Accueil


HEREDITE n. f.

Du point de vue juridique, l'hérédité est le droit que possède une personne, en raison de sa parenté, de recueillir l'héritage laissé à son décès par un ascendant. Ce droit résulte de conventions injustes et antisociales. Si, dans une certaine mesure, on peut admettre, en effet, qu'un individu dispose du produit de son travail en faveur d'une institution ou d'une personne de son choix, il apparaît immoral, sans contestation possible, que des jeunes gens, n'ayant rien produit d'utile, puissent jouir de l'existence dans un joyeux parasitisme, alors que tant d'ouvriers actifs, tant d'inventeurs ou d'artistes de talent, sont voués à la pauvreté pour l'existence entière.

Dans une organisation sociale rationnelle, nul ne devrait être admis, d'ailleurs, quels que fussent les services rendus à la collectivité, à cette licence de pouvoir accaparer des biens qui font partie des richesses offertes à tous par la nature, ou sont les produits du patient labeur des humains à travers les siècles. Pour tout être humain valide, il n'est d'autres biens légitimes que ceux qui sont le résultat du travail personnel, dans la mesure où leur acquisition ne constitue point un péril pour l'ensemble de la société, et ne la frustre point de ce qui doit demeurer dans le patrimoine commun.

Du point de vue physiologique, l'hérédité c'est la transmission, aux descendants, des caractères physiques ou moraux de ceux qui les ont engendrés. Cette transmission n'est pas fatale, sauf pour ce qui concerne les caractères génériques de l'espèce elle-même. On ne peut prétendre que les descendants sont la reproduction exacte, inévitable, des ascendants. Mais il est de toute évidence qu'ils leur ressemblent dans une proportion remarquable, et qu'ils ont de très grandes chances d'hériter de leurs qualités comme de leurs défauts, de leur vigueur comme de leurs dispositions maladives.

C'est grâce à cette observation, faite sur l'ensemble des êtres vivants, que les agriculteurs et les éleveurs sont parvenus, par élimination des produits inférieurs, et par des sélections poursuivies de génération en génération, à perfectionner de telle manière certaines espèces animales et végétales qu'elles présentent des types nouveaux, très éloignés comme caractères de ce que furent, à l'origine, les sujets prélevés dans la nature.

Dans l'espèce humaine, où l'on ne s'est guère soucié, jusqu'à présent, d'appliquer à la reproduction les règles scientifiques qui ont donné, pour l'horticulture et l'élevage, de si merveilleux résultats, on a constaté cependant que, par suite d'unions favorables, dues au hasard de l'attraction sentimentale, des familles devenaient de véritables pépinières d'artistes - comme les Vernet -, ­ ou de savants - comme les Reclus -. Si les gens de génie ne procréent pas toujours des êtres à leur image, il s'en faut, il n'est pas d'exemple qu'un homme de génie soit né d'un couple de crétins.

Les caractères physiques sont chez nous transmissibles, de même que chez les végétaux et les animaux. Il est des familles d'hommes et de femmes aux formes picturales, et des familles de rabougris ; il en est de noble stature, et d'autres composées de nains. Et c'est pourquoi les hommes et les femmes, qui ne s'accouplent pas seulement en vue de plaisirs sexuels stériles, mais en vue de la procréation, devraient avoir, un peu plus qu'ils ne l'ont, conscience des responsabilités qu'ils assument, au regard du progrès général, et du bonheur des êtres dont ils s'apprêtent à faire des éléments de la société de demain.

Produire de l'intelligence, de la joie et de la beauté, est une tâche digne d'éloge. Mais il est un soin plus urgent encore : ne pas perpétuer la maladie, ne point multiplier les tares. Celles qui sont les plus transmissibles et les plus redoutables dans leurs effets, sont : l'alcoolisme, la syphilis, la chorée, l'épilepsie, la tuberculose, la scrofule, la cécité, la surdi-mutité, le rachitisme, l'aliénation mentale, l'arthritisme grave, les maladies du cœur, le cancer, les intoxications par le phosphore, le plomb, ou l'habitude des stupéfiants.

Il est important de remarquer que les mutilations, par suite de blessures, sont sans inconvénient pour la descendance. Un aveugle ou un manchot, par exemple, dont l'infirmité provient d'un accident, n'ont pas à craindre que leurs enfants en soient éprouvés. Depuis des siècles, on circoncit les Israélites peu après leur naissance, mais leurs fils ne naissent pas pour cela dépourvus de prépuce. Ce qui est héréditaire, c'est ce qui résulte du caractère de la race, ou d'une perturbation maladive des fonctions.

Si la tuberculose n'est point par elle-même héréditaire - du moins dans la plupart des cas - il n'en est pas moins vrai que les enfants des tuberculeux naissent avec des prédispositions spéciales qui, surtout s'ils sont appelés à demeurer auprès de leurs parents, en font des victimes toutes désignées pour le terrible mal. On observe chez eux du retard de la dentition et de l'insuffisance dans l'ossification. Leurs omoplates sont saillantes, leurs muscles respiratoires sont grêles, leur poitrine étroite, comme rétrécie.

Non seulement les syphilitiques non guéris donnent à leurs enfants la maladie qu'ils ont contractée, mais encore ils les vouent à la débilité, au rachitisme, à des malformations, des troubles par arrêt de développement. Les enfants des syphilitiques en activité semblent, en général, de petits vieillards proches de la tombe, et il en est qui présentent de véritables monstruosités.

Les alcooliques invétérés soumettent leur descendance à une déchéance non moins affreuse. Au premier degré on remarque de la faiblesse, de la nervosité, une propension à la cruauté, au mensonge, à la précocité vicieuse, aux dépravations sexuelles, en même temps qu'une disposition très marquée à la tuberculose. Ensuite, la passion mauvaise se transmettant d'une génération à l'autre, c'est l'imbécillité, le sadisme, la folie furieuse et incendiaire. La famille alcoolique aboutit, en fin de compte, plus ou moins rapidement, à des idiots d'un degré au-dessous de l'animalité, et chez lesquels la puberté n'apparaît point.

D'une façon générale, on peut dire qu'il n'est pas de maladie ou d'infirmité grave des parents qui n'ait son retentissement sur la descendance, surtout lorsque les deux époux sont atteints du même mal. S'ils ne lèguent point toujours à leurs enfants avec certitude les affections ou infirmités dont ils souffrent, ils en font en tout cas des candidats aux mêmes maux, et il faut un concours avantageux de circonstances pour les en préserver. Quand la tare héréditaire n'apparaît point dès les premiers ans, il ne faut pas croire pour cela qu'elle est évitée. Il se peut qu'elle demeure latente, jusqu'au jour où un choc, un surmenage, une autre maladie, lui fourniront l'occasion de se manifester. Fréquemment, d'ailleurs, elle attend, pour se montrer, l'âge où elle a fait son apparition chez les parents.

Le lecteur pensera sans doute que, si l'hérédité morbide avait autant d'importance que celle que nous lui attribuons, notre espèce ne serait depuis longtemps composée que de grands tarés et de mal venus, alors qu'elle présente encore, dans son ensemble, d'assez belles qualités de forme et d'endurance. S'il en est ainsi, ce n'est point que l'hérédité soit chose imaginaire, c'est que la nature se charge, quoique d'une façon imparfaite, d'éliminer de l'espèce les produits par trop malsains, soit en les rendant stériles, soit en les vouant à une mort prématurée.

Ceci est remarquable particulièrement lorsqu'il s'agit de tares très graves, comme la syphilis et l'intoxication par le plomb. Le Dr Alfred Fournier, dans son ouvrage sur Le Danger social de la Syphilis, affirme avoir personnellement constaté ce qui suit, et non à l'hôpital, mais dans le milieu très aisé de sa clientèle particulière : 90 femmes, contaminées par leurs maris, sont devenues enceintes pendant la première année de la maladie. Or, sur ces 90 grossesses, 50 se sont terminées par avortement, ou expulsion d'enfants mort-nés ; 38 par naissance d'enfants qui se sont rapidement éteints ; 2 seulement par naissance d'enfants qui ont survécu.

Le Dr C. Paul, ayant observé 141 cas de grossesse, avec intoxication saturnine, a enregistré comme résultat : 82 avortements ; 4 naissances avant terme ; 5 mort-nés. Sur les 50 enfants qui vinrent au monde viables, 36 périrent avant d'avoir atteint l'âge de 3 ans. Quant aux survivants - 14 sur 141! - ils étaient voués aux convulsions, à l'imbécillité, à l'idiotie, tout au moins à des troubles nerveux notables.

L'élimination n'est pas toujours aussi rapide. Lorsque les sujets sont résistants et que le mal, ou l'empoisonnement, qui ont atteint la famille, ne sont pas d'une violence extrême, il arrive qu'elle ne s’éteigne définitivement qu'après plusieurs générations, par suite d'hérédité morbide progressive. L'œuvre d'assainissement de l'espèce est accomplie, mais après combien de souffrances qui auraient pu être évitées!

Dans les cas les plus favorables, lorsque les enfants n'ont été que faiblement touchés par les tares parentales, et qu'ils grandissent dans de bonnes conditions, pour peu qu'ils se marient bien, c'est-à-dire avec des personnes ne présentant pas les mêmes défauts physiques, il y a affaiblissement progressif de la tare, d'une génération à l'autre, et même, dans certains cas, comme la syphilis, immunisation relative chez les descendants, en ce sens que, s'ils contractent le mal à leur tour, ils n'en sont pas aussi désastreusement affectés que leurs ancêtres, l'organisme ayant acquis de lui-même, dans sa lutte victorieuse contre le poison, des éléments de résistance en cas de nouvelle attaque.

Ainsi donc, si la lèpre, la grande vérole, la tuberculose et le reste n'ont pas abâtardi l'humanité entière, c'est parce qu'elle se trouve, grâce à une extinction plus ou moins rapide, purgée de ses déchets chaque fois qu'ils dépassent une certaine limite de dégénérescence, et parce qu'elle se trouve, d'autre part, guérie peu à peu, par des croisements salutaires, dans la personne des plus aptes à la survivance.

Cette loi naturelle, cruelle dans ses moyens, est profitable dans ses résultats. Sans cette élimination des inaptes, la terre se transformerait en sanatorium, et il ne resterait bientôt plus assez de gens valides pour s'occuper de calmer les souffrances et de prolonger la vie des infirmes. Cependant nous avons faculté d'amender cette règle impitoyable dans ses effets. Là où l'intervention médicale est impuissante à guérir les tares humaines, elle peut faire la part du feu, c'est-à-dire devancer l'œuvre d'élimination naturelle, en la rendant plus circonscrite et moins douloureuse. Les incurables, les malformés, les demi-fous, ou les débiles définitifs, pourraient être soumis à la stérilisation opératoire ­par l'ovariotomie chez les femmes, la vasectomie chez les hommes - ce qui leur permettrait de continuer à jouir des plaisirs sexuels, sans risquer d'infliger leurs disgrâces à des enfants. L'avortement dans les hôpitaux pourrait être autorisé, non seulement lorsque la continuation de la grossesse met en péril la santé de la mère, mais encore lorsque serait en jeu la santé de l'espèce, par la venue au monde d'un monstre ou d'un dégénéré. Enfin, pour ceux chez lesquels l'inaptitude à une saine procréation ne serait que momentanée, se trouverait indiqué le recours temporaire à des moyens de préservation anticonceptionnels. Seuls seraient invités à faire de nombreux enfants les couples choisis pour 1’esthétique de leurs formes, et leurs belles qualités morales et intellectuelles, leur parfaite santé physique.

Nous sommes encore loin de cet idéal biologique, auquel s'opposent, non seulement l'ignorance et l'inconscience du populaire, mais encore l'hypocrisie religieuse et les soucis militaristes des classes dirigeantes.



- Jean MARESTAN.