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HUISSIER n. m.

Le mot est ancien : la fonction aussi, hélas! Le mot vient de huis, qui signifie porte, et qui se retrouve encore dans l'expression usuelle : à huis clos.

Il y a une grande différence entre le portier et l'huissier. Le portier, préposé à la porte extérieure, ouvre à qui s'annonce par le tintement de la sonnette ou le heurt du marteau, sauf vérification ultérieure si le visiteur est indésirable et ne doit point passer le seuil. L'huissier a la garde de la porte intérieure qui donne accès dans un cabinet, un appartement ou une antichambre. Il écarte l'importun. Il admet et introduit l'ayant droit. Chacun sait que les huissiers, avec ces fonctions, se sont perpétués dans les administrations, les ministères, à la Présidence de la République et au Parlement. S'ils portent la chaîne, c'est en souvenir de la monarchie dont toutes les démocraties aiment à conserver les usages au bénéfice de leurs seigneurs. Sous la royauté, les huissiers de la Grande Chancellerie et du Conseil portaient au cou la chaîne d'or avec la médaille du roi. On les appelait les huissiers à la chaîne. La chaîne n'est plus en or, la médaille y cliquette toujours : l'effigie en est changée, et les huissiers à la chaîne ne sont pas exclusivement réservés aux nobles salles ou salons de la Place Vendôme ou de l'Elysée.

Que la justice eût besoin d'huissiers pour le service de ses prétoires, rien de plus naturel. Aujourd'hui encore, elle a ses huissiers audienciers, ainsi appelés parce qu'ils assurent le service de l'audience. Ils font l'appel des causes et l'appel des témoins. Ils occupent une tribune basse au pied du tribunal, et à côté du greffier. Ils revêtent la robe noire sans épitoge. L'épitoge est le bandeau qui se porte en sautoir sur l'épaule et qui est bordé d'hermine. L'hermine est le signe du grade : un rang d'hermine pour le licencié, deux rangs pour le docteur. Quand la licence en droit n'est pas exigée pour l'exercice de la fonction, les titulaires de cette fonction n'arborent pas l'hermine, ni son support l'épitoge, quand bien même ils seraient pourvus du grade qui la confère. C'est une règle de bienséance : la confraternité exige cette égalité. Les avoués, quoique tous licenciés en droit à Paris et dans les villes importantes, portent la robe sans épitoge, car l'un d'entre eux pourrait, théoriquement, n'avoir qu'un diplôme inférieur. Les avocats, tous licenciés, leur statut l'exige, prennent l'hermine, mais les docteurs renoncent au deuxième rang qui est leur deuxième galon.

La robe noire de l'huissier à l'audience n'est pas sa tenue officielle de cérémonie. Le décret du 14 juin 1813 qui est toujours la charte fondamentale de la corporation, a constitué ainsi le costume de ses membres : « habit noir à la française, avec manteau de laine noire revenant par devant et de la largeur de l'habit ». On sait combien Napoléon 1er se montra jaloux d'accorder ou d'imposer l'uniforme même aux académiciens. Encore oublia-t-il de leur dessiner un manteau. Lorsque les immortels enterrent un de leurs confrères, il n'est pas rare de voir, aux obsèques, sous des pardessus de ratine, grelotter dans des « habits verts » des assistants ratatinés.

Le protocole vestimentaire du Premier Empire n'est pas tombé en désuétude. Dans les audiences solennelles du Tribunal, pour l'installation du Président ou du Procureur, on pouvait contempler hier encore la délégation des notaires en habit à la française et culotte courte, le chapeau à cornes sous le bras.

Le décret de 1813 donne à l'huissier une baguette noire, symbole de coercition. Cette baguette, tenue à la main, était, sous les Bourbons, une baguette fleurdelisée, semblable à un bâton de maréchal, mais, au Moyen-âge, une verge analogue à celle dont une tradition contestable arme le poing de Bridoison, dans la pièce de Beaumarchais. Les huissiers se distinguaient, dès leur origine, en huissiers à cheval et huissiers à verge. Les premiers seuls avaient le droit d'instrumenter dans tout le royaume, les autres dans les limites de leur résidence. Instrumenter, c'est délivrer des exploits, dresser les constats, procéder aux saisies.

C'est qu'en effet la justice, pour qu'un défendeur soit mis en état de comparaître et de faire valoir ses droits, ou pour que les décisions rendues soient exécutées par une contrainte légale et licite, a besoin de confier ses missions à des mains sûres. C'est ainsi que les huissiers des prétoires ont paru tout désignés pour cet office ; et, par la suite, d'autres auxiliaires leur ont été adjoints. Il faut remonter à Charles VI pour trouver la première organisation des huissiers. Les lettres patentes de 1402 prescrivent qu'une information préalable soit faite de leur suffisance et loyauté.

« Leur suffisance » c'était un souhait vague, à défaut d'un programme précis. Les Etats Généraux de Tours, en 1484, expriment le vœu que l'huissier sache lire, écrire et mettre en termes honnêtes les citations de leurs exploits. C'était beaucoup demander! L'ordonnance de 1563 intervient pour exiger qu'ils sachent au moins écrire leurs noms.

Les candidats étaient nombreux ; on comptait, en 1790, 934 huissiers à cheval et 236 à verge. On était loin de l'ordonnance d'avril 1498 qui avait réduit le nombre des huissiers à 220. La profession, aussi divisée, n'était pas très lucrative. L'huissier s'adjoignait volontiers à son office un commerce. Le décret du 14 juin 1813 lui fait défense de tenir auberge, cabaret, café, tabagie ou billard.

La plupart des auteurs n'établissent aucune différence entre l'huissier et le sergent que le XVIIème siècle a également connus. Les sergents descendaient en droite ligne des huissiers d’armes chargés de veiller à la sûreté du roi. Le répertoire de Dalloz qui résume la saine doctrine dans toutes les questions juridiques, enseigne que les huissiers procédaient devant les cours souveraines et les sergents devant les juridictions inférieures.

La distinction est-elle exacte? Il faut la demander au théâtre classique, à Racine dans Les Plaideurs.

Chicaneau et la comtesse de Pimbesche, deux plaideurs forcenés, ont ensemble une conversation qui commence comme l'entretien de Vadius et de Trissotin par des condoléances mutuelles, sinon par des congratulations, et qui se termine, comme cet entretien, par une brouille et des invectives. Chicaneau n'a plus qu'un désir : faire constater les violences auxquelles se porte son adversaire, la comtesse qu'une préoccupation : assigner son ennemi.

De là le vers final :

Chicaneau. - « Un sergent, un sergent! »

La comtesse. - « Un huissier, un huissier!  »

Un sergent a le pouvoir de dresser un constat ; un huissier a seul qualité pour délivrer l'assignation en justice.

Continuons la pièce:

L'Intimé, au fait de l'incident, l'exploite pour approcher Chicaneau et, faux huissier, vient remettre à l'enragé un faux exploit : Chicaneau s'emporte et frappe.

L'Intimé ; - « Tôt donc ... Frappez ; j'ai quatre enfants à nourrir. »

Un soufflet le récompense :

- « Un soufflet! Ecrivons :

Lequel Hieronyme, après plusieurs rébellions,

Aurait atteint, frappé, moi sergent, à la joue.

C'est bien cela ... »

L'huissier, sous Louis XIV, confond en lui deux origines. Il descend des anciens huissiers d'armes, il détient une parcelle de leur autorité, il est sergent ; mais en plus il descend des huissiers préposés par la justice à la délivrance des citations et il ajoute une attribution nouvelle à son pouvoir. Il y a un sergent dans un huissier, un huissier déborde un sergent.

Disons pour être complet que l'exempt était un officier subalterne du guet ou de la maréchaussée, investi d'un pouvoir de police et délégué pour des opérations de police, notamment les arrestations. C'est un exempt qui, dans Tartufe, vient, au nom du roi, prendre au collet le fourbe et amener le dénouement. Nous avons ainsi ces trois personnages utiles à connaître... historiquement : l'huissier, le sergent et l'exempt. L'irascible Chicaneau s'est porté à des voies de fait sur le messager pour ne pas dire le mandataire de justice. C'étaient les petits inconvénients de la profession et parfois, comme l'indique l'Intimé, ses petits bénéfices à cause du dédommagement obligatoire.

Mais l'histoire connaît des huissiers qui ont été molestés plus gravement ou qui ont subi un sort dont ils n'ont pu tirer profit ni récompense.

Edouard, comte de Beaujeu, a été décrété de prise de corps pour avoir jeté par la fenêtre un huissier qui lui notifiait un exploit. Le marquis de la Séglière aurait ôté son chapeau à cet ancêtre. Ils étaient, l'un et l'autre, de ces temps où le noble s'estimait supérieur aux lois ou à la loi.

En 1322, Jourdain de Lille fut frappé d'une peine moins nominale et moins symbolique : il fut bel et bien pendu, mais il avait tué l'huissier qui lui délivrait l'assignation.

Enfin Dalloz rapporte que sous Louis XIII un jeune seigneur ayant cassé le bras à un huissier, le souverain parut au Parlement le bras en écharpe, pour attester que le coup porté au mandataire de l'autorité royale avait atteint le roi lui-même.

* * *

Telles sont les origines, tels sont les ancêtres de nos huissiers modernes.

Pour être huissier, il faut remplir les conditions suivantes : être Français, avoir au moins 25 ans, avoir satisfait aux devoirs du recrutement, justifier d'un stage (2 ans chez un notaire ou un avoué, ou bien 3 ans dans un greffe du Tribunal ou de la Cour). Il faut avoir obtenu de la chambre de discipline un certificat de moralité et produire une expédition de la délibération du Tribunal qui constate l'admission du candidat. La fonction d'huissier est incompatible avec toutes les fonctions publiques. L'huissier ne peut être défenseur officieux devant les tribunaux où le ministère de l'avocat n'est pas obligatoire. Cette prohibition n'est guère observée dans les justices de paix cantonales, au moins dans certains départements.

Les huissiers ont dans leurs attributions : les citations, les notifications et significations nécessaires pour l'instruction des procès, et généralement tous actes et exploits requis pour l'exécution des ordonnances de justice, jugements et arrêts. Dans les villes où il n'existe pas de commissaires-priseurs, ils procèdent aux ventes mobilières.

S'il s'agit de délivrer une assignation à bref délai, c'est-à-dire en dehors du délai normal et quand la citation en conciliation a été supprimée par dispense de justice - s'il y a lieu de signifier un jugement par défaut, dans d'autres cas encore qui sont spéciaux, l’huissier procédant doit avoir été commis par le Président ; il prend le titre d'huissier commis et l'habitude est que le Président, en pareille occurrence, désigne un huissier audiencier. Les huissiers ne peuvent procéder ni délivrer les exploits les jours fériés ; les jours ordinaires ils doivent observer les heures légales, et s'abstenir :

Du 1er octobre au 31 mars avant 6 heures du matin et après 6 heures du soir ;

Du 1er avril au 30 septembre, avant 4 heures du matin et après 9 heures du soir.

Quelques amoureux illégitimes emploient à rebours l’horaire légal pour ne pas être surpris par la sommation consacrée : « Au nom de la loi », mais certains d'entre eux ont oublié à leur dam qu'une permission du juge pouvait autoriser les constats ou les intrusions légales en dehors des heures légales. Nous indiquerons, à l'honneur de la corporation, qu'elle a une Bourse commune (le législateur qui l'a prévue mérite d'être félicité). Cette Bourse subvient aux dépenses de la Compagnie, à la distribution des secours aux huissiers indigents... le cas est extrêmement rare... elle a des clientes parmi les veuves et les orphelins des huissiers décédés.

Elle serait mise à contribution s'il fallait couvrir d'urgence une carence de fonds par la défaillance d'un membre de la Compagnie, mais le cas est purement hypothétique.

On sait que, dans Les Plaideurs, l'Intimé a signé Lebon son faux exploit, et Chicaneau de s'écrier, non sans à-propos :

- « Lebon, jamais huissier ne s'appela Lebon ».

Certes, si la justice a sa raideur et son tranchant chirurgical, l'huissier ne procède point par la persuasion ct l'urbanité de ses manières ne va pas jusqu'à la suavité. Toutefois, l'huissier à verge n'a jamais porté le faisceau des licteurs. Et nous connaissons même de ces honorables officiers ministériels qui, sans trahir les intérêts de leurs requérants, tempèrent l'ardeur du créancier, désarment par des représentations utiles la mauvaise volonté du débiteur. Il y a des huissiers, et même des huissiers non audienciers, qui, moralement, ont leurs élégances... Il est préférable de n'avoir pas à se louer de leur adresse ou de leur mérite dans l'exercice de leurs fonctions.



- Paul MOREL



HUISSIER

L'huissier, dont c'est le métier de tirer rendement des exploits (protêts, assignations, contraintes, etc.) et que l'intérêt porte en général à envenimer la chicane qu'il monnaie au pourcentage, se présente d'ordinaire assez peu paré des adoucissements de la pitié. Il n'est que par accident messager de la conciliation et ne temporise guère que par calcul. Quand on ne peut « tondre un diable » parce qu'il « n'a plus de cheveux » et que la procédure risque de rencontrer le vide, il est parfois de bonne guerre d'attendre que le poil repousse quitte à l'arracher au fur et à mesure... Sa morale, d'ailleurs, tant sociale qu'individuelle, le prédispose à la rigueur plus qu'à l'indulgence. Devoir et ne pouvoir payer constitue une incartade et une dérogation aux règles et aux fondements de l'honnêteté conventionnelle qu'il a pour mission de sauvegarder. C'est là avant tout un titre à sa méfiance et qui situe l'intéressé malheureux ou malchanceux sons sa désapprobation ou son mépris, très peu souvent dans la zone de l'excuse et de la tolérance. Sa « grandeur d’âme » tenterait davantage la plume d'un Courteline ou d'un Balzac qu'elle ne soulèverait l'enthousiasme reconnaissant des humbles. Un sceau fatal désigne la demeure marquée pour sa visite : on y a commis le crime d'être désargenté!...

Imbu de l'importance légale d'une fonction coercitive, il est enclin à en élargir les attributs et à en accentuer les interventions. Aussi il use davantage des prérogatives de sa charge pour la poursuite fructueuse qu'il ne les emploie à écarter des défavorisés sociaux les conséquences pénibles de leur état. Jargon d'étude et de prétoire, finasseries et « retorderies » juridiques masquent surtout les embûches et précèdent les saignées pécuniaires, voire les expulsions, et l'huissier demeure un agent de pressuration aux interventions redoutées. Mandataire de la fortune en service de recouvrement, il se garde d'oublier qu'il arrondit sa propre escarcelle sur le chemin même où s'assouvissent les créances. Les « frais » sont à l'actif de ses affaires et agrémentent sa situation. L'huissier, qui, dans les ménages de travailleurs aux budgets difficiles, se présente porteur du « papier timbré » fatidique donne presque toujours le signal des catastrophes domestiques. Il précise les embarras accrus, la rupture d'une semi-quiétude provisoire, la gêne davantage maitresse au foyer, le fléchissement et parfois la chute d'une économie laborieuse. Il est, dans un état social de souffrance, un instrument de la peine multipliée et de la détresse. Les privations font cortège à ses présentations. Et l'huissier, qui jette à la rue et fait vendre à l'encan les meubles et les hardes du pauvre est - comme tout l'appareil judiciaire tendu devant les victimes unilatérales de « l'ordre social » en un traquenard permanent - honni avec raison du populaire.



- LANARQUE