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IMAGINATION n. f.

Faculté de se représenter les objets par la pensée. Faculté d'inventer, de créer : on vante, par exemple, l'imagination d'un écrivain.

Chose imaginée ; idée, conception : l'imagination d'une société anarchiste, c'est-à-dire vivre, par la pensée, une société libertaire.

Au sens figuré, le mot imagination veut dire opinion sans fondement. Exemple : croire que de l'autorité peut naitre la liberté, c'est une pure imagination.

Dans la vie courante, l'imagination échafaude des faits qui n'ont pas existé et qui, cependant, sont offerts sous les auspices de la véracité. Ici intervient souvent la vanité (la sotte gloriole de faire croire qu'on a vu ou qu'on sait) ou la malfaisance (intention de nuire) parfois même, et d'autant plus souvent que le cas est plus grave, plus saisissant, la suggestion. On a vu, sous son empire, des individus, après avoir vulgarisé des récits de toute fausseté, être pris à leur propre piège et arriver à se tromper eux-mêmes à force d'entrer « dans la peau du personnage ». Parfois la part volontaire de l'imagination disparaît même totalement et, de bonne foi, dominés par la suggestion seule, des gens garantissent l'authenticité des événements qu'ils décrivent, des spectacles dont ils croient avoir été le témoin. La conscience elle-même se trouve ainsi abusée et le mensonge des faits imaginés se déroule dans la plus complète irresponsabilité. Dans maintes causes célèbres, les tribunaux ont été influencés par des dépositions de cet ordre et il n'est pas rare que des innocents, enveloppés à la fois dans le réseau des imaginations calomnieuses et les dénonciations sincères de la suggestion, aient payé de leur liberté ou de leur vie la légèreté d'accueil des professionnels du jugement. L'impressionnabilité des névropathes, la coalition malsaine et moutonnière du voisinage hostile ont donné prestige d'évidence à des apparences ou des coïncidences malencontreuses. Et des tracés fictifs, des précisions d'ordre imaginatif ont trouvé, dans l'insouciance sereine des « machines à condamner » ou dans le bloc influençable d'un jury qui vient, lui aussi, « de la rue », les conditions et l'atmosphère d'un nouveau crime…

Les faibles d'esprit sont, plus que d'autres, à la merci des divagations de « la folle du logis ». Ils se créent, par son jeu, des périls et des maux imaginaires… La superstition - élément de la thaumaturgie et alliée naturelle des religions - rend, par les voies du miracle et du surnaturel (apparitions, confidences, prophéties, simples déclarations) des visites intéressées à la crédulité. Et les fantaisies de l'imagination, en l'occurrence, (relations tendancieuses du passé, mensonges enrôlés, présent altéré, « accommodé », propos et attitudes falsifiés, agencements et hypothèses post-mortem, etc.), les combinaisons fantasques et incontrôlées des règnes, des ambitions et des sectes quittent les sphères de l'invention particulière pour celles de la « certitude » générale. Et la fable, à travers les religions et les religiosités, portée par l'ignorance et la passivité des masses, devient l'histoire…

En philosophie, on appelle imagination (ou imaginative : faculté d'imaginer) la faculté de se représenter mentalement des choses absentes. C'est la propriété de l'esprit qui permet le rappel de l'image et la capacité de dissocier les éléments des sensations conservées pour échafauder des constructions purement fictives, ordonner des conceptions sans correspondant réel et, par la suite, plus ou moins concrétisées. L'imagination revêt plusieurs formes ou caractères (classification spéculative, bien entendu, sériation d'étude) selon la nature et l'étendue de ses opérations. Elle est tour à tour reproductrice, destructrice, combinatrice ou créatrice.

Dans le premier cas (reproductrice) elle est dite aussi passive et se confond pour ainsi dire avec la mémoire (voir ce mot) dont elle est un des aspects. On ne pourrait d'ailleurs sans subtilité la distinguer que par la vivacité de l'image, en laissant à la mémoire le privilège de la localisation, du rejet dans le temps. L'imagination reproductrice (ou mémoire imaginative) ne fait que rappeler en son intégralité - le rappel incomplet n'est ici qu'un vice, une faiblesse de la faculté imaginative - la sensation première, et non seulement des formes et des couleurs, mais encore des sons, des contacts et même des saveurs et des odeurs, etc., ainsi que les événements psychiques passés. C'est l'image telle que nous l'avons emmagasinée lorsque l'objet nous est apparu ou que les faits nous ont frappés. Telle l'image complète d'un cheval… L'image, violente au point de se confondre avec la sensation initiale et d'être prise pour elle s'appelle hallucination. La succession des images dans le sommeil constitue le rêve (voir ce mot). Dans l'état de veille, les images (traces des sensations anciennes) peuvent se mêler aux sensations présentes et former un tout actualiste plus ou moins conscient : nous avons alors les illusions ; les rêveries, l'extase, etc.

L'imagination est davantage active (ces dénominations d'active et de passive conservent un sens relatif, mais facilitent l'exposé) dans les trois autres cas qui sont l'imagination proprement dite. L'imagination destructrice ou analytique décompose les images réelles en leurs différentes parties. Elle distinguera par exemple le buste humain et le corps du cheval. L'imagination combinatrice assemble dans un ordre quelconque, et non nécessairement harmonieux, les éléments fournis par l'imagination destructrice. Ces deux opérations sont le plus souvent mêlées au point de nous apparaître comme simultanées. On obtiendra ainsi, en unissant le corps du cheval au buste humain, l'image du Centaure. On combine de même la chimère, la sirène, l'aigle bicéphale, etc. En un certain sens, le rêve est un résultat de l'imagination combinatrice mais dont l'action, toute automatique, se déroule dans l'inconscient, ou du moins dans le subconscient. L'imagination combinatrice d'exercice volontaire est apte aux manifestations de l'art, mais elle demeure une transposition fragmentaire du réel, la coordination fantaisiste d'éléments exacts reconnaissables…

L'imagination créatrice (où l'esthétisme a son domaine le plus étendu) est une forme intensifiée, et souvent idéalisée, de l'imagination combinatrice. Elle a en celle-ci ses bases et sa naissance, mais elle s'enrichit d'un facteur nouveau. Elle groupe, elle aussi, après dissociation préalable des réserves imagées, les éléments de la réalité, mais à un tel degré, parfois, qu'elle en rend impossible l'identification. Et elle opère d'après une ordonnance rationnelle (raison propre à l'individu créateur, à l'artiste) et dans un dessein esthétique. Le tout imaginé - orienté par une idée directrice - comporte son harmonie, ou au moins sa recherche, sa tendance. Il doit exprimer une idée, traduire un sentiment, éveiller, du sensuel au cérébral, les vibrations les plus variées, faire naître l'émotion, la joie, l'enthousiasme, suggérer aussi l'inhabituel, etc. L'œuvre d'art devient ainsi un symbole, car un signe matériel représentant une idée immatérielle (sit syrnbolum translucens) ce n'est plus une combinaison, un « jeu de patience » en quelque sorte, l'ingéniosité sans boussole de quelque arlequinade, c'est une harmonie dans le sens platonicien, un arrangement dont la raison accuse la maîtrise et balance et fixe la ligne… La poésie, le roman, les arts picturaux et plastiques, la religion, la sociologie, etc., ont recours aux artifices imaginatifs. Les agglomérations, les agrégations nouvelles, imprévues, originales et en même temps expressives et, en principe, sensées de l'artiste ou du théoricien sont parfois de véritables anticipations. Les sources scientifiques ou les données rationnelles des « imaginations » d'un Jules Verne, d'un Bellamy, d'un Wells, laissent une porte ouverte à l’improbabilité. Et la féerie - sans être prescience - peut se trouver d'accord avec l'avenir…

Malgré la parenté originelle de l'imagination et de la mémoire, et bien que l'imagination soit, à proprement parler, la faculté des images, et que ce terme soit emprunté au sens de la vue, on peut dire qu'il y a une imagination de tous les sens. Il y a une imagination des notions auditives, comme de la gamme chromatique. On se rappelle mentalement les airs que l'on a entendus et un musicien compose de tête. L'art musical de la composition arrive à s'affranchir de la présence du son… Il y a même une imagination du tact. L'aveugle reconnait les lettres au toucher ; l'aveugle de naissance peut être géomètre, il a une géométrie tangible, comme nous avons une géométrie visible. Sans doute on évoque difficilement une saveur, une odeur. Cependant le dégustateur, au moment où il goûte un vin, se représente le bouquet d'autres vins et compare la sensation actuelle à la sensation antérieure retenue par la mémoire imaginative…

Ce serait trop nous étendre ici que d'analyser l'imagination, d'en scruter minutieusement la matière et le mécanisme. Retenons que partout elle est, comme les Grecs le disaient des Muses, « fille de Mnémosyne ». Plus riche sera notre magasin sensoriel, plus nous aurons entreposé d'images, et plus sera aisée et féconde l'activité de « la reine de la fantaisie »… Elle étend ses matériaux du physique au mental, de l'extérieur à l'interne. Elle met à contribution le sentiment, comme la raison.

L'intelligence la seconde, qui l'épure et en ordonne le champ. L'habitude en assouplit l'usage… Outre qu'elle est toute-puissante dans l'art, l'imagination favorise aussi l'essor des sciences abstraites comme celui des sciences de la nature. Elle manie l'hypothèse, comme l'expérience. Elle est la mère des plus délicates ­comme des pires inventions. Elle est, avec l'art, sur le chemin des préhensions sensibles qui élargissent et tonifient nos connaissances. Elle vient en aide, dans la vie, aux bâtisseurs d'utopie, ces réalités de demain. Car elle est, au premier chef, la faculté de l'idéal… Le savoir véritable en restreint les dangers, en discipline les écarts, met un frein de vérité à ses vagabondages erronés. « Moins l'esprit comprend, dit Spinoza, plus grande est la faculté qu'il a de feindre ; et plus il comprend, plus cette faculté diminue ». L'imagination demeure, pour l'homme sain, le vaste monde inexploré, la zone sans borne des jouissances affinées. Elle est, pour l'homme enchaîné, la région où l'acharnement même des bourreaux ne peut se saisir de sa liberté. Jusqu'au sein des prisons l'homme, dans la vie imaginative, trouve le refuge suprême qui souvent lui conserve la vie... Et pourtant, si nous lui devons « la parole ailée », l'imagination a servi la découverte de ces horreurs destructives que sont les « gaz asphyxiants », triomphe des hécatombes prochaines. Et cependant, quand nous nous penchons sur l'environ résigné et que nous voyons, prostrés en cohortes innombrables, les malheureux dont les religions, les politiques ont, comme disait Fournière, « chloroformé leur douleur de vivre » par la promesse de demains apaisants et d'au-delà compensateurs, nous ne pouvons nous empêcher de penser que si elles n'avaient pu, - ces victimes - , par l'illusion imaginative, s'échapper parfois de la souffrance et de la médiocrité où elles languissent, elles en auraient depuis longtemps tari les causes. Et la révolte elle-même, leur salut pourtant, n'aurait plus d'objet...



- S. M. S.



OUVRAGES A CONSULTER : - H. Spencer : Psychologie. -Th. Ribot : L'Imagination créatrice. – Bain : Les Sens ct l'Intelligence. – Rabier : Philosophie. - G. Séailles : Le Génie dans l'Art. -Taine : L'Idéal dans l'Art. ­-Wundt : Psychologie Physiologique. - Boirac : Philosophie. - Guyau : Esthétique. – P. Janet: L'Automatisme psycho. - Luys : Le Cerveau et ses fonctions. J. Sully : Les Illusions des Sens et de l'Esprit, etc.