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INQUISITION n. f. (du latin inquisitio)

Enquête, investigation. « Faire une inquisition du jour et du vrai temps de la mort d'une personne » (Patru). Mais surtout « recherche, perquisition rigoureuse mêlée d'arbitraire » (Larousse).

Sous ce vocable, on désigne les tribunaux établis par l'Eglise au Moyen-âge et dans les temps modernes, pour la recherche et le châtiment des hérétiques... C'est une théorie aussi vieille que les religions, la nécessité de tuer les hérétiques ; et si le protestantisme, quoique venu fort tard, n'a pas échappé à la règle générale, l'Eglise catholique, elle, a bien continué la série des ignobles patriarches de la Sainte-Bible. D'ailleurs, on conçoit difficilement comment, il en eût été autrement, jusqu'à ce jour.

L'évolution de l'humanité est terriblement lente et s'étage sur un nombre considérable de siècles. Ignorantes, les premières sociétés ne pouvaient baser leurs contrats sociaux, ne pouvaient asseoir leur ordre social, que sur la force ou la religion. Si dans les tribus, le guerrier fut la Loi, l'Etat ; dans les groupements de tribus, agricoles, le prêtre fut le législateur, et cela se conçoit fatalement. La force, n'est point d'une constance suffisante chez le même individu, ou la même famille, pour assurer au pouvoir la pérennité, la durée nécessaire à l'ordre. Le fort d'aujourd'hui est le faible de demain. Et malheur aux faibles! En outre, le muscle du puissant guerrier ne résout aucunement les problèmes qui se posent nécessairement à l'esprit humain en éveil.

Il fait alors appel au prêtre, ou le prêtre s'impose. Et celui-ci, qui sait qu'il ne serait pas obéi, s'il prescrivait une règle en son nom, affirme :

1° Qu'il existe un être anthropomorphe, appelé Dieu ;

2° Que cet être a révélé une règle des actions et l'a nommé, lui, législateur, interprète infaillible de cette règle ;

3° Que Dieu a créé l'âme immortelle ;

Enfin, que l'homme sera récompensé ou puni dans une vie future, suivant qu'il aura ou non conformé ses actions à la règle révélée.

Il est évident qu'il ne suffit pas au législateur de se borner à affirmer les propositions énoncées plus haut ; il faut de plus qu'il en empêche l'examen. Tant qu'il réussit - dans l'ignorance - à comprimer l'examen, l'ordre, par la foi ou le despotisme, existe. Or, parmi les principaux moyens de comprimer l'examen, les uns sont relatifs à la richesse matérielle, les autres à la richesse intellectuelle ou aux développements de l'intelligence, et les derniers enfin aux communications entre des despotismes ou révélations limitrophes.

Les premiers moyens de durée du despotisme sont ; 1° L'esclavage, et le pouvoir de disposer de la vie de l'homme, érigés en droit ; 2° L'aliénation du sol à des individus, et sa transmission par hérédité.

Les seconds moyens despotiques sont :

1° Le monopole des développements de l'intelligence, dont le résultat est le maintien des masses dans l’ignorance ; 20 L'inquisition pour la foi, tendant à subordonner l'instruction à l'éducation.

Parmi les troisièmes moyens, on trouve ;

l° L'établissement des douanes, destinées entre autres choses à gêner autant que possible les communications entre les peuples voisins ; 2° L'exaltation des passions, sous les noms de fanatismes religieux et de patriotisme, au profit de chaque despote, rendant ennemis les différents peuples, et même les diverses fractions d'une même circonscription.

Ces dernières mesures ont pour but principal d'empêcher les révélations de s'examiner et de se détruire réciproquement. « Quel ébranlement pour les consciences, dit E. Renan, le jour où l'on vient à reconnaître qu'à côté du dogme que l'on croyait unique, il en est d'autres qui prétendent aussi venir du ciel ».

Tous les moyens mis en usage par le despotisme pour prolonger son existence, ont pour but et pour effet, en définitive, d'empêcher l'examen du droit. « Quand la populace se mêle de raisonner, dit Voltaire, tout est perdu ». Proudhon fait aussi cette observation relativement à la nécessité de comprimer l'examen ; « La première chose, remarque-t-il, à laquelle doive travailler la communauté, aussi bien que la religion, c'est d'étouffer la controverse, avec laquelle aucune institution n'est sûre et définitive ».

Mais il y a deux espèces d'examens : l'un individuel, intérieur, silencieux ; l'autre se manifestant à l'extérieur, soit verbalement, soit scripturalement. La première espèce d'examen peut-être plus ou moins empêchée : par une éducation imposée, faisant accepter que l'examen du droit, par conséquent de l'anthropomorphisme, est un crime ; par la monopolisation des développements de l'intelligence, qui laisse dans l'ignorance les masses exploitées par les minorités ; et par l'aliénation du sol, qui donne naissance au paupérisme, en obligeant ces mêmes masses à un travail continuel pour pouvoir subsister... La nécessité de l'existence du paupérisme pour le maintien de l'ordre a été parfaitement reconnue par M. Guizot : « Le travail, dit-il, est une garantie efficace contre la disposition révolutionnaire des classes pauvres. La nécessité incessante du travail est le côté admirable de notre société. Le travail est un frein ».

La seconde espèce d'examen, qui se manifeste à l'extérieur, est facilement empêchée par une inquisition. Mais une inquisition nécessite des inquisiteurs. « Ces inquisiteurs se considèrent comme au-dessus de l'inquisition. Ils examinent. Ils se communiquent même les résultats de leur examen, ne fût-ce que pour connaître ce qui peut saper le droit, ce qui peut détruire l'inquisition, ce qui peut soustraire au joug les masses qu'ils exploitent » (A. de Potter). Le sacerdoce tout entier ne tarde pas à connaître les résultats de cet examen et dès lors, la révélation en son ensemble est en péril.

Tant que le nombre des individus : philosophes, savants, clercs, sociologues, n'est pas très élevé, il est facile à l'inquisition d'intervenir sans former de tribunaux. Mais vient un jour où le nombre des libre-examinateurs, ou libre-penseurs, est tellement considérable que leurs théories vont se glisser dans le peuple et le dresser contre le dogme. L'Eglise est placée devant l’alternative ou de disparaître ou de sévir rudement. Le pouvoir royal, de droit divin, qui tire sa puissance son autorité, de la croyance des foules au dogme religieux, est menacé en même temps. L'Eglise catholique se trouva, au XIIIème siècle, devant un nombre tel d’individus émettant des opinions contraires à l'orthodoxie, qu'elle en fut épouvantée. Et elle écrivit dans l'histoire pendant 300 ans, les pages les plus sombres, où nous pouvons lire l'inouï martyre de la conscience humaine se dégageant lentement du servage et de l'ignorance.

Aujourd'hui, d'adroits jésuites nous présentent l'Inquisition comme l'institution la plus humaine et la plus juste. Pendant ces siècles de mort intellectuelle de censure impitoyable, l'Eglise brûlait tout écrit qui aurait pu transmettre aux générations de l'avenir l'écho de ces barbares turpitudes. Et cependant, malgré ce bâillon, les chroniques qui ont échappé à l'Index, nous disent ce que la douce Eglise fit couler de larmes et de sang.

Les archives de l'Inquisition ont été en partie visitées, et l'histoire a pu établir, en assemblant tous ces matériaux, les crimes de l'Inquisition. Le Concile de Vérone (1184) décréta l'établissement d'une juridiction spéciale destinée il poursuivre les hérétiques. Ce décret est le germe de l'Inquisition. Les doctrines hétérodoxes faisant de grands progrès dans le Midi de la France, Innocent III confia, (1203) à deux moines de l'abbaye de Cîteaux, les frères Guy et Reynier, le soin de poursuivre les hérétiques de cette région. Mais sans appui des autorités locales, ils durent renoncer à leur mission.

L'année suivante (1204), le pape nomma grand inquisiteur pour le Languedoc son légat : Pierre de Castelnau, autre moine de Cîteaux. Ses premières affaires lui furent funestes, il fut assassiné en 1208. En ce moment, zélé et énergique, celui qui devait être saint Dominique, prêchait dans le Languedoc. Innocent le désigna pour le remplacement de de Castelnau. Dominique est le véritable fondateur de l'Inquisition. Il créa un ordre religieux : les Dominicains, dont la mission fut de fournir des magistrats disposés à favoriser les intentions de l'Eglise contre les hérétiques. Cet ordre fut approuvé en 1216 par Honorius III.

De 1200 à 1500, sans interruption, se déroule la longue série des ordonnances papales sur l'Inquisition et généralement sur tout ce qui se rattache à la marche à suivre contre l'hérésie : ces ordonnances augmentent de l'une à l'autre en dureté et en cruauté. C'est une législation essentiellement inspirée par un même esprit. Chaque pape qui monte sur le trône confirme les dispositions de ses prédécesseurs et ajoute un étage à l'édifice qu'ils ont commencé. Chacun des mots de cette législation court à un seul et même but : l'extirpation absolue de toute déviation de la foi… La lutte contre les hérétiques fut d'abord menée militairement. Le comte de Montfort prit d'assaut la ville de Béziers et sous les hospices de Sainte-Madeleine, en fit massacrer tous les habitants. A Laval, en une seule fois, on brûla 400 Albigeois.

Le Concile de Latran (1215) et Toulouse (1229), firent de l'Inquisition un tribunal permanent. Des légats du pape, en 1229, poussèrent Louis IX (véritable captation, puisque saint Louis n'avait alors que 14 ans) à rendre cette loi cruelle qui ordonnait de brûler tous ceux qui s'écarteraient de la foi. L'empereur Frédéric II, occupé à écraser les Guelfes en Italie, à une époque où tout dépendait pour lui de la bonne volonté des papes qui le pressaient et le menaçaient, signa, pour les apaiser, les lois barbares de 1224, 1238 et 1239. Ces lois prononçaient contre les hérétiques la peine du feu et la confiscation des biens, les privaient de toute protection légale, et condamnaient leurs amis ou protecteurs aux châtiments les plus sévères. Innocent IV confirma à plusieurs reprises ces lois terribles. Ses successeurs l'imitèrent ; ils donnèrent à ces lois une nouvelle vigueur, réclamèrent leur entière exécution, en alléguant que Frédéric II, ce grand ennemi de l'Eglise, au temps où il les avait rendues, obéissait au Saint-Siège.

Un vice-légat du pape, Pierre de Collemedio, fut le premier qui promulgua les lois de saint Louis dans le Languedoc. C'était encore un légat du pape - le cardinal saint Angelo - qui, cette même année, introduisit l'inquisition dans un synode en entrant à Toulouse à la tête d'une armée (Vaissette : Histoire générale du Languedoc, III, 382, Paris 1737). C'était en qualité de délégués du pape, que les inquisiteurs Conrad de Marburg et le dominicain Dorso, exercèrent leur rage en Allemagne pendant les années 1231 et suivantes ; au même temps Robert, dit le Bougre, travaillait en France. En 1233, Grégoire IX conféra les fonctions d'inquisiteurs aux Dominicains, d'une manière permanente, mais toujours pour les exercer au nom du pape et armés de ses pleins pouvoirs. L'Inquisition fut successivement établie en Languedoc, en Provence, en Lombardie en 1224, en Catalogne (1232), en Aragon (1233), dans la Romagne (1252), la Toscane (1258), à Venise (1289), où, à partir de 1554, elle devint une institution politique. « Au commencement, dans le Milanais, les hérétiques n'étaient point soumis à la peine de mort, parce que le pape n'était pas assez respecté de l'empereur Frédéric qui possédait cet Etat ; mais peu de temps après, on brûla les hérétiques à Milan, comme dans les autres endroits de l'Italie, et quelques milliers d'hérétiques s'étant répandus dans le Crémasque, petit pays enclavé dans le Milanais, les frères Dominicains en firent brûler la plus grande partie et arrêtèrent par le feu les ravages de cette « peste » » (Paramo : Histoire de l'Inquisition).

L'Inquisition s'est toujours de plus en plus éloignée, dans le cours de son développement, de tout principe de justice. Innocent IV (1243-54) s'est tout particulièrement complu à augmenter encore les pouvoirs des inquisiteurs. Il ordonna d'appliquer la torture, ce qu'approuvèrent Alexandre IV, Clément IV, Calixte III. A ce moment il suffisait d'un simple soupçon pour provoquer l'application de la torture et l'on considérait comme une grâce d'être enfermé à perpétuité entre quatre murs étroits, au pain et à l'eau. C'était l'époque où l'on faisait un devoir de conscience au fils de dénoncer son propre père, et de le livrer aux douleurs de la torture, au cachot éternel ou aux flammes du bûcher... Alors, on taisait à l'accusé les noms des témoins ; on lui refusait en outre tout moyen légal de se défendre ; il était impossible d'en appeler à un autre tribunal, ou à une juridiction supérieure, et l'on n'accordait pas davantage le choix ni l'assistance d'un jurisconsulte. Qu'un juriste eût osé se permettre de défendre un accusé, et il eût été immédiatement frappé d'excommunication. Deux témoins suffisaient pour amener la condamnation d'un homme, et le témoignage de n'importe quel individu était valable.

Il était interdit à l'inquisiteur d'user de douceur ou de ménagement : la torture, sous sa forme la plus horrible, était le moyen ordinaire d'obtenir des aveux. Aucune rétractation ne pouvait sauver l'accusé, et l'assurance que sa foi était en tout conforme à celle de ses juges ne le servait point, davantage. On lui accordait la confession, l'absolution et la communion ; c'est-à-dire donc, qu'au forum du sacrement, on croyait à l'affirmation qu'il donnait de son repentir et du changement de ses pensées, mais, en même temps, si c'était un récidiviste, on lui déclarait que, juridiquement on ne le croyait pas, et, par conséquent il lui fallait mourir... Enfin, pour combler la mesure, on dépouillait sa famille innocente de tous ses biens, en vertu d'une confiscation légale : la moitié de sa fortune passait entre les mains des inquisiteurs, l'autre moitié était expédiée à Rome à la Chambre du pape. Innocent III dit qu'on ne devait laisser aux fils de l'hérétique que la vie, et ceci encore par miséricorde. Les enfants étaient également déclarés incapables d'exercer des fonctions civiles ou de recevoir une dignité quelconque.

Mais nulle part l’Inquisition ne fit de ravages comme en Espagne. En 1473, Sixte IV rendit l'inquisition d'Espagne indépendante. Il nomma pour ce pays un inquisiteur général, sorte de souverain délégué, et qui était chargé de nommer des inquisiteurs particuliers. Voici comment s'exprime Michelet, au sujet de l'inquisition d'Espagne : « On n'avait rien vu de pareil depuis les Albigeois. Par la ruine et la faim, par la catastrophe d'une fuite subite, pleine de misères et de naufrages, périrent en dix années presque un million de Juifs, presque autant de Maures. L'Inquisition emplit l'Espagne de sa royauté. Elle dressa aux portes de Séville son échafaud de pierre, dont chaque coin portait un prophète, statues de plâtre creux où l'on brûlait des hommes : on entendait les hurlements, on sentait la graisse brûlée, on voyait la fumée, la suie de chair humaine, mais on ne voyait pas la face horrible et les convulsions du patient. Sur ce seul échafaud d'une seule ville, en une seule année 1481, il est constaté qu'on brûla deux mille créatures humaines, hommes ou femmes, riches ou pauvres, tout un peuple voué aux flammes. Quatorze tribunaux semblables fonctionnaient dans le royaume. Pendant ces premières années surtout, de 1480 à 1498, sous l'inquisiteur général Torquemada, l'Espagne entière fuma comme un bûcher.

« Exécrable spectacle!, et moins encore que celui des délations. Presque toujours c'était un débiteur qui, bien sûr du secret, venait de nuit porter contre son créancier l'accusation qui servait de prétexte... Tout le monde y gagnait, l'accusateur, le tribunal, le fisc. L'appétit leur venant, ils imaginèrent, en 1492, la mesure inouïe de la spoliation d'un peuple. Huit cent mille Juifs apprirent, le 31 mars, qu'ils sortiraient d'Espagne le 31 juillet. Ils avaient quatre mois pour vendre leurs biens, opération immense, impossible ; et c'est sur cette impossibilité que l'on comptait ; ils donnèrent tout pour rien, une maison pour un âne, une vigne pour un morceau de toile. Le peu d'or qu'ils purent emporter, on le leur arrachait sur le chemin ; ils l'avalaient alors ; mais, dans plusieurs pays où ils cherchèrent asile, on les égorgeait, pour trouver l'or dans leurs entrailles.

« Ils s'enfuirent en Afrique, en Portugal, en Italie, la plupart sans, ressources, mourant de faim... Des maladies effroyables éclatèrent dans cette tourbe infortunée et gagnèrent l'Europe. L'Italie vit avec horreur 20.000 Juifs mourir devant Gênes... Une aridité effroyable s'empara du pays. En chassant les Maures et les Juifs, l'Espagne avait tué l'agriculture, le commerce, la plupart des arts. Eux partis, elle continua l'œuvre de mort sur elle-même, tuant en soi la vie morale, l'activité d'esprit » (Histoire de France, Flammarion, édit.).

Sous la poussée douloureuse et hardie de l'esprit de libre-examen, l'Inquisition dût éteindre un à un ses bûchers. En France, elle fonctionna cependant - au ralenti - jusqu'en 1772, où la Dubarry fit chasser le dernier inquisiteur : André Dulort. En Espagne, un décret de Napoléon l'abolit, le 4 novembre 1808. Mais elle fut rétablie en 1814 par Ferdinand VII. Un dernier autodafé eut lieu à Valencia en 1823, mais l'Inquisition jugea et condamna encore jusque vers 1860.

On ne peut s'étonner que des crimes semblables aient pu se commettre sous le giron de l'Eglise. On peut être assuré que la théorie est aussi vieille que la religion, et que l'Eglise catholique est encore à l'affût d'un relâchement des libre-penseurs pour ériger à nouveau ses bûchers... L'assassinat de Francisco Ferrer n'est pas si éloigné de nous, et d'ailleurs il nous suffira de jeter un regard sur l'histoire de l'Eglise et son enseignement actuel, pour nous convaincre que tant qu'il restera un prêtre sur terre, la pensée libre est sous la menace directe de la persécution.

Voici ce que dit l'Ancien Testament (Deutér. XIII) :

« Quand ton frère, ton enfant, ta femme bien-aimée ou ton intime ami voudra te séduire en te disant en secret : allons et servons d'autres dieux que tu n'as pas connus, ni toi, ni tes pères! - N'aie point de complaisance pour lui et ne l'écoute pas. Que ton Œil aussi ne l'épargne point. Ne sois nullement touché de compassion pour lui. Ne le cache pas. Et tu ne manqueras point de le faire mourir. Ta main sera la première sur lui pour le tuer et ensuite la main de tout le peuple. Tu l'assommeras de pierres et il mourra parce qu'il a cherché à t'éloigner de l'Eternel, ton Dieu ».

Voici comment s’exprime saint Thomas, un des pères les plus importants de l'Eglise, surnommé d'ailleurs : « l'Ange de l'Ecole ». Sa parole fait autorité. Sa Somme Théologique est étudiée dans tous les séminaires : « On peut sans injustice, pour obéir à Dieu, ôter la vie à un homme, qu'il soit coupable ou innocent. On peut, pour obéir à Dieu, pratiquer le vol et l'adultère » (Somme, première et deuxième parties, quest. 94, arb. V). « Il convient d'effacer du monde par la mort, et non seulement la mort de l'excommunication, mais la mort vraie, l'hérétique obstiné » (Somme, deuxième partie, arb. III, quest. XI).

Et saint Alphonse de Liguori : « Est-il permis de tuer un innocent? Oui, si Dieu nous y autorise, car toute vie appartient au Seigneur » (Théol., t. Il, p. 243).

Pie IX, dans le Syllabus, quest. 24, condamne cette proposition : « L'Eglise n'a pas le droit d'employer la force ; elle n'a aucun pouvoir direct ou indirect ». La Théologie, du P. Vincent, est en usage dans les séminaires. Nous trouvons à la page 403 : « L'Eglise a reçu de Dieu le pouvoir de réprimer ceux qui s'écartent de la vérité, non seulement par des peines spirituelles, mais encore par des peines corporelles, et ces peines sont : la prison, la flagellation, la mutilation et la mort ».

Enfin, dans son ouvrage De la stabilité et du progrès du dogme, 1910, le R. P. Lépicier, prof. de théologie au Collège Saint-Urbain (coll. des nobles, à Rome), consulteur de la Congrég. des sacrements ; cons. de la congrég. de la propagande ; membre de la commission biblique ; membre de la commission de révision du droit canonique, et qui a obtenu pour son ouvrage tous visas et approbations papales, s'exprime ainsi : « Si les hérétiques professent publiquement leur hérésie et excitent les autres par leur exemple et par leurs raisons à embrasser les mêmes erreurs, personne ne peut douter qu'ils ne méritent d’être séparés de l'Eglise par l'excommunication et d'être enlevés par la mort du milieu des vivants ; en effet, un homme mauvais est pire qu'une bête féroce et nuit davantage, comme dit Aristote ; or comme il faut tuer une bête sauvage, ainsi il faut tuer les hérétiques (page 194). L'Eglise prononce par elle-même la peine de mort mais elle charge le bras séculier de l'appliquer. Souvent l'Eglise a livré des coupables aux magistrats civils pour que ceux-ci les punissent du dernier supplice ; en menaçant de ses censures les magistrats afin qu'ils ne manquassent pas à leur devoir d'appliquer cette peine » (p. 195). Quant à ce qui concerne le fait, cela « dépend complètement des circonstances » (p. 208).

Cela dépend complètement des circonstances ; c'est-à-dire : si je pouvais, je le ferais... On voit par ces citations que l'Eglise n'a pas renoncé à son rêve de domination absolue - fût-ce sur des cadavres!



- A. LAPEYRE.