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INSTRUCTION n. f. (lat. instructio)

Tout ce qui peut donner quelque savoir de ce qu'on ignore, des éclaircissements sur quelque objet que ce soit. Particulièrement - et c'est la tâche des établissements de ce nom - ­ « action d'instruire, de faire connaître, de dresser à quelque chose, d'enseigner diverses connaissances à la jeunesse »...

Un des vices essentiels de la culture de notre époque est d'être basé sur « l'instruction », sur la possession superficielle, de se satisfaire dans l'emmagasinement des connaissances. Et c'est, orientée vers des fins trompeuses, de se désintéresser de la valeur au profit de la quantité. Pire encore : c'est de refouler les moyens qui garantissent la persistance du goût de s'instruire et la possibilité ultérieure du choix des matériaux à recueillir. L'enseignement, puisqu'à cette partie de l'éducation générale se rattache plus spécialement l'instruction (voir éducation, enfant, enseignement, individualisme,­ éducation, etc.) a pour dessein de grouper des connaissances en abondance, non de retenir celles-là seules que désigne leur qualité. Outre les dangers que présente, pour un cerveau en voie de formation et aux cases encore exiguës, l'accumulation de données inutiles, mensongères et intéressées, voire même pernicieuses, cette méthode prive du logement utile les meilleurs aliments du savoir. L'instruction ainsi entendue a d'autres conséquences redoutables aussi : elle fonde le savoir sur l'acquisition passive, et l'acceptation, non sur la recherche active et la pénétration. Apprendre lui suffit, comprendre est superflu et, en général, dangereux. La mémoire est donc appelée à contribution au détriment de l'intelligence. Et l'on exige d'elle un effort absurde, excessif…

L'instruction aboutit ainsi au savoir apparent ou déformé, pire que l'ignorance, le « savoir » par la foi et non par la science et la raison. L'école laisse après elle un cerveau lassé, précocement surmené, moins curieux que l'inculte sain, moins ouvert à l'enrichissement véritable. Elle fausse d'ailleurs et paralyse les facultés intellectuelles et jusqu'à l'évolution morale... L'aptitude permanente, pour l'individu, à reculer les bornes de son inconnu, se trouve comme anéantie sous le faix d'une instruction générale qui jamais ne sollicite, pour ses réalisations, un effort personnel d'investigation et l'exercice de l'initiative et du jugement. Erronée, abusive et purement quantitative, l'instruction devient pour l'enfance (pour la progéniture populaire surtout) une permanente altération et elle fait peser sur son avenir toutes les tares de l'oppression. Croire et retenir sont les axiomes de l'instruction générale et dans la vie de l'homme fait, comme à l'âge scolaire, la chose lue, les propos du maître conserveront, pour le travailleur en particulier (plus négligé d'ailleurs, dans l'adolescence, que le bourgeois au bien-être duquel coopèrent, par surcroît, les « vérités » de l'instruction) un prestige d'évidence. Il restera, au long de ses jours, incapable de redresser, par la critique, les assertions de l'imprimé, les pantalonnades du bateleur politique. Et le livre, le journal surtout (son unique pâture le plus souvent) deviendront le catéchisme où se falsifie l'opinion...

Les générations, façonnées dès le jeune âge par l'instruction publique et nourries plus tard par une presse habile et toute-puissante, continuent, presque à l'égal des masses ignorantes d'hier, à n'être que lentement accessibles à la conscience de leurs intérêts véritables et capables de discerner la voie de leur libération.

Dans le domaine pratique et immédiat, l'instruction, telle qu'elle est départie aux enfants du peuple, a eu pour résultat, entre autres, d'arracher au milieu premier les natures plus favorisées. Abusées par un acquis façadier, ces fausses « élites » ont vu l'instruction incompatible non tant avec la condition qu'avec le labeur paternel. Le vernis de « 1a primaire » ou de ses prolongements a exacerbé la vanité des « parchemins » ouvriers et paysans. Et ils se sont jetés, rougissant du travail des mains et de la salissante production, dans les carrières où triomphe le larbinisme intellectuel : la bureaucratie et le fonctionnarisme. Ces transfuges sont d'ailleurs les serviteurs zélés d'une classe dont ils copient les mœurs et envient les prérogatives. Et la bourgeoisie possédante s'est ainsi assurée, par l'instruction, des recrues pour ses cadres administratifs comme pour ses organismes de répression. Le prétentieux chapeauté, galonné ou seulement mis en vedette par un uniforme de laquais, détenteur considéré d'une parcelle d'autorité, saura, contre les siens, assurer, avec toute la rigueur attendue, la conservation d'un régime auquel il s'est passionnément intégré...

L'instruction dont nous dénonçons ici les tares et les fins particularistes, apporte donc des éléments multiples et précieux au dressage méthodique des collectivités. Cependant, les déracinés ne renient pas tous leurs origines. Certains sont réfractaires au modelé bourgeois et ne cèdent rien d'eux aux ambitions mesquines. Triant, parmi le fatras des prêches et des manuels, le bon grain de l’ivraie multiple, dégageant leur cerveau d'une instruction massive et frelatée, des unités s'essorent vers une intelligence valeureuse. Glanant, dans le savoir que les forces régnantes ont tenté de jeter sur eux en étouffant manteau, tout ce qui peut agrandir le domaine d'une pensée courageuse, ils mettent - et c'est le châtiment des « instructions» obscurantistes -­ au service du peuple et de l'humanité, leur lumière patiemment conquise et leur vouloir fortifié de science. A travers l'instruction montent ainsi - malgré les perfidies et les arrière-pensées de nos maîtres - des forces attentives à la peine des hommes et dévouées au bien commun.



- LANARQUE.