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IDEAL n. m. et adj.

Tout homme qui possède un certain degré de sensibilité, qui pense et acquiert ainsi une certaine force de volonté et de raison ne saurait plus se contenter des idées communément admises, enseignées, souvent même concrétisées, passées dans le domaine des faits. Il ne veut plus croire ni accepter, mais il critique, puis émet ses idées personnelles, fruits de son expérience et de sa réflexion.

Il substitue à la réalité imposée et stagnante son propre idéal. Cet idéal est relatif à chacun ; il dépend de la nature du sujet, de son esprit et aussi de l'influence de son époque et de son milieu. Il ne saurait, chez un penseur, être définitif, fixé, ni exactement réalisé.

L'idée ne saurait s'arrêter, même lors de sa propre réalisation, mais elle repart constamment en avant.

Les chercheurs, les idéalistes qui préparent, en leurs esprits, la possibilité de réalités meilleures, rencontrent dans la vie sociale, dans la lutte pour la satisfaction matérielle de l'existence, le plus terrible obstacle à l'étude et à l'expansion de leurs découvertes ou de leurs productions.

Et ceci s'applique à tous : savants, s'occupant plus spécialement des sciences exactes ; philosophes, qui étudient les questions si complexes de la psychologie ou tentent de résoudre les insolubles problèmes de la métaphysique ; artistes, qui, par la plume, le ciseau ou le pinceau, s'efforcent de fixer, de reproduire et d'interpréter, sous une forme durable, les fugitives beautés qui se présentent à nos sens ; propagandistes, qui, par la parole et par l'écrit, expriment et répandent les idées de mieux-être, de liberté et se dépensent pour inciter leurs semblables à plus de dignité, à une plus haute conception de la vie.

Mais la vie se venge cruellement parfois de tous ces penseurs, de tous ces rêveurs, car la vie - notre vie actuelle - c'est la triste soumission sociale, l'obligation du jeune âge à la décrépitude de besogner pour satisfaire ses stricts et naturels besoins, non pas à des travaux auxquels votre aptitude vous convie, mais aux occupations qui vous seront assignées par le hasard de votre milieu et de votre condition sociale.

Aussi combien de nobles et belles idées furent ainsi étouffées par l'écœurement, la fatigue ou l'ennui! Et l'homme dominé par son inactif besoin de vivre, de satisfaire ses immédiates nécessités matérielles, se voit, hélas! contraint de taire ses pensées, de laisser inculte son talent ou parfois même, plus lâche, il met ses capacités, son savoir au service de sa marâtre : la société, contribuant à renforcer la hideuse laideur de celle-ci et n'hésitant pas, pour sa seule satisfaction, à contribuer au maintien de la souffrance et de la misère humaines.

Antagonisme, constant conflit entre la beauté idéale, la vie intellectuelle d'une part et la triste réalité, la vie sociale, matérielle.

La plupart des recherches scientifiques réellement utiles demeurent complètement ignorées. Combien de découvertes furent perdues par suite des difficultés matérielles qu'éprouvèrent les savants. Nous ne saurons jamais le nombre d'individus, excellemment doués, qui eussent pu fournir d'utiles travaux scientifiques, mais qui, par leur situation sociale, se virent contraints à d'imbéciles ou inutiles occupations qui les empêchèrent d'œuvrer et de réaliser leur possibilité scientifique.

Mais, par contre, les mécaniciens ou les chimistes qui mettent leur science au service du meurtre ; qui fournissent aux dirigeants des engins de destruction plus horriblement­ efficaces, sont comblés d'honneur et d'argent!

Alors qu'un obscur savant crève de faim dans son laboratoire en y cherchant un sérum pour sauver les êtres souffrants, nous voyons, hissé sur un piédestal et admiré de tous, le triste inventeur du « rayon » destiné à faire mourir les hommes!

N'en est-il pas de même pour les arts? Les théâtres jouent, les éditeurs lancent et les salons exposent de remarquables inepties qui s'imposent grâce à la possibilité financière de leurs auteurs, alors que des œuvres sincères et belles restent totalement ignorées. Et souvent aussi de jeunes artistes ne purent jamais produire ce que leur esprit portait en gestation de noble et de beau, l'imbécile vie sociale les contraignant à d'abrutissants travaux. Et si quelque artiste parvient à la gloire, se voit considéré comme un génie, cette officielle reconnaissance n'étouffera-t-elle pas en lui l'originalité, source de son réel talent? Trop souvent l'artiste disparaît, remplacé par le bonze académicien.

En ce qui concerne le propagandiste, l'antagonisme est encore plus réel.

Je n'appelle pas propagandistes ceux qui, salariés d'un pouvoir, en chantent les louanges, ni même ceux qui, valets d'un parti, travaillent à l'ascension au pouvoir de leurs maîtres, car, pour les uns et les autres, la réalité est le seul facteur qui compte, la vie matérielle est assurée ; leur idéal est absent, leur propre pensée ne compte plus. Mais j'appelle propagandiste l'écrivain ou l'orateur qui, par sa plume ou sa parole, tente de sortir de l'ornière ses semblables, veut défricher les esprits, les inviter à penser pour mieux agir. Celui-là sera en but à la haine des gens du pouvoir.

Il sera le paria parmi les parias, ses frères. Mais, soutenu par son propre idéal, il luttera, face aux tristes réalités sociales. Précurseur, il ne saurait vivre de ses idées, mais préfère en souffrir pour avoir l'ultime joie de les répandre!



- A. B.



IDEAL

C'est l'ensemble des principes qui constituent une doctrine, une philosophie, une forme économique, un état social ayant un but déterminé, et les moyens que cet idéal permet d'employer pour l'atteindre.

Idéal bourgeois ou idéal capitaliste.

C'est celui d'une poignée de forbans, qui, par la force ou par la ruse, par le vol et l'assassinat, érigés par eux à la hauteur d'un droit, sont parvenus à accaparer, et détiennent dans leurs mains, tous les biens de la terre, toutes les richesses du sol et du sous-sol, tous les revenus du travail tant agricole qu'industriel, tous les moyens de transport, de production et d'échange, tous les bienfaits des découvertes scientifiques qui ont permis la création du machinisme moderne, lequel permet de quintupler, et plus, le rendement, tout en diminuant dans une proportion énorme le prix de revient des produits, et qui n'a jamais servi dans leurs mains à augmenter les loisirs ni le bien-être des travailleurs ; ne laissant au reste du genre humain, à ces innombrables foules de travailleurs de toute catégorie, que le droit d'être les esclaves de cette classe dite privilégiée, de travailler et de produire tout à son profit afin de la faire vivre dans l'oisiveté, l'opulence et le luxe le plus effréné, et pour eux-mêmes, en échange de ce labeur pénible et sans fin, d'avoir à endurer toutes les souffrances d'une vie misérable, remplie de privations de toutes sortes. Et cette classe bourgeoise, capitaliste, dite classe privilégiée, a la prétention et l'insolence d'affirmer que cette différence de situation des êtres humains sur cette terre est conforme à la Nature et n'est que l'expression des lois de celle-ci ; et elle fait prêcher et enseigner par des imposteurs qu'on appelle les prêtres de toutes les religions, que c'est par la volonté de Dieu qu'il y a ici-bas des riches et des pauvres. On ne saurait pousser plus loin le cynisme, et ceci nous montre clairement que les moyens que cet idéal bourgeois permet d'employer pour atteindre son but infernal : l'asservissement de l’humanité, sont tous bons, quels qu'ils soient ; ainsi, on a tenu les classes prolétariennes dans l'ignorance la plus crasse, sachant bien que l'ignorant ne saurait défendre et faire valoir normalement ses droits. Puis ce sont les superstitions religieuses : par les religions et l'enseignement des prêtres, on est parvenu à faire croire aux foules ignorantes, à l'existence, pour l'être humain, d'une vie d'outre-tombe, d'une vie paradisiaque, dans laquelle ils seraient d'autant plus heureux qu'ils auraient plus souffert ici-bas ; que la résignation (voir ce mot) est la vertu suprême pour gagner le ciel, et une infinité d'autres calembredaines analogues, capables d'endormir leurs esclaves et les empêcher, par la revendication légitime et énergique de leurs droits, de venir troubler la digestion de leurs maîtres. Et lorsque tous ces moyens employés pour maintenir docilement dans leurs chaînes cette humanité de travailleurs ne suffisent pas, que des cris de révolte se font entendre, que des soulèvements se produisent, que l'insurrection vient effrayer ces bourgeois jouisseurs, ceux-ci n'hésitent pas à employer la fusillade contre les foules en révolte, et à enfermer dans leurs prisons et leurs bagnes les propagandistes qui les avaient soulevées. Car, ne l'ignorez pas, la bourgeoisie capitaliste prétend avoir droit de vie et de mort sur le reste du genre humain, et elle l'exerce, ce prétendu droit, sans restrictions ni réserves. La cupidité bourgeoise est insatiable, et si les capitalistes du monde entier s'entendent parfaitement pour l'exploitation du prolétariat, ils cessent d'être d'accord lorsque leur cupidité les pousse à vouloir s'emparer des biens qu'ils convoitent et qui sont détenus par leurs voisins ; ils n'hésitent pas alors à se déclarer des guerres sanglantes dans lesquelles ils font massacrer par millions les fils des prolétaires, témoin la guerre atroce 1914-19l8. Cette mentalité de la bourgeoisie est inférieure à celle des fauves, car si les fauves dévorent leur proie, du moins ils n'attaquent pas leur propre espèce. Quelle plume serait assez éloquente pour décrire toutes les horreurs, toutes les monstruosités dont cette classe dite privilégiée se rend coupable envers le reste de ses semblables? Son orgueil est incommensurable ; son hypocrisie, sa lâcheté et sa cupidité dépassent toutes les bornes et ses crimes sont innombrables ; voyez plutôt cette poignée d'individus (ils ne sont qu'une poignée relativement au reste des masses humaines) qui détiennent dans leurs mains toutes les richesses mondiales ; ils vivent souvent dans l'oisiveté, étalent insolemment un luxe effréné sous le nez des prolétaires. Leur table est chargée des mets les plus recherchés, des vins les plus exquis, des desserts les plus rares, des liqueurs les plus délicieuses, en un mot de tout ce qui pourrait flatter le palais d'un Lucullus. Leurs vêtements sont tissés des étoffes les plus précieuses, perles et diamants attestent l'insolence de leur richesse. Ils habitent des demeures somptueuses. D'opulentes limousines les emportent dans leurs promenades récréatives. Ils passent la saison d'hiver dans les stations favorisées par le climat, où tous les plaisirs les attendent ; quand vient la belle saison, ils vont respirer l'air de la campagne dans leurs riches villas, et en été, ils partent en villégiature aux villes d'eaux ou sur les plages maritimes où ils dépensent en agréments de toute sorte l'argent que leur procure le travail des prolétaires. Ils jouissent du paradis sur la terre, de tout ce que peut souhaiter un Sybarite. En face de cette vie de délices se dresse le spectre de la géhenne prolétarienne, qui enclot toute l'humanité des travailleurs sans espoir d'en sortir jamais, attachés qu'ils sont à un travail pénible et sans fin et réduits aux privations. La nourriture la plus grossière est pour eux, et heureux encore lorsqu'ils en ont à satiété. Souvent mal vêtus, ils habitent les taudis, leur vie tout entière est une vie de forçats, de damnés.

Tel est le désolant spectacle que nous présente le monde depuis les temps les plus reculés : d'un côté une infime minorité de jouisseurs effrénés, planant au pinacle des honneurs, du bien-être et de tous les plaisirs, mais dont le cœur est inaccessible à tout sentiment de pitié à la vue de l'incommensurable misère du reste du genre humain crucifié sur le calvaire de toutes les douleurs humaines. Cette mentalité de la bourgeoisie, qui fait de l'être humain besogneux une épave dans l'humanité, n'est qu'un effet, une résultante, dont la cause efficiente est dans les institutions sociales ; la société capitaliste, en effet, a pour base le principe de la propriété individuelle ou personnelle ; et c'est précisément dans ce fait, pour l'individu, de pouvoir accumuler dans ses mains les richesses, que réside l'irrésistible tentation qui fait choir l'être humain dans les bas-fonds de la plus avilissante dégradation. Il faut considérer, en effet, que si le cerveau de l'être humain a été doué par la nature d'intelligence et de raison, facultés qui, développées et cultivées avec soin, élèvent sa mentalité jusque dans les hautes sphères où planent les êtres qui constituent l'humanité supérieure, il n'en est pas moins vrai que ses sens, favorisés par les facilités de la richesse, étendent leurs jouissances jusqu'à la passion que, bientôt, l'homme ne peut plus vaincre.

Le principe de la propriété individuelle ou personnelle est, en outre, le plus antisocial qu'il soit possible de concevoir, puisqu'il met en opposition les intérêts personnels de chacun avec celui de tous ses semblables. Une telle société ne saurait produire que : la spoliation, le vol et l'assassinat continus. Pour rendre durable une telle société où la majorité des individus sont lésés, il a fallu l'asseoir sur une autre base, sur un autre principe, autant ou plus nocif encore que le principe de la propriété individuelle, c'est le principe D'AUTORITÉ. Désormais cette société devient le règne de la force, c'est le seul « droit » qui reste, tous les autres sont méconnus ; désormais, les individus atteints dans leurs droits personnels, ne pourront plus s'enfuir de la société ; ils seront réduits au silence par la force armée qui asservit, pille et assassine toutes les nations du monde, constitue le renfort ingénieux et puissant de l'organisation spoliatrice d'aujourd'hui. Tous les êtres humains aspirent au bien-être et au bonheur, et tous ont également droit à ce bonheur et à ce bien-être, et commet un crime horrible, monstrueux, celui qui se crée un bien-être, un bonheur, aux dépens de ses semblables, celui dont le bonheur et le bien-être sont faits du malheur, des privations et de la souffrance des autres. La réalisation de l'Idéal bourgeois ou capitaliste est la perpétration permanente, continuelle, journalière d'un crime monstrueux envers l'humanité des travailleurs.

Tel est l'Idéal bourgeois ou capitaliste.



L'Idéal anarchiste.

- C'est l'antipode de l'Idéal bourgeois ou capitaliste ; autant ce dernier n'est parvenu qu'à assurer le bien-être d'un petit nombre de privilégiés au détriment de tout le genre humain, autant l'idéal anarchiste procurera le bien-être et le bonheur à tous, sans distinction d'individus, ce sera l'avènement du bonheur universel. L'être humain qui vivrait isolé, loin de ses semblables, n'ayant aucune communication avec eux, serait essentiellement malheureux, parce que seul, isolé et privé de tous les secours de l'entraide, il lui serait impossible de satisfaire ses besoins. C'est pour obvier à ce grave inconvénient de l'isolement que les hommes, en vue de l'amélioration du sort commun, ont établi entre eux des sociétés. Pour atteindre à la plus grande somme de bien-être et de bonheur, l'homme est obligé de vivre en société avec ses semblables. Mais les sociétés passées et celles qui existent actuellement sur la terre, ont été et sont loin d'apporter aux hommes bien-être et bonheur. Organisées par une coterie d'aigrefins fourbes et crapuleux, elles sont constituées en vue de donner satisfaction à quelques-uns seulement, réservant la misère, les privations et la souffrance au plus grand nombre.

Dans la société antique il y avait les maîtres et les esclaves ; ceux-ci étaient malmenés et frappés par leurs maîtres, et la Bible elle-même rapporte qu'un maître qui a frappé son esclave n'est pas répréhensible si celui-ci ne meurt pas dans les trois jours ; au Moyen-âge la société était composée des nobles seigneurs d'un côté, et d'autre part des serfs qui, attachés à la glèbe, étaient vendus avec la terre elle-même. Ceux-ci étaient plus malheureux encore que les esclaves, qu'il fallait acheter au marché pour une somme d'argent, et que la cupidité des maîtres empêchait de laisser mourir inutilement. Les serfs connaissaient la famine toute leur vie ; ils mangeaient des rayes à défaut de pain, en Limousin des châtaignes, et ils broutaient l'herbe quand ils n'avaient pas autre chose à se mettre sous la dent ; pendant ce temps, les nobles seigneurs faisaient ripaille dans leurs châteaux et faisaient danser les catins dorées dans les salons du Roi-Soleil.

Actuellement, c'est la société capitaliste, composée d'une poignée de bourgeois qui détiennent dans leurs mains toutes les richesses mondiales, et des innombrables légions de parias, de prolétaires qui ne possèdent rien ou peu de chose, quoique produisant tout par leur travail et dont les bénéfices sont accaparés en vue de ses fins par la classe régnante.

Aucune de ces associations n'a donc réalisé le but pour lequel l' homme s'est senti obligé de vivre dans la société de ses semblables pour être plus heureux ; au contraire, les masses humaines ont été bien plus malheureuses d'être obligées de vivre dans ces sociétés, que si elles eussent vécu dans l'isolement individuel ; et de plus, toutes ces sociétés basées sur de mauvais principes, les principes les plus antisociaux (propriété, autorité), ont exalté et développé dans le cœur des individus tous les mauvais penchants, tous les vices, toutes les passions qui déshonorent l'humanité et font un monstre de l'être humain. La société à laquelle aspire l'homme en vue d'augmenter son bonheur, n'a jamais encore été réalisée et ne le sera que lorsque l'humanité, parvenue enfin à l'usage de la raison et jouissant de tout son bon sens, aura le courage et la sagesse de chasser tous ceux qui se disent ses maîtres : bourgeois, gouvernants, parasites malfaisants qui la grugent et la martyrisent, et en prenant possession d'elle-même et du globe sur lequel elle vit, sans dieux ni maîtres, instaurera le règne du bon sens, de la raison et de la justice, et alors naîtra cette société parfaite basée sur la solidarité, l'équité, la raison et la fraternité universelle, la bonté, les sentiments d'humanité, c'est-à-dire sur tous les principes scientifiques qui constituent la vraie science sociologique, et qu'on appelle l'idéal libertaire ou anarchiste.

S'appuyant constamment sur les données acquises de la science, l'idéal anarchiste correspond à la plus puissante et la plus rationnelle organisation de la production tant agricole qu'industrielle, qui est indispensable pour pourvoir à tous les besoins matériels de l'humanité. Dans cet état social, le travail étant exécuté en commun, par tous les valides sans exception, et avec la machine dans la mesure du possible, on obtient le maximum de rendement avec le minimum d'effort personnel, ce qui donne le maximum de bien-être pour les travailleurs, bien-être qui ira toujours croissant, grâce au progrès scientifique constant.

Cette société future, cette société libertaire évoluera, grâce à la volonté de tous ses membres, vers un perfectionnement indéfini. Comme toute société, elle implique des obligations pour tous ses sociétaires ; mais ces obligations, ses devoirs sont très doux à remplir, puisqu'ils consistent à faire à ses semblables tout le bien dont on est capable, pour en recevoir en échange, du bien, de bons offices ; à les aimer et à vivre fraternellement avec eux. Dans cette société, tous les membres jouissent de toute cette liberté qui n'a de limite que la liberté d'autrui, de nos semblables, qui doit être aussi sacrée pour chacun de nous que la nôtre propre. Dans cet état social, émanation de l'idéal anarchiste, l'être humain, sans distinction de personnes, vit intégralement sa vie matérielle, réalise toutes ses possibilités intellectuelles et morales. Ici, plus de parasites qui consomment sans rien produire, tous les valides à la besogne. Les infirmes, les enfants et les vieillards vivront des produits du travail de la collectivité. Le travail y est collectif, comme nous l'avons déjà dit, pour obtenir un plus grand rendement avec moins d'effort, mais la consommation y est familiale, chacun vit tranquillement chez soi. Chaque unité sociale, ou groupe social, commune ou soviet, peu importe le nom, tant agricole qu'industriel, doit comprendre un assez grand nombre d'habitants pour que les travaux de tout genre puissent être exécutés en temps opportun et convenable.

Nous n'avons pas besoin de dire que le principe nocif de la propriété individuelle n'est pas admis dans cette société, la propriété y est collective, tout appartient à tous, par conséquent les intérêts personnels de chacun se confondent avec ceux de tous ses semblables ; il n'y a plus aussi ni or ni argent, ni aucune espèce de monnaie ; tout cela a été remplacé par l'échange direct des produits, d'un groupe communal à l'autre, ou entre groupes agricoles et industriels, ou entre les diverses contrées qui composent la grande république universelle anarchiste. Toute société humaine digne de ce nom a pour obligation stricte d'assurer le développement intégral de toutes les facultés des individus qui la composent. La société anarchiste, plus que toute autre, s'acquittera entièrement de cette obligation, et les individus qui composeront cette société ne seront pas, comme le furent leurs vieux ancêtres, une population vouée à l'ignorance. Dans cette société future, l'instruction, la science, ne seront plus l'apanage d'une classe privilégiée ; l'Ecole sera ouverte à tous les enfants du peuple, et tous pourront acquérir, en raison de leurs facultés, toutes les connaissances scientifiques, philosophiques, mathématiques, littéraires, etc., etc., l'Ecole à tous les degrés d'enseignement sera pour tous. A dix-huit ans, ceux qui voudront apprendre une carrière dite libérale, médecin, pharmacien, vétérinaire, ingénieur, architecte, ingénieur-agronome, etc., etc., entreront dans les écoles spéciales préparatoires à ces professions. Les heureuses populations de ces temps-là seront suffisamment instruites pour vivre leur vie du cerveau, pour goûter à toutes les délices de la vie intellectuelle.

Les heureux composants de cette société y vivront également sans entraves leur vie sexuelle, assurée par liberté intégrale dont eux-mêmes et tout leur entourage peuvent user. Le mariage, cette monstrueuse institution de la société capitaliste, sera aboli. Dans cette société, où les intérêts pécuniaires seront inconnus, les âmes sœurs se rechercheront et lorsqu'elles se rencontreront, elles organiseront entre elles la vie commune. C'est là la constitution rationnelle de la famille anarchiste.

C'est ici le lieu de parler du crime passionnel ; il serait étonnant que parmi cette population instruite, consciente par conséquent, et jouissant de la plus entière liberté, il se trouvât des individus, assez irrespectueux de la liberté d'autrui pour user de violences à l'égard de leurs semblables. S'il s'en trouvait, les individus qui s'en rendraient coupables, seraient soignés, rééduqués dans des établissements appropriés, non plus enfermés dans les prisons où l'être achève de se dégrader.

Nous voici arrivés au moment de nous entretenir des sentiments affectifs de nos heureux sociétaires. Ces sentiments sont inconnus à nos bourgeois. Les institutions de la société capitaliste permettant le cumul des richesses personnelles, font naître en eux une cupidité et un égoïsme féroces qui les empêchent d'aimer autre chose que leur personne. Il n'en est pas de même des composants de notre société libertaire ; les sentiments affectifs occupent une place très large dans leur vie. Dans cette société, où ne comptent plus les intérêts pécuniaires, les unions des partenaires sexuels ne seront pas dictées par l'intérêt, mais seulement par leur attachement réciproque, par la similitude des pensées, des sentiments, des principes, etc., etc. D'un autre côté, l'attachement des parents pour leurs enfants sera aussi sans bornes, car dans cette société instruite de tout ce qu'elle doit savoir, il ne naîtra pas, ou que très peu, d'indésirables ; tous les enfants qui viendront au monde seront les enfants de l'amour, qui, de leur côté, auront pour les auteurs de leurs jours, la plus tendre, la plus vive affection, motivée par tous les bons soins dont ils seront constamment entourés. Et tous les rapports des hommes entre eux, dans cette société, seront empreints de la plus grande cordialité parce qu'ils seront basés sur les principes de la plus étroite solidarité. Chacun s'empressera de faire pour son prochain tout ce qu'il pourra pour lui être agréable et utile, et toutes les relations humaines seront empreintes de la plus franche cordialité, ce qui augmentera dans une très large mesure le bonheur de tous.

Dans cet état social, les cœurs sensibles et généreux ne seront jamais affligés par le triste spectacle de la misère et des privations, parce que l'organisation rationnelle et scientifique de la production permettra l'aisance pour tous ; alors les découvertes de plus en plus merveilleuses des savants ne seront plus employées à la destruction de l'humanité, comme cela a lieu dans la société capitaliste actuelle, mais exclusivement à augmenter son bien-être et son bonheur ; ils n'y seront jamais affligés non plus par le hideux spectacle de la souffrance infligée, même à nos animaux domestiques, qui seront partout et toujours humainement traités, et ces sentiments d'humanité doivent même s'étendre à tous les êtres sensibles, quels qu'ils soient, qui sont capables de souffrir.

Cet idéal anarchiste est la seule philosophie qui soit capable d'élever véritablement la mentalité humaine et permettre à l'être, doué par la nature d'intelligence et de raison, de réaliser le rôle qu'il doit jouer en ce monde.

Tel est l'idéal anarchiste ; sa réalisation permettra, seule, la libération intégrale de l'humanité. L'anarchie, c'est le soleil intellectuel dont les doux rayons éclaireront et réchaufferont le cœur des générations futures ; c'est le phare étincelant, à la lumière duquel l'humanité suivra la voie de sa libération intégrale. Dans son discours de Monflanquin (Lot-et-Garonne), M. Leygues, député et plusieurs fois ministre, disait à ses concitoyens assemblés autour de lui : « L'ennemi le plus dangereux pour les sociétés démocratiques, c'est l'Anarchie ». M. Leygues avait parfaitement raison ; toutes ces sociétés démocratiques, à formes plus ou moins diverses ; société capitaliste, républicaine ou monarchiste, suivant les nations, société soviétique, dite à tort communiste, société socialiste, toutes étatistes, toutes puissances de malfaisance sociale, sont appelées à disparaître et à laisser la place à la société anarchiste qui mettra fin à tous les privilèges, à l'exploitation de l'homme par l'homme, à toutes les coercitions autoritaires ; et qui sera le règne de la justice et de la raison et assurera à tous les êtres humains bien-être, bonheur et liberté.

Tel est l'idéal anarchiste.



- P. NAUGE (paysan anarchiste)