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IDO

« Langue fondée sur le même principe que l'Esperanto mais où ses principes ont été appliqués avec plus de rigueur » (A. Meillet : Les Langues dans l'Europe Nouvelle, Paris 1918).

Ces lignes du savant professeur de linguistique au Collège de France montrent que l'Ido n'est pas autre chose qu'une mise au point de l'Esperanto. Ce travail a été commencé en octobre 1907 par la « Délégation pour l'adoption d'une langue internationale » et continué par l'Académie Idiste en tenant compte de la critique publique faite pendant six années, de 1907 à 1913, dans la Revue mensuelle Progreso, par les idistes pratiquants de tous pays.

La langue internationale ainsi obtenue diffère de l'Esperanto sur les points suivants :

1° Alphabet : suppression des 5 lettres surmontées d'un accent circonflexe (c, g, j, li, s), « très grave obstacle pour la diffusion de la langue », écrivait si justement Zamenhof en 1894. L'alphabet Ido est l'alphabet anglais de 26 lettres, c'est-à-dire l'alphabet français, y compris le w, mais sans aucun accent grave, aigu, flexe, ni tréma, ni cédille. Il peut donc être imprimé et dactylographié partout sans difficulté ;

2° Suppression de l'accord de l'adjectif, difficulté inutile, comme le montre l'anglais ;

3° Suppression de l'accusatif obligatoire. En effet, comme le constate le Professeur Meillet, « c'est une impardonnable erreur que d'instituer, comme le fait l'Esperanto, une distinction de l'accusatif et du nominatif, distinction qui embarrassera tous les individus de langue romane et de langue anglaise et qui est inutile aux autres ;

4° Remplacement des particules fabriquées de toutes pièces (chiuj, kial, kiam, etc.) par des mots reconnaissables (omni, pro quo, kande, etc.), ce qui, vu la fréquence de ces termes, rend les textes compréhensibles à première vue ;

5° Régularisation de la dérivation en appliquant le principe que les racines doivent toujours avoir le même sens, quel que soit le dérivé dans lequel elles se trouvent ;

6° Remplacement des composés compliqués et imprécis (malkruta, marbordo, elrigardi, tagnoktegaleco, etc.) par des mots internationaux (plajo, aspektar, equinoxo, etc., etc.) ;

7° Application rigoureuse du principe du maximum d'internationalité pour le choix des racines.

Il est utile de développer ce point, car nous sommes là au nœud du sujet. Les Idistes estiment que la question du choix d'une L. I. (abréviation de Langue Internationale) ne se pose même pas, car la L. I. n'a qu'une seule et unique solution, celle qu'on obtient en appliquant le principe du maximum d'internationalité. Dix sociétés savantes, s'ignorant les unes les autres, si elles appliquent ce principe, aboutiront toutes à la même racine pour la même idée (tabl, regret, esforc, plant, etc.). On peut donc affirmer que les racines de l'Ido sont définitives puisque, présentant le maximum d'internationalité, il est impossible de les remplacer par d'autres plus internationales.

La plupart de ces réformes avaient déjà été proposées en 1894 par Zamenhof lui-même dans son journal Esperantisto, et dans ces termes : « Je montrerai quelle forme je donnerai à la langue si j'en commençais la création maintenant, ayant après moi déjà six ans et demi de travail pratique et d'essai et ayant déjà entendu tant d'opinions et de conseils reçus des personnes, journaux et sociétés les plus divers et des plus divers pays du monde ». Le 1er novembre 1894, par 157 voix contre 107, les espérantistes décidèrent « de conserver la langue telle quelle, sans aucun changement ». Depuis ce moment, Zamenhof ne voulut plus entendre parler de modifications, si bien que ce n'est qu'en 1907, et malgré lui, qu'une partie des espérantistes adoptèrent des réformes et propagèrent l'Esperanto ainsi mis au point sous le nom d'Ido, pendant que l'autre partie restait groupée autour de Zamenhof.

Le résultat de la réforme, comme le déclare l'éminent linguiste Danois Jespersen « est une langue que chacun peut apprendre très facilement : elle a, sur les autres langues artificielles, cet avantage d'être fondée sur des principes scientifiques et techniques rationnels, et, par suite elle n'a pas à craindre d'être remplacée un beau jour par une langue meilleure et essentiellement différente qui emporterait finalement la victoire ».

Nous donnons ci-dessous un texte de Zamenhof et sa traduction en Ido pour qu'on se fasse une idée des réformes effectuées :

ESPERANTO

Kiam la suno eklumis ­
super la maro, s'i vekig'is
kaj sentis fortan doloron,
sed rekte antaû s'i staris
la aminda juna reg'ido, kiu
direktis sur s'in siajn okulojn­
nigrajn kie1 karbo,
tiel ke s'i devis mallevi la
siajn, kaj tiam s'i rimarkis,
ke s'ia fis'a vosto perdig’­
is kaj ke s'i havis la
plej graciajn malgrandajn
blankajn piedetojn, kiujn
bela knabino nur povas
havi. Sed s'i estis tute nuda,
kaj tial s'i envolvis
sin en siajn densajn
longajn harojn.
IDO

Kande la suno brileskts
super la maro, el vekis e
sentis fort a doloro, ma
rekte avan el staris
l’aminda yuna rejido, qua
direktis ad el sa okuli
nigra quale karbono,
tale ke el devis deslevar la sui,
e lor el rimarkis, ke el
perdis sua fishal kaudo e
ke el havis la maxim gracioza
mikra blanka pedeti,
quin bela puerino povas
havar. Ma el esis tote
nuda, e pro to el envolvis
su en sua densa longa
hari

  - ZAMENHOF.

Le mécanisme de l'Ido est tellement simple que 10 leçons d'une heure dans le Petit Manuel Complet de 32 pages sont suffisantes pour commencer à pratiquer la langue. En voici du reste un aperçu:

EXPOSÉ DU SYSTÈME IDO

Prononciation. Toutes les lettres se prononcent comme dans l'alphabet. C = ts, CH = tch, SH = ch, E = é, U = ou. S comme dans sou et G toujours dur.

L'article défini (le, la, les, français) se traduit par LA.

Les terminaisons suivantes indiquent : 0, le substantif singulier ; A, l'adjectif (invariable) ; E, l'adverbe ; I, le pluriel.

Conjugaison (une seule). - Esar : être. - Me Esas : je suis. - Tu Esas : tu es. - Il Esas : il est. - Ni Esas : nous sommes. - Vi Esas : vous êtes. - Ili Es as : ils sont.

Les autres terminaisons verbales sont : Is, passé de l'indicatif ; Os, futur ; Anta, Inta, Onta, participe actif, présent, passé et futur ; Ata, Ita, Ota, participe passif, présent, passé et futur ; Ez, impératif-subjonctif ; Us, conditionnel.

En ajoutant aux racines les préfixes et suffixes suivants, on forme un vocabulaire très riche :

PREFIXES

arki-, degré supérieur : arki-duko, archiduc.

bo-, parenté par mariage : bo-patrulo, beau-père.

des-, contraire : des-espero, désespoir.

dis-, dissémination : dis-semar, disséminer.

ex-, ancien : ex-ministro ; ex-ministre.

ge-, réunit les deux sexes : ge-frati, frères et sœurs.

mi-, à moitié, demi : mi-klozita, mi-clos.

mis-, de travers, par erreur : mis-tiukiar, égarer.

ne-, négation : ne-utila, inutile.

par-, jusqu'au bout : par-lektar, lire jusqu'au bout.

para-, qui protège contre : para-vento, paravent.

pre-, avant : pre-dicar, prédire.

retro-, en arrière : retro-irar, rétrograder.

ri-, répétition : ri-dicar, redire.

sen-, privation : sen-barba, imberbe.

SUFFIXES

-ach, péjoratif (terme de mépris) : popul-ach-o, populace.

-ad, fréquence, prolongation : dans-ad-o (la) danse.

-aj, ce qui est fait de, ce qu'on…, ce qui... : lan-aj-o, lainage ; lekt-aj-o, lecture ; rezult-aj-o, résultat.

-al, relatif à : nacion-al-a, national.

-an, membre : senat-an-o, sénateur.

-ar, collection : vaz-ar-o, vaisselle.

-ari, qui reçoit l'action : legac-ario, légataire.

-atr, qui tient de : sponj-atr-a, spongieux.

-e, qui a la couleur, l'aspect : tigr-e-a, tigré.

-ebl, qu'on peut : vid-ebl-a, visible.

-ed, ce que contient : bok-ed-o, bouchée.

-eg, augmentatif : bel-eg-a, superbe.

-em, porté à : venj-em, vindicatif.

-end, qu'on doit : pag-end-a, payable (à payer).

-er, qui pratique : dans-er-o, danseur.

-eri, établissement : distil-eri-o, distillerie.

-es, état, qualité : fort-es-o, force,

-esk, commencer, devenir : dorm-esk-ar, s'endormir ; pal-esk-ar, pâlir.

-et, diminutif : mont-et-o, éminence.

-estr, maître : skol-estr-o, maître d'école.

-ey, lieu affecté à : dorm-ey-o, dortoir.

-i, domaine, ressort : parok-i-o, paroisse.

-id, descendant : sem-id-o, sémite.

-ier, caractérisé par : reni-ier-o, rentier.

-if, produire : frukt-if-ar, fructifier.

-ig, rendre, faire : bel-ig-ar, embellir ; dorm-ig-ar, endormir.

-ik, malade de : ftizi-ik-o, phtisique.

-il, instrument pour : bros-il-o, brosse.

-in, féminin : frat-in-o, sœur.

-ind, digne de : kondamn-ind-a, condamnable.

-ism, doctrine : katolik-ism-o, catholicisme.

-ist, professionnel : pian-ist-o, pianiste.

-iv, qui peut : instrukt-io-a, instructif.

-iz, munir, garnir : vest-iz-ar, vêtir.

-oz, qui a ce que dit la racine : por-oz-a, poreux.

-ut, mâle : kat-ul-o, matou.

-ur, produit de l'action : skult-ur-o, (une) sculpture.

-uy, contenant : ink-uy-o, encrier.

-yum, petit ou jeune (animal) : boc-yun-o, veau.

En application, voici un texte en Ido qu'on déchiffrera facilement :

« L'experienco montras ke nula fluvio, nul a oceano, nula monto, pozas intel homi obstaklo tam granda kam du diferanta lingui. En la kongresi internaciona on uzas plura idiomi ed on komprenas apene l'unu l'altru. Se on volas tradukar libro vizanta omna populi di la mondo, on sakrifikas granda kapitali ed on obtenas rezultajo mizeroza. On bezonas organo internaciona por korespondar inter su sen jeno. Or nula linguo nacionala povas servar por tala rolo : 1, on ne obtenus voto konkordanta, pro ke omna populo elektus sua propra linguo e ne volus cedar ad altra ; 2, linguo nacionala ne esas facila mem por sua naciono, o1 ne esas do facila por altri. Or linguo nefacila havas nula chanco por divenar internaciona. En tala kondicioni restas, kom sole adoptebla, artificala linguo pro ke ol prizentas la du avantaji esar : 1, komplete neutra ; 2, extreme facila ».



Historique du mouvement Idiste.

La Délégation pour l'adoption d'une L. I. fondée en 1901, avait reçu l'approbation de 310 sociétés savantes et de 1.250 mem­bres des Académies et Universités, lorsqu'elle élut, en 1907, le Comité International qui, au mois d'octobre, adopta en principe l'Esperanto, « sous réserve de certaines modifications », en cherchant à s'entendre avec le Lingva Komitato espérantiste. Mais, le 18 janvier 1908, Zamenhof refusa toute entente. Il fut alors procédé à la mise au point de la langue qui recueillit l'adhésion d'éminents espérantistes, tels que Charles Lemaire en Belgique, Schneeberger en Suisse, Ahlberg en Suède, Pfaundler en Autriche, Kofman en Russie, Lusaa en Italie, etc., ainsi que des partisans d'autres systèmes, tels que Schmit de Nurenberg, un des premiers espé­ rantistes, passé ensuite à l'Idiom Neutral, et Bollack, l'auteur de la Langue Bleue. Le 29 mars 1908, Zamenhof ayant demandé de ne pas employer pour la langue le nom d'Esperanto (pour lui rendre hommage, elle était propagée sous le nom d'esperanto simplifié), on accéda à son désir, et le nom d'Ido (pseudonyme sous lequel de Beaufront avait déposé le projet de réformes) fut adopté quelque temps après.

L'Ido continua de se répandre et de recruter des adeptes, à la fois parmi les espérantistes et parmi le public jusque-là indifférent. C'est ici qu'il faut signaler une épreuve à laquelle n'a été soumise aucune autre L. I.. De 1908 à 1913, toutes les propositions d'améliorations de l'Ido ont été présentées à la critique publique des adeptes dans Progreso, l'organe officiel de l' « Uniono por la Linguo Internaciona ». Les 3.600 pages que constitue la collection des 80 fascicules de cette revue sont une mine inépuisable de remarques linguistiques pratiques permettant d'affirmer que la question a été examinée sous toutes ses faces, qu'aucun point n'a été laissé dans l'ombre. Les Idistes pensent donc que l'Ido n'a plus à craindre aucun concurrent, d'autant plus que, toujours prêt à accepter les améliorations, forcément très minimes, qu'on lui démontrerait évidentes, il ne peut être remplacé par un système meilleur, puisqu'il accepterait de s'incorporer les supériorités de ce système.

Le premier congrès en Ido devait se tenir à Luxembourg, en août 1914. L'immonde tuerie l'empêcha et il n'eut lieu qu'à Vienne, en 1921. Il fut suivi des congrès de Dessau, Cassel, Luxembourg et Prague. Inutile de dire que la seule langue employée est l'Ido, puisque c'est la seule qui soit commune à tous les congressistes.

L'Ida a reçu des applications dans tous les domaines.

Certaines maisons de commerce l'emploient pour leur réclame internationale. Des dictionnaires techniques, tels que les Eléments de machines et outils usuels, de Schloman, ont été traduits en Ido. En 1924, un dictionnaire de 250 pages, uniquement consacré à la radio, a paru en Ido, avec définitions et explications en Ido. Du reste, plusieurs stations font des émissions en Ido, notamment celle de Kiev.

Dès 1909, des propagandistes de l'Esperanto dans les milieux ouvriers passèrent à l'Ido. Le groupe intersyndical idiste fut fondé et un cours, qui subsiste toujours, fut ouvert à la Bourse du Travail de Paris. Le mouvement se développa également hors de France et, en mai 1911, parut le premier numéro de Kombato, bulletin trimestriel d' « Emancipanta Stelo », Union internationale des travailleurs idistes.



Chez les Anarchistes.

Comme il était à prévoir, les anarchistes, pour lesquels n'existe aucun dogme intangible, ni linguistique ni autre, furent les premiers à exercer leur esprit critique de libre examen dans ce domaine. Jusqu'en 1908, le « Grupo esperantista libertaria » propagea l'esperanto par des cours publics et par correspondance. Mais en 1909, gagné aux réformes, le groupe fut dissous. Quelques mois plus tard, le « Grupo libertaria idista » se forma et ouvrit, en novembre 1909, à la Coopération des Idées, le premier cours public d'Ido à Paris. En même temps, il annonçait dans les journaux anarchistes l'envoi de 2 manuels de 32 pages, l'un d'esperanto et l'autre d'ido, à tous les camarades désireux de connaitre la question. Le « Grupo libertaria idista », qui est la section anarchiste d'Eman­cipata Stelo, créa en 1922 son propre organe, Libereso, revue trimestrielle rédigée par des anarchistes idistes de tous pays.

En 1921, la résolution du Congrès anarchiste de Lyon sur la question de la L. I. fut la suivante : « Les anarchistes reconnaissent l'utilité d'une langue internationale (les avantages de celle-ci ne sont pas à exposer ici). N'étant pas capables d'apprécier en connaissance de cause la valeur respective de l'Esperanto et de l'Ido, ils se refusent à se prononcer sur l'adoption de l'un plutôt que de l'autre. Ils confient au prochain Congrès international anarchiste le soin de trancher cette ques­tion ».

Le Congrès international anarchiste se tint à Berlin, du 25 au 31 décembre1921, et, très sagement, décida ce qui suit : « Le Congrès, après l'intervention d'un certain nombre de délégués, reconnaît la nécessité d'une L.I. et recommande aux camarades l'étude de l'Ido et de l'Esperanto, sans se prononcer pour l'un ou l'autre de ces idiomes ». Pas plus que le Congrès de Lyon, celui de Berlin ne pouvait, en effet, se prononcer en connaissance de cause, n'ayant pas procédé aux études, expériences et essais nécessaires. Cela doit être l'œuvre des camarades que la question intéresse, et les documents sur la L.I. sont assez nombreux pour qu'ils puissent eux-mêmes résoudre la question. Pour l'Ido, nous leur signalons les ouvrages suivants : Petit Manuel Complet en 10 leçons (32 pages) ; Rapport du Grupo liberiaria Idista aux Congrès anarchistes ; La Langue Internationale et la Science (de Couturat, Jespersen, Ostwals, Pfaundler et Lorenz) ; Le Prolétariat et la L. I., de Legrand ; Langue auxiliaire, laquelle? par de Beaufront.