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INCONSCIENCE n. f.

Le sens absolu de « défaut de perception » est en opposition avec le relativisme universel... Si la conscience est, chez un être, comme le réflexe de la connaissance, l'enregistrement immédiat et plus ou moins lucide des phénomènes, si la subconscience est l'impression descendue au degré où cesse l'identification et la localisation, et subsiste à peine la sensation, l'inconscience commence au niveau où les réactions de ces phénomènes ont cessé d'être normalement perceptibles. Cependant le nombre étendu des faits tombés dans « l'inconscience» par l'accoutumance doit nous mettre en garde contre toute théorie qui tendrait à classer comme inconscients tous les phénomènes d'infime dynamisme comme à vouloir envisager, au sein de la vitalité, un domaine propre et fermé où règnerait « l'inconscient » (métaphysique de Hartmann).

Si la puissance infinitésimale d'un choc nous laisse complètement insensible, comment ces chocs totalisés nous troubleraient-ils? Le mugissement de la mer est fait d'une multitude de sonorités qui, isolément, semblent, insuffisantes pour frapper notre appareil auditif et leur conjonction cependant nous ébranle... Les « petites perceptions » ou perceptions insensibles de Leibnitz sont davantage de menue conscience que d'inconscience. Et le « côté nocturne de l'âme » est une région mouvante, qui fait avec la conscience proprement dite de continuels échanges. Des réflexes descendent à l'inconscience au cours de l'évolution des espèces. Des mouvements prennent, par l'habitude, chez l'individu même, ce caractère... Plus l'acquis de l'être se développe et plus s'accroît le champ de ses richesses « inconscientes ». Les possibilités que nous assure l'inconscient sont étroitement liées au mécanisme des habitudes (voir habitude, instinct). « L'éducation consiste à former des habitudes, à surcharger d'une organisation artificielle l'organisation naturelle du corps, de façon que des actes demandant d'abord un effort conscient finissent par devenir inconscients et s'effectuent machinalement » (Huxley). Des réserves inconscientes redeviennent pour nous sensibles par l'attention. L'inconscience est davantage le mouvement ralenti de nos connaissances que leur état de repos, et leur rappel est plus une accélération qu'un réveil. La perceptibilité n'est ainsi ravivée, si l'on peut dire, qu'au seuil de cette vitesse d'accordance où se manifeste, aux limites du contrôlable, l'énergie suffisante de nos volitions... Mais l'être ne pourrait supporter la tyrannie formidable et le harcèlement continu des phénomènes sans nombre qui s'agitent autour de nos organes s'il en recevait tous les contrecoups au diapason aigu de la conscience. Et leur « assourdissement » est une condition de sa résistance. Il se détend dans l'habitude et l'inconscient d'une présence réelle épuisante, s'y débarrasse du fardeau du savoir et des titillations de la sensation, et n'anime qu'à point vers eux son rythme circonstancié.

L'immense grenier de l'inconscient est la base d'opération de notre activité intellectuelle. « La perception extérieure suppose des raisonnements inconscients ; la mémoire est due à l'accumulation de faits psychologiques qui sont en nous à notre insu. L'habitude nous montre des actes, primitivement réfléchis et difficiles, devenus automatiques et inconscients. Le rôle de l'inconscient apparait plus important encore lorsqu'on étudie les phénomènes étranges que révèlent l'hystérie, l'anesthésie systématisée, la suggestion post-hypnotique. Des actes, des systèmes d'actes intelligents s'accomplissent sans que la conscience normale les aperçoive » (Larousse). L'étendue et la diversité du jeu multiple de l'inconscient lui donnent synthétiquement l'apparente indépendance d'un moi distinct, obscur et mécanique. Et nous paraissons assister, en le considérant dans son ensemble, à un véritable dédoublement de la personnalité... Mais il n'y a là qu'un dualisme d'aspect et les zones du conscient et de l'inconscient n'ont pas d'incompatibilités essentielles : elles ne se diversifient que dans l'opposition théorique de leurs extrêmes. Elles sont tour à tour l'habitat de nos biens intérieurs, et nos actes se déplacent de l'une à l'autre comme à l'appel de densités en constante recherche d'équilibre...

Nous employons souvent, dans la terminologie courante de notre propagande, le mot inconscience dans le sens étendu d'ignorance, celle-ci accompagnée de passivité. L'individu inconscient est pour nous celui qui n'a pas la notion avertie de sa véritable position dans le social et des revendications qu'elle implique. Si les hommes quittaient l'inconscience de leur état pour s'élever à une conception équitable de leurs droits, à la compréhension de leur rôle, il suffirait de la cohésion de leurs volontés pour porter l'humanité à ce niveau de stabilité élémentaire que nous poursuivons. Eclairer non seulement le peuple, qui s'incline et pâtit, mais aussi le bourgeois, qui domine et jouit, pour les amener tous deux à la conscience de la médiocrité humaine de leurs situations réciproques, est une des tâches propres de l'anarchisme. Il s'élève en cela au-dessus du moment, dépasse la conscience de classe, pivot d'action temporaire d'un mouvement qui doit aux circonstances sociales d'être « prolétarien » et s'oriente vers une entente intelligente de toutes les portions d'humanité, par-delà leurs cloisonnements arbitraires. ­



-LANARQUE.

A CONSULTER. - Bouillier : La conscience ; Bertrand : L'aperception du corps humain par la conscience ; Stuart Mill : Philosophie de Hamilton ; P. Janet : L'Automatisme psychologique ; Taine: De l'intelligence ; Colsenet : La vie inconsciente de l'esprit ; Hartmann : La philosophie de l'inconscient ; Bergson : Les données immédiates de la conscience, etc.