INDUSTRIALISME
n. m. de industria : industrie
Terme employé pour désigner la production et la distribution d’articles
économiques par de grands organismes industriels dotés de machines mues
par la force motrice. C’est le mode de fonctionnement du système
économique qui a été développé depuis ce qu’on appelle la révolution
industrielle, c’est-à-dire l’introduction de l’emploi de la machine
dans l’industrie qui date de la première partie du XIXè siècle.
Jusqu’alors on avait travaillé principalement avec des outils à main,
pour lesquels la force motrice était fournie par l’effort musculaire de
l’homme ou de l’animal dirigé par l’adresse individuelle du
travailleur. Sous l’industrialisme, la machine remplace l’outil et
largement l’habileté de l’homme, tandis que la force est fournie par la
vapeur, l’électricité ou un gaz explosif. C’est ainsi que nous avons
aujourd’hui la pelle à vapeur, la linotype, la forge mécanique géante,
la grue électrique, la locomotive, le camion et mille autres
dispositifs mécaniques grands et petits. Cette transition du travail à
la main à celui à la machine n’est pas encore complète, elle continue
toujours.
Cette révolution dans les procédés économiques entraîne naturellement
de profondes transformations sociales dont beaucoup se sont déjà fait
sentir.
Le premier et plus frappant, résultat de l’introduction de la machine
est de mettre hors du travail un immense nombre d’hommes et de femmes ;
de créer une armée permanente de sans-travail Des ouvriers sans travail
d’une industrie par la substitution de machines se tournent vers
d’autres industries dans leur chasse au travail, pour trouver des
milliers d’autres ouvriers chassés de leurs industries par l’opération
du même processus d’évolution.
La première réaction des ouvriers menacés par la marche en avant de la
machine est une réaction naturelle de défense, comme dans l’exemple
classique des travailleurs de la chaussure en Angleterre, qui se sont
émeutés en cherchant à détruire les nouvelles machines. Cependant toute
opposition à la marche inévitable de l’évolution économique est inutile
et vaine. Le plus que les ouvriers peuvent faire c’est, par une action
unie, de faire diminuer les heures de travail et faire ainsi de la
place pour quelques-uns de leurs camarades exclus du travail. La
machine continuera à remplacer l’ouvrier partout où le capitaliste
employeur trouve qu’il peut par cela augmenter son bénéfice, sans se
soucier des souffrances qui peuvent s’ensuivre.
Si la société était assez intelligente pour prendre la direction de ses
affaires des mains des exploiteurs du travail, cette réduction de la
quantité de travail fait par les humains serait un bénéfice pour tous ;
les heures de travail pourraient être réduites, laissant plus de loisir
pour les autres choses de la vie, et les ouvriers pourraient être
libérés pour des entreprises communes de caractère éducatif, de culture
ou d’esthétique, tels que : concerts, musées, bibliothèques, classes
d’études, parcs et endroits de jeux.
Le terme « Labor saving » (économisant du travail), qui est appliqué à
plusieurs des nouvelles méthodes et inventions de l’âge industriel,
tend à induire en erreur. Dans quelques cas, il est vrai que la tâche
de l’ouvrier est allégée, mais le capitalisme ne les adopte pas parce
que cela rend le travail plus facile, mais uniquement parce que cela
augmente le bénéfice de l’employeur. Elles ne sont pas employées pour
économiser le travail, mais introduites pour le bénéfice du capitaliste
au préjudice de l’ouvrier. Parallèlement, avec l’introduction de la
machine et largement conditionnée par cela, l’unité industrielle s’est
constamment améliorée, renforcée. Les usines, fabriques, mines, chemins
de fer, etc., appartiennent aux grandes corporations et trusts qui
prennent systématiquement la place de l’employeur individuel ou de la
maison privée. Ceci trace plus nettement la démarcation de classe entre
le capitaliste et le prolétaire et il est presque impossible à ce
dernier de s’établir lui-même comme employeur. En réunissant de grandes
quantités d’ouvriers sous la direction d’un seul employeur,
l’industrialisme contribue à développer la solidarité de la classe
ouvrière vers une meilleure compréhension des intérêts communs
économiques de tous les ouvriers.
En même temps que le volume de l’entreprise augmente, la tâche de
l’ouvrier individuel est diminuée. Avant, l’artisan, le tisserand, le
tailleur, l’imprimeur, connaissaient tout, ou la plupart des opérations
nécessaires pour transformer la matière première en produit fini.
Maintenant, le travail qu’ils avaient l’habitude de faire est divisé en
plusieurs tâches séparées, dont chacune est confiée à un ouvrier - un
spécialiste - mais dont les fonctions demandent peu d’habileté, dans la
plupart des cas. Cet ouvrier exécute une série d’actions simples et
monotones toute la journée.
Cette simplification de la tâche journalière de l’ouvrier a ses
avantages et ses désavantages. Il est moins difficile, pour lui, de
changer d’industrie, suivant les circonstances ou ses préférences. Il
n’est plus enchaîné à un seul métier de la jeunesse à la vieillesse.
L’émancipation de la femme a été, elle aussi, grandement facilitée, sa
soumission ancienne à l’homme disparaît en raison des plus nombreux
moyens de se suffire à elle-même dont elle a le choix. De même, ceux
qui auraient été physiquement et mentalement incapables d’accomplir le
travail difficile de l’artisan habile du Moyen-Age, trouvent à
s’employer dans de multiples emplois.
D’un autre côté, l’industrialisme a grandement augmenté les occasions
d’exploitation du travail des enfants. Il est aussi plus facile
maintenant de remplacer les ouvriers qui se mettent en grève. Enfin, en
séparant l’ouvrier du produit fini, l’industrialisme a contribué à
diminuer son intérêt au travail. Il l’a réduit à l’état de pièce d’une
machine.
L’éloignement de l’ouvrier du produit fini, pendant tout son travail,
encore augmenté par l’interposition d’une machine « impersonnelle » qui
effectue les parties les plus importantes du travail, est une grande
perte morale pour l’ouvrier. La gravité de cette perte a été cependant
grandement exagérée. Elle est, en grande partie, compensée par des
gains potentiels. Ces gains, cependant, ne seront réalisés que si la
classe ouvrière prend le contrôle des procédés de production et de
distribution, si elle les dirige pour l’avantage de tous et non, comme
à présent, pour le profit de quelques-uns.
Bien des romans ont été écrits, même dans des traités économiques, sur
la joie de créer du travail journalier dans le temps jadis. Il est
pourtant douteux que le tailleur qui cousait pendant douze ou quinze
heures par jour dans une sombre boutique, faisant toujours le même
genre de vêtement, ou le tisserand qui travaillait chez lui tard dans
la nuit, tissant d’une façon monotone des mètres et des mètres de drap,
pour une misérable pitance, trouvaient beaucoup de « joie créatrice »
dans leur travail ennuyeux effectué à la main. L’ébéniste et
l’imprimeur de ces temps-là travaillaient dur pour gagner une pauvre
existence, devaient généralement suivre la mode du jour aussi
servilement que le fait la machiné aujourd’hui. Ils créaient le plus
souvent des objets d’un goût atroce, qui n’auraient pu réjouir le cœur
d’un vrai artiste et qu’on n’estime aujourd’hui que parce qu’ils sont
rares ou qu’ils ont une valeur pécuniaire. Il est temps de cesser de
vouloir rendre poétique l’artisan du « bon vieux temps » et de voir sa
vie de labeur pénible dans sa vraie lumière. La race humaine n’évoluera
jamais par le fait d’un type d’animal satisfait de passer ses jours en
répétant le même effort du matin jusqu’à minuit, du berceau à la tombe.
Si le cordonnier de Charleville qui vient d’être décoré de la Légion
d’honneur pour avoir, quatre-vingt cinq années durant, raccommodé les
vieilles savates d’autrui, a trouvé de la joie à passer ainsi toute sa
vie, c’est que cette existence abrutissante a dû lui donner l’âme d’un
esclave. L’artisan du Moyen-Age, tant prôné comme une sorte de
demi-dieu vivant dans l’extase d’une création continue, n’est qu’un
mythe créé et maintenu pour tenir le prolétariat dans l’état d’esprit
d’une bête de somme tendant l’échine pour recevoir le fardeau qu’on
veut lui imposer.
L’évangile de la « sainteté du travail », comme toutes les religions,
est un mensonge, un leurre qu’il faut exposer. La nécessité de faire
quelque effort pour exister est un fait biologique universel. L’huître
même est obligée de mouvoir un peu ses bivalves pour se nourrir. L’être
humain se trouve dans la même obligation de se déranger pour continuer
de vivre, mais s’il est intelligent, il cherche à réduire cet effort au
strict minimum, afin de conserver son temps et ses forces pour des
occupations - ne fût-ce que la pêche ou la rêverie - qui lui promettent
plus de bonheur et moins de peine et d’usure.
Quand le prolétariat aura pris entre ses mains la direction des
affaires du monde au lieu de retourner aux méthodes primitives du
travail manuel qui a consommé la vie de nos ancêtres, il accueillera
vivement toute innovation qui réduira les heures de travail et, par là,
augmentera les heures de loisir.
Dans une forme anarchiste de la société, ceux qui voudront passer leur
temps à faire des articles utiles à la main, jour après jour, seront
libres de le faire, mais il est certain que la plupart, des gens
trouvant peu d’intérêt à travailler pour eux-mêmes, préféreront
accomplir leur tâche journalière d’une façon plus efficace afin d’avoir
des loisirs pour les vraies jouissances de la vie : la musique, l’art,
les études, le sport, les rapports sociaux. La machine sera alors
employée, non comme à présent, seulement pour augmenter les bénéfices
des employeurs, mais chaque fois ou qu’elle diminuera la somme totale
de labeur humain ou qu’elle évitera aux hommes un travail difficile,
dangereux ou désagréable. La monotonie du travail à la machine pourra
être, si on le désire, diminuée en faisant changer fréquemment les
équipes d’un travail à un autre. La perte légère de temps sera
compensée par le soulagement obtenu en variant le genre de travail de
chacun.
Il est d’usage de rendre l’industrialisme responsable de la soi-disant
uniformité de la vie moderne, contre laquelle les individualistes
protestent avec tant de véhémence. Là aussi, il y a plus de romantisme
que de faits réels. Les paysans et le prolétariat des anciens temps
étaient aussi incolores et uniformes dans leur vie journalière qu’un
cortège de prisonniers aujourd’hui. Les ouvriers d’aujourd’hui ont plus
de variété et d’individualité dans leur vie et leurs habits, que n’en
avaient la noblesse et la royauté des anciens temps. En augmentant
énormément la production des bonnes choses de la vie, la production à
la machine, tout en donnant l’impression superficielle de réduire
l’humanité à un niveau commun, a, en réalité, élargi énormément le
choix et les possibilités d’expression et d’individualité. Un musée
réunissant les trésors de plusieurs siècles ne rassemble pas une plus
grande variété d’objets que n’importe lequel de nos grands magasins de
nouveautés d’aujourd’hui.
Le travailleur utilisant la machine de nos jours, travaillant un
moindre nombre d’heures mais accomplissant généralement sa tâche à une
allure plus rapide, se trouve-t-il usé plus vite que ne l’était le
travailleur autrefois ? C’est une question qu’on ne peut trancher,
faute de connaissances précises sur la vie des ouvriers des temps
passés. Pour les anciens chroniqueurs, le peuple n’était que du bétail
qui ne valait pas la peine qu’on s’en occupe. Ils ne nous parlent guère
que de la noblesse. On est pourtant en droit de se demander si
l’ouvrier, qui peinait du matin au soir à de durs travaux manuels, ne
rentrait pas aussi fatigué et plus abruti que ne l’est l’ouvrier à la
machine d’aujourd’hui.
Sous n’importe quel système d’exploitation et de gouvernement, le
patron tirera toujours de son esclave le maximum d’efforts dont
celui-ci est capable. Ceci est naturel à toute forme d’exploitation de
l’homme par l’homme. Ce n’est donc pas plus inhérent à l’industrialisme
qu’à l’esclavage ou au féodalisme. Il y a eu des patrons durs de tous
les temps, depuis les jours des Pyramides et des galères. Le fouet
claquera toujours sur les dos baissés des ouvriers, tant qu’ils
n’auront pas entre leurs propres mains le système industriel.
Ce n’est pas la machine qui décide de l’allure et presse l’ouvrier,
comme les poètes et orateurs politiciens veulent nous le faire croire.
C’est le patron qui dicte l’allure de la machine et la fait surveiller
par son contremaître. L’ouvrier n’est pas l’« esclave de la machine ».
Lui et la machine sont les esclaves de l’employeur. Si l’ouvrier secoue
le joug de son patron, la machine deviendra son serviteur. Elle sera
prête à le libérer de la partie la plus dure de son travail journalier
pour permettre à son corps et à son esprit de se livrer à des
occupations plus agréables.
Il y a d’autres conséquences du système industriel moderne et dont la
classe ouvrière, comme toujours, fait les frais. Par le rendement
grandement augmenté de la production à la machine, il est possible de
submerger plus vite le marché et de causer un arrêt de l’industrie par
surproduction. L’organisation plus compliquée de l’industrie a produit
également une machine qui est plus facile à détraquer. Par conséquent,
l’ouvrier est moins sûr de son gagne-pain, il est plus exposé à des
périodes de chômage complet ou partiel.
Il est également plus à la merci de son employeur pour avoir ou
conserver du travail. Des trusts énormes régissant une grande partie
d’une industrie ou de plusieurs industries corrélatives, de grandes
compagnies minières qui possèdent des communes entières, sol et
sous-sol, les systèmes de chemins de fer étendant leurs réseaux sur
d’immenses territoires, sont capables de mettre sur la liste noire un
employé qui n’est pas assez soumis et de l’empêcher de trouver du
travail dans leurs établissements et ceux de leurs amis.
L’industrialisme a été d’un avantage incalculable aux maîtres de
l’industrie. I1 leur a apporté des bénéfices énormes. Il a renforcé
singulièrement leur position stratégique comme maîtres de la création.
Les infimes avantages qu’il a fortuitement apportés au prolétariat sont
surpassés largement par l’oppression qu’il a causée et par le fait de
river des chaînes encore plus lourdes sur l’esclave salarié.
Les méfaits de l’industrialisme peuvent être éliminés d’une seule façon
: en éliminant l’employeur et tout le système d’exploitation du
travail. Lorsque cela sera accompli, l’humanité prendra librement plein
profit de la méthode d’industrialisme pour alléger sa tâche, augmenter
ses loisirs et enrichir la vie pour tous par une production agrandie et
une distribution plus large de toutes les bonnes choses de la vie.
FABES.