvernement.
De nos jours, il n'y a plus, à proprement parler, de gouvernements qui s'avouent absolus ; presque tous se réclament de la démocratie et prétendent être l'émanation de la volonté populaire. Ce qu'il y a de plus paradoxal, c'est que, généralement, les peuples ne s'aperçoivent pas que les gouvernements changent d'étiquette mais que la chose reste la même.
La première question qui se pose est de savoir si le gouvernement répond à un besoin social et s'il est possible de se passer de gouvernement. Nous ne tiendrons pas compte des arguments apportés en faveur du principe de gouvernement par les éléments de conservation sociale, puisque ces derniers se condamnent eux-mêmes en empruntant des drapeaux qui ne sont nullement le reflet de leurs opinions. Ce qui est intéressant à considérer, c'est la thèse soutenue par les hommes de progrès, d'avant-garde, qui, malgré les enseignements de l'Histoire, restent des chauds partisans du principe d'autorité et, par conséquent, en matière sociale, du principe de gouvernement.
Une des meilleures apologies que nous ayons lues en faveur du gouvernement, ou plutôt du principe gouvernemental, est celle que développe Lachâtre dans son Dictionnaire Universel, et dont nous reproduisons quelques passages afin de mieux combattre ensuite cette idée de gouvernement qui nous apparaît comme une erreur séculaire que l'on veut perpétuer. « Lorsque l'on prend la nature humaine non dans l'idée, mais dans le fait, dit Lachâtre, on est frappé du plus affligeant spectacle. L'homme, hélas ! qui devait faire les délices de la société, est devenu le scandale et l'effroi de son semblable. La passion triomphant des nœuds les plus doux, des amis, des frères, des époux, ne peuvent vivre ensemble sans trouble et sans discorde. Que dire des haines déclarées et de la guerre ouverte ? Les hommes, changés en bêtes féroces, se dévorent entre eux : l'homme est un loup pour l'homme. Insociables par leurs vices et exposés à tant d'attaques, les hommes ne vont-ils pas se fuir d'une fuite éternelle ? Mais l'instinct social parle plus haut que les périls : le besoin d'aimer et d'être aimé rapproche les cœurs, malgré tous les défauts. D'ailleurs, la terre a des bornes, il faut s'en tendre pour la cultiver. De la diversité des aptitudes naît spontanément la division des travaux et, celle-ci établie, les individus ne peuvent se quitter sans périr. Dès lors, il ne s'agit plus de renoncer à l'état social, mais de l'affermir contre la corruption humaine : c'est l'objet des gouvernements. A l'idée de droit se lie naturellement celle d'inviolabilité. Le droit n'existe pas s'il est permis de l'outrager impunément ; il renferme la faculté de repousser les atteintes qu'on lui porte et c'est ce qui fonde l'emploi légitime de la force. Le droit de défense et de punition, comme tout autre droit, réside primitivement et ne peut résider que dans les individus ; mais ces individus sont des êtres sociables et, comme tels, ils sont tenus de l'exercer, autant que possible, en commun. »
« Cependant, la défense commune n'est réellement assurée que quand tous se concertent d'avance pour constituer un centre de protection sociale, une force publique redoutable aux malfaiteurs, et, par la certitude d'une répression énergique, prévenir la plupart des attentats. Dès lors, à la société naturelle ou exclusivement fondée sur la raison et les affections, vient s'ajouter la société positive, appelée aussi société politique ou Etat. Selon l'idée la plus générale qu'on s'en puisse former, c'est l'organisation permanente et régulière de la force au service de la justice. »
« Le gouvernement n'est, en réalité, que l'organisation sociale du droit de punir. Or surveiller, réprimer, punir, c'est faciliter l'action libre des bons citoyens ; ce n'est point se substituer à eux pour agir à leur place. » (Lachâtre).
Voilà donc la thèse que soutenait, il y a un peu plus de cinquante ans, un savant révolutionnaire, et que soutiennent encore tous les révolutionnaires, qui affirment que les hommes ont besoin d'être dirigés et gouvernés ! Car il faut avouer que la grande majorité des humains ne conçoit pas l'organisation d'une société sans autorité ni gouvernement, et c'est ce qui explique que l'on a fait du mot Anarchie le synonyme de désordre. Les Anarchistes sont, par conséquent, les seuls qui combattent l'idée de gouvernement, et ils s'appuient, pour cela, non seulement sur la logique et le raisonnement, mais aussi et surtout sur l'exemple et l'expérience du passé.
Deux formules sont surtout à souligner sur l'idée que se fait Lachâtre du gouvernement : 1° « C'est l'organisation permanente et régulière de la force au service de la justice. » Or la justice et la force sont deux principes qui ne peuvent se mêler, s'associer et qui, bien au contraire, se combattent. En aucun cas la justice ne peut reposer sur la force. La violence momentanée, provisoire, accidentelle, peut être un moyen pour lutter contre l'arbitraire et l'injustice, et c'est le cas pour ce que nous appelons la révolution ; mais sitôt que la force, la violence, sont érigées en principes, qu'elles se confondent pour former une organisation permanente, même au service de la plus noble des causes, elles deviennent un facteur de régression et de répression, au lieu d'être un facteur d'évolution et d'humanité.
L'erreur primaire de tous ceux qui croient en la faculté progressive et civilisatrice d'un gouvernement, est de s'imaginer que l'égalité et la justice peuvent s'exercer dans les cadres de la légalité. Par extension ils deviennent fatalement partisans de la loi, de ceux qui la font et de ceux qui sont chargés de la faire respecter. Or, il a été, à maintes reprises, démontré que la loi n'était nullement un facteur de progrès, mais qu'au contraire, elle sanctionnait ordinairement des mœurs passées et bien souvent tombées en désuétude. Ce n'est qu'en se dressant contre la loi, contre les gouvernements et contre l'ordre établi, que se poursuit l'évolution des sociétés. Si nos ancêtres ne s'étaient jamais dressés contre les gouvernements monarchiques, jamais la république n'aurait vu le jour et jamais nous n'aurions bénéficié des bienfaits indiscutables, bien qu'incomplets, que nous a légués la Révolution française.
Un gouvernement est, par essence, conservateur ; il ne peut pas ne pas l'être, et il coule de source qu'il ne peut pas être alors révolutionnaire. C'est un paradoxe d'être en même temps révolutionnaire et gouvernemental, car un gouvernement est toujours adversaire de la révolution ; s'il en était autrement, le gouvernement lutterait contre lui-même et signalerait ainsi son inutilité ; ce qui est ridicule.
« Le gouvernement, dit ensuite Lachâtre, n'est, en réalité, que l'organisation sociale du droit de punir. » C'est la plus belle formule qui, à notre esprit, démontre le rôle régressif que jouent tous les gouvernements, quels que soient leurs drapeaux. En effet, c'est bien là le rôle essentiel de tous les gouvernements. Mais ce qu'il faudrait démontrer, c'est que le droit de punir, dans les cadres de la loi, est conforme au droit d'égalité, de justice et d'humanité. Punir ? Mais punir qui ? Ceux qui se mettent en marge de la loi, ceux qui considèrent que tout n'est pas pour le mieux dans le meilleur des mondes, et qui se révoltent contre l'injustice qui règne en maîtresse sur toute la surface du globe. Nous avons dit et nous ne cesserons de répéter que la loi, dans une société reposant sur des principes de propriété, ne peut être que favorable à ceux qui possèdent et que la répression ne peut s'exercer que contre ceux qui ne possèdent pas. Il en résulte donc que le droit de punir, qui incombe au gouvernement, ne s'exerce, en fait, que contre ceux qui ne possèdent rien, et la formule de Lachâtre, pour être complète et raisonnable, devrait être : « Le gouvernement est l'organisation sociale du droit de punir ceux qui ne possèdent pas de richesses sociales. » Il suffit, du reste, d'ouvrir les yeux sur tout ce qui nous entoure pour se rendre compte qu'un gouvernement est toujours asservi à une classe et que cette classe est toujours la classe possédante. Et il ne peut pas en être autrement, puisque le gouvernement est une formation politique et que la politique n'est que l'organisation de l'économie sociale au profit de la richesse. Et c'est pourquoi nous paraît ridicule l'espérance que nourrissent certains révolutionnaires en un gouvernement prolétarien. En quelque nation que ce soit, une formation gouvernementale suppose un désaccord entre les divers éléments sociaux de la population. Nul n'ignore que le désaccord fondamental est de caractère économique, puisqu'il réside en l’inégalité économique des individus ; or il est matériellement impossible à un gouvernement de se situer en faveur des éléments les moins favorisés de la population ; même le voudrait-il, il ne le pourrait pas, et nous en avons eu la preuve en ce qui concerne le gouvernement bolcheviste. Du fait même que la société est divisée en classes, le gouvernement est contraint de défendre la classe privilégiée ou de céder sa place à un autre. Et c'est là toute l'erreur du bolchevisme comme doctrine révolutionnaire. Oh ! nous ne contestons pas aux bolchevistes qui résident hors la Russie une certaine activité révolutionnaire ; mais ce que nous contestons, c'est la valeur révolutionnaire du gouvernement bolcheviste russe, qui ressemble, à s'y méprendre, à tous les autres gouvernements. Un gouvernement prolétarien n'est d'aucune utilité au prolétariat, et nous nous en rendons compte lorsque nous lisons, dans La Vie Ouvrière du 7 mars 1924, qui est pourtant un organe communiste, l'entrefilet suivant : « Au cours des derniers temps, plus de 600 ouvriers à domicile ont participé aux grèves dans l'industrie des cuirs et peaux. Toutes ces grèves se terminèrent par la victoire complète des ouvriers à domicile et la conclusion de contrats collectifs. » Il faut en conclure que, dans ce pays à gouvernement prolétarien, le gouvernement fut incapable de faire respecter ou d'imposer les revendications prolétariennes, puisque les travailleurs furent obligés d'user de la vieille arme classique : la grève, pour obtenir satisfaction. Ce n'est donc pas sans raison que Chazoff dit, dans son Mensonge bolcheviste : « Pour nous, un gouvernement est un gouvernement, qu'il soit rouge ou qu'il soit blanc. Partout où la bourgeoisie exerce encore son influence, le gouvernement la soutient, - en Russie comme ailleurs, - et toutes les institutions sont mises à son service pour la défendre. Et c'est ce qui explique la répression dont sont victimes des centaines de révolutionnaires qui gémissent dans les bagnes et les prisons bolchevistes. »
Incontestablement, quelles que soient les aspirations et les idées sociales ou philosophiques des hommes qui le dirigent, un gouvernement est réactionnaire et conservateur. S'il nous en fallait une dernière preuve, nous n'aurions qu'à prendre le gouvernement démocratique français, issu des élections législatives du 11 mai 1924. Le peuple français, confiant en sa souveraineté, envoya au Parlement des hommes de gauche, espérant mettre un frein à la politique belliqueuse d'un gouvernement nationaliste. M. Poincaré lâcha le Pouvoir et le remit entre les mains de M. Herriot ; mais rien ne changea, les forces obscures de la finance et de la grosse industrie étant plus puissantes que les forces politiques d'un gouvernement. Le Bloc des Gauches, constitué pour appliquer un programme démocratique, s'écroula piteusement, et les électeurs n'eurent, pour se consoler, que le souvenir des belles promesses qui leur furent faites.
« C'est entendu, diront certains adversaires de l'anarchisme ; tout gouvernement est imparfait et ne répond pas à nos désirs ; mais par quoi le remplacer et que feriez-vous, si vous assumiez la responsabilité de diriger l'Etat ? » C'est mal poser la question. Il est évident que si, dans l'ordre social actuel, il nous prenait la fantaisie de diriger les affaires publiques, nous ne ferions pas mieux que les autres. C'est la raison pour laquelle les anarchistes sont révolutionnaires. Ils savent fort bien que, tant que subsistera le capitalisme, que tant que le monde sera divisé en classes, l'existence d'un gouvernement se légitimera. Une société sans gouvernement suppose tout d'abord la suppression de l'exploitation de l'homme par l'homme et l'égalité économique de tous les êtres. Tant que ceci ne sera pas acquis, le gouvernement subsistera. « Vous ne réaliserez jamais votre programme », nous objectera-t-on. Ce ne sont pas les anarchistes seuls qui le réaliseront, mais le peuple, car chaque jour qui passe discrédite un peu plus les diverses formes de gouvernement qui se sont manifestées incapables de réaliser l'union entre les hommes. Le Capital s'écroulera, il a atteint son point culminant et, maintenant, sa chute sera rapide. Et lorsqu'aura disparu la propriété, qui est la source principale des divisions humaines, les gouvernements s'éteindront et disparaîtront d'eux-mêmes pour faire place à l'harmonie et au bonheur universels.