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INCARCERATION n. f. (du latin in, dans, et carcere, prison)

Emprisonnement. La plus grave atteinte et le plus formel démenti à la liberté dont se targuent les gouvernements.

Au point de vue strictement légal, l'incarcération est une mesure préventive ou répressive, suivant qu'elle a lieu avant ou après la condamnation. Quand on sait sur quelles faibles bases reposent les accusations, sur quels faux principes repose l'administration de la justice par les magistrats (voir justice, magistrature, prison, répression), on ne peut qu'être indigné du pouvoir laissé à quelques hommes d'incarcérer qui bon leur semble, au seul gré de leur fantaisie ou des intérêts de ceux dont ils dépendent.

L'incarcération préventive, surtout, est un véritable scandale. Sur un simple soupçon, sur une dénonciation anonyme, sur un stupide rapport de concierge ou de gens qui nourrissent à votre égard quelque ressentiment, vous pouvez être plongés dans un ergastule. Le bon plaisir du juge d'instruction peut vous faire rester plusieurs années en prison malgré qu'aucune charge sérieuse ne pèse sur vous. Rappelons le cas de l'ex-député Paul Meunier qui resta incarcéré près de quatre ans préventivement, par haine politique, et que l'on rendit à la liberté avec un non-lieu pour cause d'innocence.

L'incarcération pour faits de propagande est une honte qui rejaillit sur tous les gouvernements, car dans tous les pays, quel que soit le système gouvernemental : monarchique, démocratique, communiste ou socialiste, les opposants à la politique du gouvernement sont persécutés et incarcérés. Les anarchistes sont ceux qui, dans le monde entier, subissent l'incarcération politique. Rappelons-nous, aussi, l'incarcération douloureuse que l'on fit subir durant sept ans à nos camarades Sacco et Vanzetti, incarcération ignominieuse durant laquelle nos malheureux compagnons eurent la menace de mort continuellement suspendue sur leurs têtes.

L'incarcération répressive - c'est-à-dire après la condamnation - a pour but de punir et de corriger le détenu, Or, on sait que le résultat n'est jamais atteint, au contraire.

La population des geôles se compose d'éléments hétérogènes ; mais en ne considérant que ceux qui sont habituellement désignés sous le nom de criminels proprement dits, on est particulièrement frappé par ce fait que l'incarcération, qui est considérée comme un moyen préventif contre les délits antisociaux, est justement ce qui contribue le plus à les multiplier et à les aggraver, par suite de l'éducation pénitentiaire que reçoivent les détenus. Chacun sait que la mauvaise naissance, la misère, une ambiance corrompue, le manque d'instruction ; le dégoût de tout travail régulier (aujourd'hui presque toujours pénible et parfois répugnant), contracté dès l'enfance, l'incapacité physique d'un effort soutenu, l'amour des aventures, la passion du jeu, l'absence d'énergie et de volonté, ainsi que l'indifférence à l'égard du bonheur d'autrui, etc., sont parmi les multiples causes qui amènent cette catégorie d'individus devant les tribunaux. On retrouve chez les détenus la plupart des tares et des déchéances de la nature humaine. La prison - milieu claustral et corrupteur - ne les atténue pas : elle les aggrave. Elle répand une contamination redoutable, fait peser plus lourdement sur les malheureux et les égarés ses douloureuses déterminantes…

L'incarcération prolongée détruit, en effet, fatalement, inexorablement, l'énergie d'un homme, et elle tue plus encore en lui une volonté dont la prison ne lui offre pas l'exercice. Etre volontaire, pour un détenu, c'est se préparer avanies et souffrances. D'ailleurs, la volonté du détenu doit être brisée, et elle l'est. On trouve encore moins l'occasion de satisfaire le besoin d'affection, Car tout est organisé pour empêcher tout l'apport entre le détenu et ceux pour lesquels il éprouve quelque sympathie, soit au dehors, soit parmi ses camarades. Physiquement et intellectuellement, il devient de plus en plus incapable d'un effort soutenu. Et s'il a eu, autrefois, de la répulsion pour un labeur suivi, ce dégoût ne fera que s’accroître pendant les années de détention. Si, avant d'entrer pour la première fois en prison, il se sentait éloigné d'un travail monotone, rude ou exténuant, l'impossibilité d'un apprentissage l'ayant tenu souvent à l'écart du métier, ou s'il avait de la répugnance pour une occupation mal rétribuée, c'est maintenant de la haine qu'il éprouve contre l'effort même qui lui serait salutaire. S'il avait encore quelques doutes touchant l'utilité des lois morales courantes, il en fait litière désormais, dès qu'il a pu juger les défenseurs officiels de ces lois et apprendre de ses codétenus leur opinion à ce sujet. Et si le développement morbide de ses penchants passionnels et sensuels l'a entraîné à des actes excessifs et délictueux, ce caractère s'accentue davantage quand il a subi pendant quelques années le déprimant régime de la prison. C'est à ce point de vue, le plus dangereux de tous, que 1'éducation pénitentiaire est la plus funeste.

Après l'emprisonnement, le voleur, l'escroc, le brutal, etc., est plus que jamais orienté vers les expériences annihilantes du passé. Les anciens errements le reprennent, la récidive le guette. Car les attraits de « l'irrégularité » ont aiguisé pour lui leurs séductions. Par la pensée et à la faveur des promiscuités de la détention, ne s'est-il pas davantage enfoncé dans une fange où s'enlisera sa vie?... Des initiations nouvelles ont enrichi son vice, perfectionné sa méthode, et il va pouvoir, croit-il, se rire des embûches et des sanctions. Singulière ambiance de « relèvement » que toutes les circonstances liguées pour achever un homme... Il sort plus acharné contre la société et il trouve une justification plus fondée à se révolter contre les lois et les usages. Il doit nécessairement, inévitablement, de nouveau commettre les actes antisociaux qui l'ont amené une première fois devant les tribunaux, mais les fautes qu'il commettra après son incarcération seront plus graves que celles qui l'ont précédée ; il est condamné à finir sa vie en prison ou au bagne. .

L'incarcération n'est qu'un reste barbare de la loi du Talion. La vindicte sociale est monstrueuse mesquine et elle reste sans effet sur les gens qu'elle prétend corriger ou guérir. Elle est fonction même de l'autorité qui ne peut vivre sans répression

Nous aurons, en même temps qu'à supprimer l'organisation de la « justice », à jeter bas toutes les prisons, à rendre impossible cette brimade cruelle et absurde, ce supplice à la fois moral et physique (et, dans tous les cas, inopérant) qu'est l'incarcération.



- Louis LORÉAL