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INTERNAT n. m.

Le fait de vivre à l'intérieur d'un établissement : séminaire, couvent, collège, école, etc.

La question de l'internat pédagogique est importante et elle se rattache de beaucoup plus près qu'on le pourrait croire à la question sociale.

Dans le mode actuel d'éducation des enfants, l'internat est surtout appliqué dans la bourgeoisie : lycées, collèges, pensionnats. Les enfants des ouvriers et des paysans vont à l'école primaire où ils sont externes. Seule une petite minorité d'enfants déshérités : orphelins, enfants abandonnés, enfants condamnés par les tribunaux, sont élevés en collectivité dans des internats.

C'est donc avant tout la bourgeoisie qui s'est élevée contre l'internat que beaucoup d'auteurs ont considéré comme néfaste.

L'homme se souvient avec amertume de son enfance cloîtrée entre les tristes murs d'un collège. La mauvaise nourriture, le dortoir où il gelait l'hiver ; le temps réglé à la minute du lever au coucher ; les récréations mêmes passées dans une cour étroite où souvent on se battait ; les promenades en rangs deux par deux sous l'œil d'un pion miteux et maussade.

Les vacances étaient accueillies avec allégresse. Les parents, enchantés de revoir leur enfant après des mois d'absence, le choyaient, le comblaient de friandises et de cadeaux. Puis on partait en voyage à la mer ou à la montagne. Les deux mois passaient féeriques et, après, c'était le triste retour vers le bahut détesté.

Je ne regrette pas mon enfance ; les jours

Du collège me sont un souvenir morose :

Pensums, devoirs, haricots et chlorose,

Et l'ennui qui suintait aux quatre coins des cours.

(Jean Richepin : Les Blasphèmes.)

Ce que l'internat comporte de mauvais tient à la société capitaliste elle-même. Le professeur fait un métier qui l'ennuie ; en général, loin d'aimer les enfants il les déteste, parce qu'il est obligé de les instruire pour vivre. Pour beaucoup d'entre eux, l'élève n'est qu'un numéro, et ils ne s'intéressent pas à son développement intellectuel. Les plus consciencieux prennent intérêt aux quelques élèves qui forment l'élite de la classe ; le reste est tenu, ou presque, pour inexistant.

Quant à la vie, elle est réglée par une administration pour laquelle les élèves ne sont qu'un mal nécessaire. Pour économiser on leur donne une mauvaise nourriture, on ne chauffe pas les dortoirs, on réduit la lumière. Les grands jardins que l'on montre aux parents pour les allécher sont interdits aux écoliers. On veut pouvoir ne pas les perdre de vue un seul instant, par crainte de la chute, du coup, de l'accident quelconque qui amènerait une « histoire » avec les parents.

Malgré la surveillance, les mœurs contre nature s'installent au dortoir, aux commodités. Les plus grands font à leurs cadets une éducation sexuelle de méthode déplorable. Les élèves des classes supérieures, pubères déjà, sont martyrisés par le besoin génital ; dans leurs nuits sans sommeil ils mordent leur traversin. Tous pratiquent l'onanisme ; quelques-uns deviennent pédérastes. Dans leurs rêves la femme (la fille du prolétariat, bien entendu) apparait comme un gibier lubrique, et aux alentours du bachot c'est dans la chambre sordide d'une fille de trottoir qu'ils connaîtront l'amour pour la première fois.

Mais l'internat pourrait être tout autre qu'il n'est.

Le lycée, bâti hors des villes, pourrait être aéré et gai. Les élèves, en dehors des heures d'étude, s'ébattraient aux jardins dans une liberté à peu près complète ; les dortoirs, inconfortables, pourraient être remplacés par de petites chambres pourvues du confort. Des éducateurs aimant la pédagogie, seraient des maîtres aimés et feraient l'éducation morale de leurs élèves.

Car, au point de vue de l'instruction, l'internat est bien supérieur à l'externat. La famille contredit le collège et lui est presque toujours inférieure. L'enfant apprend de ses parents à mépriser l'étude et à la considérer comme un bourrage fastidieux auquel il faut s'astreindre, seulement parce que la carrière dépend du succès aux examens.

On a reproché à l'externat de faire vivre l'enfant dans un milieu artificiel qui n'est pas la vie. Ce milieu, en réalité, est supérieur à la vie ; l'enfant y acquiert la foi au travail, à l'effort, au mérite. Il a bien le temps d'apprendre que toutes ces vertus ne sont que fausse monnaie et que ce qui fait réussir, c'est avant tout l'argent et l'intrigue.

L'internat scolaire, généralisé à tous les enfants, aurait pour avantage de les soustraire, dans une grande mesure, à l'influence familiale.

Si l'éducation familiale est mauvaise dans la bourgeoisie, où l'enfant apprend de très bonne heure que l'argent est tout dans la vie et qu'il faut être prêt à faire n'importe quoi pour en gagner, dans le prolétariat elle est bien pire.

L'enfant ouvrier et paysan a, dans sa famille, le spectacle de l'ignorance, de la brutalité, de la méchanceté. Il voit son père rentrer ivre et battre sa mère ; il assiste aux querelles avec les voisins ; il apprend à maltraiter les animaux. A la faveur des conversations il reçoit, pendant les années de l'enfance où le cerveau conserve indéfiniment les empreintes, tous les préjugés de son milieu social. Devenu adulte, il reproduira les parents, ce qui fait qu'il n'y a pas de progrès, ou plutôt que le progrès est très lent.

La société de l'avenir élèvera ses enfants dans des internats. Les classes auront disparu, et nos descendants assisteront à une transformation profonde des mentalités. La religion, si difficile à déraciner tant que l'enfant est élevé dans la famille, disparaîtra en quelques générations, lorsque la société assumera la charge de l'éducation.

On ne verra plus de brutes humaines sales, grossières et alcooliques. L'ouvrier de demain ressemblera, par son aspect extérieur, au bourgeois d'aujourd'hui, et, au point de vue mental, il n'en aura pas les défauts, l'hypocrisie, l'égoïsme farouche.

Enfin l'externat libèrera la femme du lourd fardeau de l'élevage des enfants qui la retient en esclavage pendant les meilleures années de son existence.



- Doctoresse PELLETIER.



INTERNAT

Tous ceux dont l'adolescence - et une partie de la jeunesse, et l'enfance parfois dès six ans - a connu la longue théorie des études, des réfectoires, des « récréations », des classes et des dortoirs, les promenades alignées sous les ordres du « pion » et les rondes de bêtes en cage sous les galeries et les préaux des cours, et soupçonné, comme dit Mabilly :

« …derrière la porte

La vie qui passe

Dans la rue qui s'essouffle.

Les grands espaces

Illimités ...

Et le vent de la liberté

Qui souffle »,

toutes ces années hachées de régularité morne et tyrannique qui défilent sur l'écran du « pensionnaire » ; tous ceux qui ont ensuite - boursiers, étudiants pauvres - tournant la médaille aux faces conjuguées, ajouté leur nom à la liste des « Petit Chose » et des « Amédée Lobuse », qui sont allés, comme disait André Barre, « dans les cavernes de l'Université servir les salamandres », ceux-là ont acquis le triste privilège d'exercer contre l'internat de légitimes représailles. Ils ont tâté, sur le vif, la mise hors le mouvement des corps assoiffés de détente exubérante, touché les effets de la claustration physique et de l'isolement moral à l'âge des élans et des poussées expansives, senti les déformations qu'un régime scolaire anormal fait peser sur des générations cloîtrées pour de stériles travaux, vécu ou côtoyé les perversions qui, de la boîte congréganiste au lycée officiel, ont brisé l'évolution de plus d'un Sébastien Roch... Et ils se dressent en ennemis contre une institution qui perdure, semble-t-il, par l'absurdité chronique de ses méthodes et l'engrenage de ses vices.

Il est superflu de refaire ici - pédagogiquement ­- le procès de l'internat tel que le conçoit encore notre Université rétrograde. Il est une aggravation et comme le couronnement d'un système dont cette Encyclopédie précise en divers endroits la redoutable nocivité... Rappelons que, dès 1793, après avoir dispersé les Jésuites mais gardé la congrégation, l'Université confie à l'internat quelque deux mille prisonniers. Elle ne pouvait que s'avancer davantage - la réaction aidant - dans uns voie si en harmonie avec « la poussée centralisatrice et l’intervention de l'Etat ». Plus tard, sous l'Empire, les libéraux - de Laprade à Jules Simon - incorporeront la réforme de l'internat à une refonte de l'enseignement secondaire : soixante ans de République en ont si bien entretenu la vitalité que les esprits libres du temps, secourus par quelques praticiens sagaces de la puériculture et une poignée de patriotes inquiets pour « notre » recul en face des nations d'affaires, en sont encore à le dénoncer! Que la bourgeoisie surtout subisse les atteintes d'un mal qui se répercute d'ailleurs en difficultés générales, d'accord, mais rien de ce qui peut délivrer les petits ne nous est étranger et nous traînons la peine solidaire des atteintes faites dans le monde à la liberté et le bien de tous périclite quand est étranglée l'initiative dès les premiers pas juvéniles...

Il semblerait, à regarder l'internat tenace, que la source de la culture fût tarie chez nous si croulait la tradition d'encaserner l'enfance pour l'instruire. Et cela est vrai en un sens, car « nous continuons, comme l'observe Ed. Demolins dans son A quoi tient la supériorité des Anglo-Saxons, à former des hommes pour une société qui est définitivement morte ». Dans nos « sociétés à formation communautaire, caractérisées par la tendance à s'appuyer non sur soi-même mais sur le groupe : famille, tribu, clan, pouvoirs publics », l'éducation demeure tournée vers le passé. Les autres, les « sociétés à formation particulariste », qui marquent la tendance au self-control, l'éducation cesse d'être une transposition dans le souvenir pour faire corps avec 1a vie pratique. Et ses produits, qu'animent l'audace et l'esprit d'entreprise, sont en train de conquérir allègrement le monde. Nos maîtres cependant continuent d'ignorer que la force d'un peuple est dans l'indépendance et l'initiative de ses unités. Et l'éducation, aggravée d'internat, ne cesse, sous leurs auspices, d'être un bourrage et un écrasement. « Au collège, en Angleterre, nous n'apprenons pas grand-chose, si ce n'est peut-être à nous conduire dans la vie ». Que diraient de l'aveu de ce jeune Anglais nos mentors universitaires dont tout l'idéal est de paralyser nos esprits - dans les enceintes où ils retiennent nos pauvres corps - sous le lourd fatras d'un savoir pratiquement sans objet.

L'internat? « S'il n'existait pas, disait Georges Renard, d'abord les parents seraient condamnés à garder leurs enfants chez eux une partie de la journée et qui, pis est, à les élever. Monsieur et Madame seraient forcés d'avoir une vie de famille et de se respecter l'un l'autre... Monsieur devrait prendre sur les heureux moments qu'il coule en paix au café, au club, dans les coulisses. Madame ne pourrait plus suffire à la multitude de ses occupations, visites, bals, soirées, concerts, spectacles, conférences avec la couturière ou le tailleur pour dames. Quoi de plus triste!, quoi de plus peuple! Avoir des enfants, passe encore! Les nourrir, il le faut bien. Mais donner une part de son temps et de son cœur à leur éducation, c'est un luxe qui ne convient qu'aux pauvres ». On peut attaquer la famille, le milieu courant, souligner leurs tares et leur insuffisance, s'élever contre leurs réactions souvent pernicieuses, mais on n'empêchera pas que - face aux geôles où nous avons langui et qui ont comprimé notre essor - ils ne soient la vie et quelque chose de cette liberté que pleurent les oiselets tourneurs derrière les grilles de l'internat. A l'heure des rires, des jeux, des escapades à travers champs et bois, toute une jeunesse - dont je n'ai pas à connaître la classe sociale - végète entre les murs du cloître ou du collège, de l'orphelinat ou de la maison de redressement, à l'orphelinat, l'établissement de correction : les plus terribles visages d'un internat sous toutes ses faces exécré!...

Les bourgeoisies saxonnes, les Scandinaves ont depuis longtemps donné de l'air à leur progéniture. Les « pensions de famille » anglaises (dont certaines sont des types remarquablement modernes) ont des allures de grandes personnes émancipées près des « institutions » privées ou gouvernementales où nos Latins anémient « la promesse de leur gloire ». Regardez, par exemple, la Suisse ou l'Amérique. « Là aussi, l'enfant va au collège et il arrive, là aussi, que le collège est loin. Impossible de rentrer chaque soir. Que faire? L'enfant va-t-il être parqué avec mille ou quinze cents autres dans un énorme et lugubre bâtiment? Non, il change de foyer, voilà tout. Sa famille le confie à une autre famille... Et, le croiriez-vous, chez ces peuples-là, les gens préfèrent mille fois cette façon d'agir à ces grands internats qui sont l'honneur de notre pays. Mais les imiter, fi donc! Voyez-vous la France prendre modèle sur un pays neuf, comme l'Amérique, ou sur un pays nain, comme la Suisse? Emprunter à l'étranger, quelle humiliation! » (G. Renard). Et l'internat continue à nous réduire et à nous avilir. Et la déchéance, et les stigmates du troupeau y trouvent leur compte...

Si l'internat - élargi, épuré, désencaserné, et tel que plus rien n'y survive du « bahut » de nos souvenirs -­ devient le milieu scolaire de l'avenir pour l'adolescence (car nous n'oserons plus, que diable, parler, au sens actuel, d'école pour l'enfant!) qu'il se rapproche le plus possible de ce noyau éducatif à la fois chaud, riche et fécond qu'est la famille d'affinité. Car nous ne ferions que soustraire l'enfant à la tyrannie du milieu domestique autoritaire, obtus et inharmonique, pour le rejeter dans la prison déprimante, étouffeuse de vie naissante si devaient s'y dérouler, dans une forme et un esprit voisin de l'internat d'aujourd'hui, les années de prime jeunesse, si lourdement, prématurément, exagérément studieuses…



- LANARQUE.