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IGNORANTISME

Ce mot est un néologisme qui vient de ignorant. L’ignorantisme est « le système de ceux qui prônent les avantages de l’ignorance, ou qui soutiennent que la science est mauvaise en soi. » (Littré.) C’est « le système de ceux qui repoussent l’instruction comme nuisible. » (Larousse.) L’ignorantisme a un corollaire dont on ne peut pas le séparer :l’obscurantisme (du néologisme obscurant), qui est non seulement « l’opposition aux progrès des lumières et de la civilisation » (Littré), mais aussi l’enseignement de l’erreur et du mensonge. Boite a vu l’explication de l’obscurantisme dans ce passage de l’Ecriture : « Celui qui agit mal hait la lumière. »

Bescherelle a dit qu’il est deux sortes d’ignorance : « l’une, naturelle à l’homme, est celle dans laquelle il naît, et qui ne peut être dissipée que par l’instruction qui lui est donnée ; l’autre est celle des grands et bons esprits qui, par leur instruction même, ont appris à respecter les limites imposées aux connaissances humaines. » L’ignorance des « grands et bons esprits » est celle des hommes qui reconnaissent l’insuffisance de leur savoir comparé à tout ce qu’ils auraient encore à apprendre. « Reconnaître son ignorance est un beau témoignage de jugement », a dit Charron, et Voltaire a ajouté : « Nous sommes tous des ignorants ; quant aux ignorants qui font les suffisants, ils sont au-dessous des singes. » Mais on ne peut appeler « grands et bons esprits » ceux qui souscrivent à cette idée singulière qu’il peut y avoir « des limites imposées aux connaissances humaines ». Si sincères qu’ils soient, si bonnes que puissent être leurs intentions, - l’enfer, dit-on, est pavé de bonnes intentions, - ils sont des esprits petits et dangereux qui, consciemment ou non, participent à la besogne de l’ignorantisme et de l’obscurantisme. Car, admettre que l’esprit humain ne peut dépasser un certain degré de connaissance, n’est qu’une forme captieuse de l’obscurantisme. Ce n’est pas s’opposer à la science, mais c’est lui dire : « à partir de tel moment, tu n’iras pas plus loin », c’est marquer l’heure de ce qu’on a appelé sa « faillite ». Comme conséquence, c’est borner les espérances de l’humanité, c’est aggraver ses motifs de désespoir en lui montrant le néant d’une rédemption par son propre effort. Et c’est, au nom de l’ignorance, prétendre en savoir plus que la connaissance humaine en apprendra peut-être jamais. C’est ainsi que l’ignorance des « grands et bons esprits » dont parle Bescherelle, a toute l’hypocrisie de l’humilité ignorantine, toute l’audace de l’imposture obscurantiste, qui opposent les impudentes affirmations de l’erreur aux scrupuleuses hésitations du doute.

L’ignorantisme a été l’œuvre des prêtres depuis le début des sociétés humaines. Il s’est organisé avec les religions, avec leurs mystères qui devaient rester impénétrables aux non initiés, à la masse des hommes, pour s’imposer à eux par la terreur et non par la raison. Ce sont ces motifs mystérieux qui font croire aveuglément aux dogmes et à leurs absurdités contre les vérités apportées par la science. L’ignorantisme, moyen des religions, était trop commode pour ne pas devenir celui des gouvernements. Les hommes ignorants sont plus faciles à gouverner que les hommes instruits. Leur ignorance les livre également au despotisme et à la démagogie des fausses démocraties, plus empressées à construire des casernes et des prisons que des écoles. Le même principe ignorantiste qui fait employer le latin dans les cérémonies de l’Église pour que les foules n’y comprennent rien, préside aux délibérations de la diplomatie secrète des États qui fait décréter ces mobilisations qui ne sont pas la guerre, mais envoient les peuples à la boucherie sans qu’ils sachent jamais pourquoi. L’ignorantisme a toujours été le plus sûr moyen de domination. C’est lui qui a formé cette patience et cette résignation des classes laborieuses sur lesquelles, disait Mme de Staël, « l’ordre social est basé tout entier. » II a fait les « bons esclaves » de l’antiquité, les « bons serfs » du Moyen-Age. Il fait toujours les « bons croyants » fidèles de l’Église, les « bons ouvriers » soumis au patronat, les « bons citoyens » dévoués à l’État, les « bons soldats » défenseurs de la Patrie. Il fait les « bons civilisés » qui répandent la dévastation dans le monde au nom de Dieu, de la Liberté et du Droit. Voltaire demandait : « Pourquoi, seul de tous les animaux, l’homme a-t-il la rage de dominer sur ses semblables ? Pourquoi et comment s’est-il pu faire, que sur cent milliards d’hommes, il y en ait eu plus de quatre-vingt-dix-neuf immolés à cette rage ? » II aurait pu répondre : « C’est par l’ignorantisme que cela a pu se faire. » Mais lui-même ne professait-il pas cet ignorantisme en disant qu’il fallait « une religion pour le peuple » ? Il fallait une religion pour le maintenir dans l’ignorance, mère de la soumission, qui lui inculquait la rage de l’immolation de sa race.

L’ignorantisme dans lequel les prêtres et les despotes ont toujours tenu les hommes, a trouvé son principal argument dans le dogme du péché originel. L’homme a été chassé du Paradis Terrestre parce qu’il a voulu goûter au fruit de l’Arbre de la Science. De cette ténébreuse histoire sont sortis tous les maux de l’humanité. Aussi, pour redevenir pur et digne de Dieu, l’homme doit-il bannir toute science. « Heureux les pauvres en esprit », ils goûtent la première des béatitudes. A la connaissance, qui est la source de ses malheurs, il doit substituer la foi, la confiance aveugle qui ne raisonne pas et qui est d’autant plus méritoire qu’elle ne s’exprime que par l’adoration. Credibile quia ineptum est, disait Tertullien à propos de la résurrection du Christ : « il faut le croire parce que cela est contre la raison. » Voilà le principe. Il a un défaut qui en marque souverainement l’imposture, c’est qu’il n’est qu’à l’usage des naïfs, des « ânes à deux pieds », comme disait Manzolli, qui se laissent prendre aux embûches des « ministres de fourberie ».

Dès les premiers temps du christianisme et pendant tout le Moyen-Âge, cet ignorantisme a fait la guerre à la science, détruit les œuvres et les bibliothèques, banni la culture grecque qui dut se réfugier pendant quinze siècles chez ceux qu’on appelait les « barbares », falsifié la pensée et la langue latines, persécuté les savants et brûlé leurs œuvres quand il ne brûlait pas les auteurs en même temps. Tout ce qui était nouveau était une invention du diable, particulièrement l’imprimerie qui allait permettre de propager la pensée à l’infini. Ph. Chasles a dit de l’imprimerie : « L’indépendance de l’esprit en est la conséquence nécessaire et la facilité de l’insurrection s’y rattache. Tout comprendre, tout savoir ! l’arbre de la science accessible à tous ! » II n’en fallait pas tant pour qu’elle fût abominable, aussi : « Dès le commencement du XVIè siècle, les puissants virent ce qu’elle était. Ils en eurent peur... On détruisit les livres et même les imprimeries ; on brûla et l’on pendit à Londres, à Paris, à Rome, à Naples, à Sarra-gosse ; résistance frivole et impuissante, prolongée inutilement pendant deux siècles. » (Ph Chasles : Le Moyen-Age.) A la veille de la Révolution, on brûlait encore les œuvres de J.-J. Rousseau, de même qu’on brûlait le chevalier de La Barre. Aujourd’hui, comme l’a démontré une récente enquête du journal Comœdia, il y a toujours des gens qui veulent brûler des livres, ceux de Rousseau en particulier. C’est une tradition qui s’est transmise dans les collèges catholiques et les séminaires depuis la Restauration, attribuant tous les malheurs de la France (lisez, de ces privilégiés) aux Encyclopédistes.

Il est tombé par terre,
C’est la faute à Voltaire ;
Le nez dans le ruisseau,
C’est la faute à Rousseau.

Les cléricaux disent volontiers que l’Église a organisé l’enseignement puisque c’était elle, jadis, qui tenait les écoles. Ils devraient dire qu’elle a organisé l’ignorantisme. Les écoles ont été d’abord uniquement destinées à former des religieux, à recruter des adeptes, « le besoin de perpétuer les traditions religieuses et de transmettre les rites ayant rendu nécessaire une préparation méthodique des clercs destinés à recueillir la doctrine et le culte, longtemps avant que le prix de la culture pour elle-même fût reconnu des particuliers et qu’elle s’imposât aux cités comme un objet d’intérêt public. » (H. Marion :La Grande Encyclopédie). Lorsque, sous la poussée d’un esprit universitaire laïque, l’Église fut tenue d’adopter une certaine science, pour ne pas rester trop en arrière du progrès et ne pas perdre tout crédit, elle prétendit renfermer la connaissance dans ces limites dont parle Bescherelle et que les « grands et bons esprits » respectent. Elle adoptal’aristotélisme, science d’Aristote qui avait été, de nombreux siècles avant, l’homme qui « savait tout », mais que l’antiquité elle-même avait dépassé bien avant que le christianisme fût né, et elle s’y attacha désespérément, le défendant pied à pied contre le flot toujours montant du progrès.

Toutes les découvertes scientifiques ont vu l’Église dressée contre elles pour défendre l’édifice artificiel de la science prétendue « divine » établie par ses docteurs. On connaît l’histoire de Galilée ; elle est la plus caractéristique de la lutte de l’Église acharnée contre la vérité. Les conceptions de Galilée n’étaient pas nouvelles. Sans remonter aux pythagoriciens qui avaient déjà montré que le système de Ptolémée de la fixité de la Terre était faux, dès le XVè siècle, le belge Nicolas de Cues avait enseigné que la Terre tournait. Cinquante ans avant Galilée, sa théorie était celle de l’allemand Widmanstadt et de l’italien Célio Calcagnini ; enfin, elle était à la base du système de Copernic. Tout cela n’empêcha pas l’Église de traiter Galilée en « hérétique » et de l’obliger à se rétracter parce qu’il avait dit que la Terre tournait ! Depuis, d’autres découvertes ont démontré surabondamment que Galilée disait vrai et que l’Église « infaillible » errait : elle n’en persista pas moins, autant qu’elle le put, contre cette évidence scientifique. Stendhal a raconté à ce sujet une anecdote amusante dans la Vie de Henri Brulard qui est son autobiographie. I1 avait eu pour précepteur un abbé Raillane. « Un jour, dit Stendhal, mon grand-père dit à l’abbé Raillane :
—  Mais, monsieur, pourquoi enseignez-vous à cet enfant le système céleste de Ptolémée que vous savez être faux ?
—  Mais il explique tout, et, d’ailleurs, est approuvé par l’Église. »

Tout le procédé de l’ignorantisme est là, révélé par cette anecdote. Stendhal ajoute que cette réponse de son précepteur, répétée souvent par son grand-père, acheva de faire de lui « un impie forcené ». A côté de Stendhal, combien recevaient le même enseignement qui n’avaient pas un aïeul capable de leur montrer la tromperie et qui, sur ce sujet comme sur tous les autres, devaient devenir les victimes des « ministres de fourberie » !.... Certes, dans ses grandes écoles - (et c’est une des nombreuses contradictions de ses principes avec son intérêt, du « spirituel » avec le « temporel ») - l’Église affecte d’être plus que quiconque au courant de la vérité scientifique et de l’enseigner, se réservant seulement par sa casuistique, d’en dénaturer le véritable sens ; mais encore aujourd’hui, combien d’enfants pauvres, que leurs parents sont contraints d’envoyer dans les écoles libres s’ils ne veulent pas être privés de travail par des patrons « bien pensants », apprennent toujours d’un ignorantin que la Terre est le centre de l’univers de même que Dieu a fait le monde en six jours ! On peut ainsi se faire une idée de ce que devait être l’enseignement lorsque l’Église en était entièrement maîtresse.

Le plus longtemps possible, l’Église n’ouvrit des écoles que pour former des clercs. Lorsque, malgré elle, l’éveil des esprits fit de l’instruction une nécessité d’État et que, sous Charlemagne, en 789, exactement mille ans avant l’éclatement de la Révolution française, furent créées les premières écoles pour les nobles et les hommes libres, elle s’assura le privilège de tenir ces écoles. Après, quand les villes et des particuliers en ouvrirent à côté des siennes, son privilège s’étendit sur elles pour leur surveillance et pour la vérification de leur enseignement. De tout temps l’enseignement de l’Église fut dénoncé comme celui de l’ignorantisme et de l’obscurantisme par ceux qui cherchaient la vérité. Ce fut, d’abord, dans les querelles scolastiques, par les montanistes, les ariens, les iconoclastes, les sabelliens, qui furent « les premiers protestants », dit Ph. Chasles. Puis, dans la jeune Université qui opposa Aristote à l’Église avant qu’elle l’adoptât, Dun Scott, Abélard, Arnaud de Brescia, Occam et Thomas d’Aquin lui-même avant qu’on en eût fait un saint et « le maître par excellence de la théologie et de la philosophie. » Dans les œuvres des troubadours, les prêtres étaient appelés fals prophetas (faux prophètes), maistres mensongiers (maîtres mensongers), ministros de tenebras (ministres des ténèbres), sperits d’erros (esprits d’erreur),arbres auctomnals morts (arbres d’automne morts). Dante, Pétrarque, Boccace et bien d’autres, en Italie, les jugeaient avec la même violence ; bien avant Luther, le pape fut appelé par eux l’antechrist.

L’Église n’en parvenait pas moins à faire condamner ses adversaires comme, hérétiques par la justice des parlements, et cela jusqu’à la Révolution. Le prétendu gallicanisme de Louis XIV ne l’empêcha pas de révoquer l’Edit de Nantes. Les rois avaient trop besoin de l’Église pour tenir les peuples dans la soumission. Malgré tous les démêlés qu’ils eurent avec les Jésuites, les collèges de ces derniers ne cessèrent de prospérer. Lorsqu’on chassait les jésuites par la porte, ayant changé d’habit ils rentraient par la fenêtre. On le savait et on laissait faire, sachant aussi que, suivant ce qu’écrivait le cardinal d’Ossat à Henri IV : « eux seuls ont-ils plus d’industrie, de dextérité et de moyen pour contenir les peuples en l’obéissance et dévotion que les sujets doivent à leur roi, que n’ont possible tous les autres ordres et religions ensemble. »

Car le but de l’école ignorantiste n’est pas d’instruire ; il est d’apprendre à obéir. Pour cela, elle met à sa base l’infaillibilité de ses professeurs et de son enseignement ; elle interdit la discussion, combat l’esprit critique et le libre examen ; elle commande la foi et l’obéissance passive. Obéir ! Pour obtenir ce résultat, l’école ignorantiste emploie tous les moyens de dressage, depuis la privation de dessert au réfectoire jusqu’à la torture dans les cachots. Saint Augustin disait au Ve siècle : « Plutôt la mort que le retour à l’école de notre enfance ! » Au XXè siècle, on fait faire à des fillettes des croix de langue sur des sièges de cabinets, on retrouve encore de petits cadavres dans des placards, et des malheureux traînent toute leur vie les stigmates d’ignobles tortures subies dans leur enfance. C’est par un système de terreur et d’abrutissement continus qu’on arrive à la soumission absolue du jésuite qui n’a plus de pensée, de conscience, d’activité personnelles, et qui est livré à ses maîtres perinde ac cadaver (comme un cadavre). L’ignorantisme d’État n’est pas moins abrutissant pour obtenir l’obéissance complète du soldat. Comme disait Larousse : « On pourrait inscrire le perinde ac cadaver sur la porte de toutes les casernes. »

C’est pour lutter contre le protestantisme que Barré fonda les écoles chrétiennes. (Voir Ignorantin.) Ce protestantisme, après avoir jeté un flot de lumière dans les basses-fosses de l’obscurantisme catholique, se rallia peu à peu à l’ignorantisme en même temps qu’au conservatisme social. Il y a longtemps qu’il ne proteste plus. Genève se montra trop souvent digne de Rome dans l’intolérance et la persécution de la pensée. La monstrueuse célébrité de Torquemada semble avoir empêché Calvin de dormir.

Les Indépendants, les Anabaptistes anglais, au XVIIè siècle, étaient hostiles à l’instruction : « bien qu’ils eussent parmi eux des lettrés accomplis tels que John Milton, le colonel Hutchinson, et d’autres, il régnait dans leurs rangs une défiance profonde à l’égard de l’instruction, et elle a été constatée par des écrivains de toutes les nuances politiques. Dans sesSermons, le Dr South fait remarquer que toute instruction était décriée au point que chez eux les meilleurs prêcheurs étaient les gens qui ne savaient pas lire, les meilleurs théologiens, ceux qui ne savaient pas écrire. Dans toutes leurs prédications, ils avaient de si hautes prétentions à l’Esprit-Saint que certains d’entre eux étaient incapables de déchiffrer une lettre. Pour eux, l’aveuglement était la qualité essentielle d’un guide spirituel... Une Ballade loyaliste disait ceci :

Nous détruirons les Universités,
Où l’on répand l’instruction,
Parce qu’elles emploient et encouragent
Le langage de la Bête.
Nous mettrons les Docteurs à la porte,
Ainsi que les talents, quels qu’ils soient ;
Nous décrierons tous les talents, toute l’instruction,
Et holà ! alors nous nous élèverons.
(Conan Doyle : Les Recrues de Monmouth.)

On retrouve cet état d’esprit dans certaines déclarations. « ouvriéristes » de notre temps.

L’Église continue, avec une persévérance inlassable, l’œuvre d’ignorantisme poursuivie à travers les siècles par toutes les religions. Elle est l’aigle légendaire qui ronge sans cesse le foie de Prométhée, père de la civilisation qu’elle tient enchaînée dans les superstitions et qu’elle empêche de se développer librement et pour tous. C’est le même esprit d’obscurantisme qui fit déchirer Orphée par les Ménades, boire la ciguë à Socrate, périr Hypathie au Ve siècle, brûler Etienne Dolet au XVIè, qui, au XXe, prêche encore le massacre des hérétiques à Notre-Dame de Paris et même la lutte contre l’école laïque qu’il appelle « l’école du vice » ! Et c’est, quoi qu’on en puisse dire, le même esprit qui dirige le mouvement néo-catholique manifesté depuis la Grande Guerre grâce à ce triple concours : désarroi moral des classes laborieuses déséquilibrées par le détraquement général ; offensive capitaliste contre toutes les idées et revendications de justice sociale ; corruption des « intellectuels » asservis à l’argent et au succès. Dans tout cela, très peu de science et encore moins de conscience, malgré les apparences dont les charlatans religieux enrobent leurs pilules. Ce sont d’abord les conversions bruyantes, sinon carnavalesques, de cabotines à la mode, mûries dans la galanterie après une carrière aussi longue que tourmentée. Ce sont aussi celles d’anciens hommes de lettres, plus ou moins anarchisants, qui disaient jadis, avec Adolphe Retté, le plus violent d’entre eux : « Ayant la République, nous avons la gale. Ayant la monarchie cléricale et militaire, nous aurions la peste. Nous préférons la gale. » Aujourd’hui, comme Retté, ils préfèrent la peste et ils travaillent pour la ramener. Mais ce sont surtout, dans le domaine de l’ignorantisme supérieur, les jeunes « intellectuels » qui avancent en escadrons de plus en plus serrés, pour « défendre la liberté dans les disciplines romaines », celles de l’ancien empire romain (lisez fascisme), et celles du catholicisme (lisez inquisition), pour retrouver une ère de foi et d’unité dans la « spiritualité d’un nouveau Moyen-Age » qui serait la soumission à Dieu, le ce surrationnalisme » et l’internationalisme « dans le règne de grâce divine qui seule concrétise la vie. » C’est ce pathos, dont la formule est donnée dans des livres récents, qu’on développe dans des centaines de volumes et de conférences, qui est présenté comme la science nouvelle. Il n’a rien d’original, car il nous ramène aux temps où la vraie culture étant bannie, et la véritable science étant considérée comme sorcellerie, les théologiens discutaient de gloses fuligineuses comme celle-ci : « Savoir si une chimère, bombinant dans le vide, peut manger les intentions secondes. » Mais il satisfait admirablement le snobisme. Et celui-ci « bombine dans le vide » tout à son aise, tel un chœur de crapauds bombinants (bombinator igneus), au restaurant, aux courses, au dancing, chez le manucure, comme à l’église ; en prenant le thé, en fumant des drogues, en faisant l’amour comme en se confessant. Il parle indifféremment, dans la plus spirituelle des confusions, du boxeur, du danseur, du couturier, du coiffeur, de l’escroc à la mode et des pères de l’Église ; il mêle upercut, charleston, ondulation, cochons argentés et sermons. Les matches de boxe, les revues nègres, les boîtes de nuit, les garçonnières, les prédications de Carême, réunissent les mêmes clients au luxe trop raffiné, aux mœurs trop douteuses, aux cervelles trop vides. Ce snobisme fut jadis « anarchisant » ; il fut ensuite- « bergsonien » ; il est devenu « thomiste », et Thomas d’Aquin est son prophète entre une « championne » de tennis et une danseuse noire qui s’habille avec des bananes. Tel est le tryptique symbolisant la foi nouvelle et qu’un peintre du jour devrait réaliser pour remplacer dans l’imagerie sulpicienne les Ecce Homo, les Angélus, les Pieta, et autres sujets démodés de « l’art religieux ». Le « docteur angélique » (Thomas d’Aquin) serait plutôt éberlué s’il se voyait parmi de tels disciples. Un saint Jérôme constaterait que sa satire ne servit pas à grand’ chose, bien qu’elle cingla vigoureusement la corruption des faux chrétiens qui, de son temps, allaient chercher la volupté païenne jusque dans le désert.

Voilà le nouvel avatar des modernes sophistes qui oublient, ou feignent d’oublier, que pour amener la régression sociale à laquelle ils s’emploient, il faudrait l’aveuglement d’une foi que le catholicisme lui-même a éteinte par ses agissements. On pourrait leur répéterce que Voltaire disait au Pédagogue chrétien et aux loueurs de chaises de sa paroisse : « Vous ne sauriez croire quel tort vous faites à la religion par votre ignorance, et encore plus par vos raisonnements. On devrait vous défendre d’écrire, à vous et à vos pareils, pour conserver le peu de foi qui reste dans le monde. » La foi de tous ces bons apôtres, soucieux uniquement d’attitudes avantageuses, se mesure à l’importance de leur compte en banque, à la voracité de leurs appétits et, à leur défaut total de charité et d’humilité.

La besogne de l’ignorantisme catholique actuel puise son inspiration dans l’Encyclique Quanta Cura, du 8 décembre 1864, où la liberté de conscience est qualifiée de « délire et de liberté de perdition », et dans l’Encyclique Quas Primas, du 11 décembre 1925, disant que « la peste de notre temps, c’est le laïcisme, ses erreurs et ses tentatives impies. » Ce sont ces Encycliques complétant le Syllabus qui donnent les mots d’ordre de toute la campagne de ruse, d’intimidation et de violence menée par l’Église contre l’enseignement qui n’est pas le sien. On voit que depuis dix-neuf siècles sa mentalité n’a pas changé malgré les apparences de son opportunisme.

Mais, qui veut trop prouver ne prouve rien, et il ne suffit pas de menacer les gens d’excommunications plus ou moins majeures ou du bûcher, lorsqu’on dispose de ce moyen, pour avoir raison. « Frappe mais écoute », a dit Thémistocle. Il faut empêcher l’Église de frapper et, si elle ne veut pas écouter, ça n’a aucune importance pourvu que ses victimes puissent entendre. L’Église reproche entre autres choses à l’école laïque d’être « complice du fléau de la dépopulation ». Quand on pense que la chasteté est ce qu’elle recommande comme l’état de grâce le plus parfait, on se demande comment elle peut concilier deux choses aussi contraires : chasteté et repopulation. Car il faut choisir l’un ou l’autre ; on ne peut être chaste et avoir des enfants. Une seule femme a réussi ce miracle, et encore devons-nous le croire sur parole, avec la foi non avec la raison. Le dilemme est impitoyable, sauf pour l’Église qui a des explications. Mais elles ne sont pas pour ceux qui doivent croire aveuglément, pour les pauvres gens à qui un curé promet l’enfer s’ils n’ont pas beaucoup d’enfants et qui ira, lui, en paradis parce qu’il n’en aura pas.

Il arrive alors, par un juste retour des choses, que l’ignorantisme abêtit non seulement ceux qui le subissent, mais aussi ceux qui le professent. La faute des ignorantistes porte son châtiment en elle-même. Et que les bêtes nous pardonnent quand nous parlons d’abêtissement, elles ne tombent jamais si bas que ces messieurs, lorsque la vilaine bête qui est en eux se manifeste contre leur prétention à la chasteté (voir  Ignorantin ), ou qu’ils falsifient leur catéchisme pour envoyer les hommes à la guerre. Il en est de même pour les ignorantins supérieurs. « Ce n’est pas impunément qu’on lit de mauvais livres », disait Victor Hugo ; ce n’est pas impunément, non plus, qu’on en écrit et qu’on en répand la substance. Les « intellectuels » qui, en 1914, ont laissé « mobiliser leurs consciences », comme l’a montré Demartial dans un livre vengeur, se sont à jamais disqualifiés, souillés dans l’océan de boue et de sang où ils ont contribué à précipiter les hommes. Seul, celui d’entre eux qu’ils ont voulu chasser, déchirer, flétrir, parce qu’il resta pur au-dessus de leur impureté, humain en dehors de leur bestialité, Romain Rolland, laissera un nom que la mémoire des hommes conservera avec toujours plus d’amour et de reconnaissance. On a honte pour ces savants, ces penseurs, ces artistes, devant les divagations où les a conduits leur intellectualité en délire et surtout leur lâcheté de caractère. Ils ont mobilisé avec leurs consciences la science, la pensée, l’art qu’ils prétendaient pompeusement représenter. Ils ont fait français, allemand, anglais ou turc, suivant les nations encerclées par le fer et la sottise, ce qui était, au-dessus de tout, universel. Dieu lui-même fut mobilisé, mis au service des gouvernements ; les églises s’emplirent de drapeaux et des chrétiens portèrent la croix de guerre. Ils soutiennent aujourd’hui, dans l’Europe mutilée, des sophistications qui, si on les laisse faire, la ramèneront à la décomposition et à la pourriture où sombra l’empire romain.

A côté des savants véritables, ne recherchant que la vérité et faisant cette union de « science et conscience » réclamée par Rabelais, il y a les savants d’église. M. Guignebert écrivait, à leur sujet (Œuvre, 19 avril 1927), à l’occasion de la célébration des soixante-dix ans d’Alfred Loisy : « En principe, l’Église aime la science et de cet amour elle proteste en toute occasion, la main sur son cœur, mais il ne s’agit jamais que de la science définie et régentée par elle, celle dont elle escompte les services ou, à tout le moins, la neutralité bienveillante. Pourtant la science n’est rien, elle n’est pas là où elle ne trouve point la liberté absolue de sa recherche, la libération totale de toute autorité, la pleine sécurité de ses conclusions. Lui reconnaître les droits qu’elle réclame, ce serait, pour le dogmatisme nécessaire de l’orthodoxie, accepter son propre suicide. » Durant quelques années, sous l’œil soupçonneux de censeurs vigilants et d’espions zélés, Loisy a essayé de gagner l’impossible gageure : servir à la fois la science désintéressée et l’Église romaine. Sa sincérité était parfaite et il croyait encore que les autorités qui gouvernaient le grand corps catholique finiraient par se rendre compte qu’il ne-suffit pas de décider pour avoir raison et que les faits positivement reconnus portent en eux une force de persuasion contre quoi il n’est pas de théologie qui puisse prévaloir. Et, quand il a dû quitter son illusion, quand il a été rudement mis en demeure de choisir entre ce qu’on lui affirmait et ce qu’il avait appris à la sueur de son front, c’est la science qu’il a suivie. Il n’a pas cherché à résister à la volonté de sa conscience et il a enduré le déchirement affreux de ses affections contraires jusqu’au jour où, au terme du progrès ininterrompu de ses réflexions, il a trouvé le repos dans une autre certitude : celle qu’apporte à tout homme qui cherche âprement le vrai l’assurance de l’avoir trouvé. »

Nous constatons donc que le fondement de l’ignorantisme et de son corollaire l’obscurantisme, se trouve dans les religions, dans leur imposture, dans leur haine de la vérité scientifique et de la liberté humaine. Grâce à leur concours, les puissants de la terre ont pu organiser l’ignorantisme d’État qui sévit dans toutes les formes de gouvernements, autocratiques ou démocratiques, religieux ou laïques, car, à peu d’exceptions près - et ici, dans les faits, l’exception confirme la règle, - il n’y a dans les gouvernements, comme dans toutes les prétendues élites préposées à la conservation de l’ordre social, que de ces « prétendus penseurs », comme a dit Larousse, « gens égoïstes et prudents, qui se mettent en garde, par la propagation de l’obscurantisme, contre les dangers que la diffusion des lumières peut faire courir aux positions injustement acquises, et conservées par l’ignorance des masses. » (Larousse Universel).

Pour se rendre compte de la puissance de l’ignorantisme, il n’est que de l’observer à travers les siècles dans la survivance des superstitions. On rit des nègres qui portent à leur cou des amulettes ou qui frappent sur des calebasses pour faire fuir les mauvais esprits ; mais on porte sur soi des médailles et des scapulaires et on fait des processions pour amener la pluie. Au temps des Croisades, des troupeaux humains semaient de leurs os les routes de Terre Sainte ; ils continuent à se grouper à Rome, à Lourdes, dans tous les lieux de pèlerinages. Dieu voulait la guerre, jadis ; aujourd’hui la veulent avec lui les grands principes républicains : Liberté, Justice, Droit, dont on a fait, comme de Dieu, des entités maléfiques. Au nom de la Paix, l’ignorantisme a établi la sophistique nationaliste : Si vis pacem para bellum - « Si tu veux la paix prépare la guerre »- et il vient de lui donner sa suprême consécration par la loi militaire Buat-Boncour qui, de l’aveu même des journaux conservateurs les moins suspects de démagogie, tel le Temps, livre au militarisme et à la guerre tous les Français des deux sexes, depuis le berceau jusqu’à la tombe. D’accord avec les ignorantistes religieux du passé, ceux du présent, démocrates, libres penseurs et pacifistes officiels, soutiennent que cette loi est en harmonie, non seulement avec les principes pacifistes, mais encore avec ceux du socialisme et de l’Internationale Ouvrière !... On voit par là que les sophismes politiciens sont dignes des sophismes religieux ; ils se complètent en se rejoignant pour la même besogne obscurantiste. Les partis politiques de toutes les opinions, les journaux de toutes les nuances, la poursuivent pour l’abrutissement populaire. Le cabaret, le cinéma, le dancing, servent l’alcool, la fausse sentimentalité, le cabotinage, qui abrutissent triplement. Ils détournent la jeunesse de l’étude, des bibliothèques, des musées ; ils l’excitent aux violences sportives, qui ne sont que des entreprises de préparation militaire, et font se repaître la foule des brutalités appelées athlétiques et de la sanglante barbarie des corridas de toros. On perpétue aussi des spectacles de férocité et de lâcheté comme les chasses à courre. Sous la haute présidence d’une duchesse devenue lieutenant de louveterie de la République, et comme sous le « Grand Roi », on invite les foules à assister à la curée du cerf ! On voit alors dix mille « citoyens », comme disent les flagorneurs de cette populace, accourir pour applaudir à l’étripement d’une bête, comme on y voyait jadis dix mille « manants » et comme, bien avant encore, dans les cirques romains, des milliers d’ « esclaves » s’amusaient en regardant dépecer ceux d’entre eux qu’on livrait aux bêtes. Composée d’esclaves, de manants ou de citoyens, la foule humaine a toujours la même inconscience et la même cruauté entretenues par le même ignorantisme.

L’ignorantisme cumule la crasse physique sur les corps et la crasse morale dans les cerveaux. On entend des mères dire des poux qui grouillent dans les tignasses incultes de leurs progénitures : « C’est un signe de santé !... » Pauvres gosses, qui ont une telle santé ! Encore au berceau, ils sont déjà la proie de parasites. On leur fait prendre ainsi l’habitude pour plus tard, lorsque s’abattra sur eux la vermine patronale, militariste et politicienne. C’est le culte de la crasse .I1 n’est pas encouragé seulement par les religieux, qui ignorent ou condamnent les soins de propreté et proposent à l’admiration publique l’exemple de saints et de saintes qui furent dévorés d’ulcères et se nourrirent d’excréments. I1 l’est aussi par les propriétaires « philanthropes » qui tirent de larges revenus des taudis sans air et sans lumière où les prolétaires entassés vivent dans l’ordure et sont la proie de toutes les maladies. Et des « esthètes » admirent les- tignasses pouilleuses et les vêtements en loques sur des corps crasseux. Des « artistes » protestent contre la démolition des vieilles bâtisses où les maladies sociales continuent leurs ravages. Des « amateurs d’âmes » s’extasient et tomberaient à genoux si les cailloux n’étaient si durs, devant les théories de pèlerins portant des cierges et chantant des cantiques. « N’est-ce pas vraiment une cruauté que d’apporter des lumières à cette barbarie si poétique et d’opposer les conclusions glaciales de la science à tant d’illusions consolantes », disent avec M. Henry Eon (Paysages Bretons) tous ces « grands et bons esprits » qui aiment tant la saleté, la misère et l’ignorance pour les autres.

Si l’enseignement n’est plus le privilège de l’Église, l’ignorantisme n’en continue pas moins son œuvre dans l’éducation et l’instruction. Elle se poursuit non seulement dans les écoles libres, mais aussi dans les établissements officiels, à l’humble école primaire même où tant d’instituteurs, âmes ardentes et cœurs généreux qui voudraient répandre la lumière dans les jeunes cerveaux prolétariens, sont obligés, par les programmes qui leur sont imposés, à « bourrer les crânes » laïquement et à faire besogne d’ignorantins de robe courte. (Voir Instruction populaire ). L’ignorantisme sévit tout particulièrement, et cela se conçoit, dans l’enseignement de l’Histoire. De la plus petite école de village jusqu’en Sorbonne, on « plutarquise » plus ou moins grossièrement. M. Bouglé, un des professeurs les plus « avancés » de l’Université, - il est du moins vice-président de la Ligue des Droits de l’Homme, - écrivait dernièrement qu’il serait « prématuré » de demander un enseignement de l’Histoire « enfin réformé, qui ferait prédominer sur les haines nationales, dans l’esprit des citoyens du monde de demain, le sentiment de la soli- darité humaine ». M. Bouglé ajoutait : « On ne trouverait en tout cas, à l’heure actuelle, aucune autorité morale - fût-ce celle de la Société des Nations - pour le recommander. Ni non plus aucune autorité scientifique. » (Œuvre, 3 avril 1927). M. Bouglé se trompe ; il y a eu des « autorités morales et scientifiques » non seulement pour recommander, mais pour entreprendre, un enseignement d’honnêteté et de sincérité, de vérité et de solidarité, un, entre autres, de ce savant qui fut Elisée Reclus et qui a laissé cette œuvre impérissable : l’Homme et la Terre. Mais. ils sont ignorés ou méprisés des savants officiels, religieux ou laïques également dévoués au mensonge, qui font passer les « convenances d’États » avant l’exactitude historique. C’est ainsi que les mêmes faussetés enseignées sur les origines de toutes les guerres ont été répétées à propos de la guerre de 1914 pour entretenir chez les peuples les haines nationales indispensables aux Intérêts des impérialismes souverains. L’heure n’est pas venue - elle ne vient jamais pour les gouvernements et pour les historiens mercenaires - de dire aux hommes une vérité qui leur ouvrirait les yeux sur les entreprises criminelles de leurs exploiteurs. Si on veut connaître cette vérité sur la Grande Guerre, il faut lire, non l’histoire écrite par les pontifes officiels, mais les ouvrages des Mathias Morhardt, Demartial, Dupin, pour ne citer que des écrivains français, qui ont dénoncé et prouvé les falsifications et toute l’oeuvre ténébreuse des criminels internationaux responsables de cette guerre et décidés à continuer l’oeuvre d’obscurantisme qui amènera la prochaine.

Dans toute société basée sur l’autorité, c’est-à-dire dans tous les États modernes, l’instruction officielle est une forme de l’ignorantisme. Elle peut être laïque et même anticléricale, elle n’entretient pas moins les individus dans l’ignorance de la vérité qui seule peut fournir une base solide à leur bonheur en leur enseignant les vrais devoirs qui leur incombent envers eux-mêmes et envers les autres. Elle les berce dans l’illusion d’une souveraineté de carnaval pour les livrer perinde ac cadaver, comme jadis le faisaient les hommes noirs, aux profiteurs de l’imposture.

Seule, une société où ne régnera d’autre autorité que celle de la science mise au service de la justice et de la bonté, pourra faire disparaître l’ignorantisme et l’obscurantisme. Les hommes ignoreront toujours beaucoup de choses ; tout au moins, dans une société où ils n’emploieront plus leur savoir à s’exploiter les uns les autres, pourront-ils travailler efficacement à s’instruire pour obtenir plus de bonheur. Leur lutte contre l’ignorance sera d’autant plus productive que, comme tout savant scrupuleux, ils sauront pratiquer le doute, ce « mol oreiller » de Montaigne, qui interdit d’affirmer ou de nier ce qu’on ignore, et qu’ils se garderont de l’erreur, instrument de l’ignorantisme et de l’obscurantisme, qui affirme ou nie sans preuve et a produit ainsi toutes les servitudes, toutes les douleurs, toutes les hontes dans lesquelles l’humanité est toujours plongée.

Edouard ROTHEN