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INTERRUPTION n. f.

En rhétorique, figure par laquelle on suspend le développement d'un ordre d'idées, pour aborder un ordre d'idées différent. Action d'interrompre, d’arrêter l'exécution d'un travail quelconque ; se livrer à de fréquentes et maladroites interruptions. A chacun de nous l'occasion s'est, maintes fois, présentée d'assister, au sein de réunion publiques, à l'exposé d'une thèse qui ne recueillait point l'unanimité des suffrages et pour laquelle d'ailleurs, bien souvent, l'orateur n'usait pas que d'arguments empreints d'une parfaite loyauté. D'autres fois, il s'agissait simplement d'un sujet dont le développement allait absolument à l'opposé du but que nous nous sommes assigné et dont les conclusions se heurtaient à celles que nous tirons habituellement de nos propres théories.

Avouons-le : il faut, dans ces circonstances, un certain courage et une grande maîtrise de soi pour que, dès que retentit à nos oreilles le son de cloche différent de celui dont nous avons peut-être trop tendance à nous bercer, l'interruption, parfois brutale et rarement réfléchie, ne jaillisse pas de nos lèvres! Trop d'individus, hélas, sont dogmatiquement imbus de leurs idées et, sans doute, par une survivance, même chez les plus apparemment affranchis, de l'esprit religieux, intolérant par essence, ils ne sauraient admettre qu'une idée contraire, par conséquent au premier abord hétérodoxe et condamnable, naisse dans le cerveau d'autrui. Ce travers, - disons-le : cette tare, - nous la rencontrons tout naturellement et au plus haut degré de virulence chez les partisans des doctrines autoritaires, chez ces individus qui, une Bible blanche, tricolore ou rouge en mains, se croient autant de papes détenant, à eux seuls, la totale Vérité que leur a révélée l'Eglise dont ils sont les dociles et farouches fidèles!...

Malheureusement nous devons à la vérité de déclarer que cette détestable intolérance, ce répugnant sectarisme, si nuisible à notre propagande et dont eurent à souffrir quelques-uns de nos meilleurs militants, n'est pas absolument banni de nos milieux libertaires et, trop souventes fois, il nous fut pénible de constater, dans certaines assemblées, l'hostilité irraisonnée et systématique de camarades à l'égard de conférenciers qui, pour être en désaccord profond avec la grande Doctrine de Vie qui est nôtre, n'en méritaient pas moins, parce que courtois et sincères, d'être entendus jusqu'au bout. Nous éviterons donc, en toute occasion et étant entendu que nous aurons devant nous un contradicteur loyal, l'interruption intempestive et grossière, toujours impuissante à traduire un sentiment noble, une idée saine et juste et, même en présence du plus insipide des rhéteurs, du plus agaçant des verbomanes, sachons faire montre d'indulgence et de dignité en écoutant, avec calme, la démonstration de l'adversaire. Nous aborderons ensuite la tribune avec la ferme volonté de nous faire respecter, à notre tour, et d'autant plus conscients de la noblesse de notre tâche que pour la vulgarisation de l'Idéal dont nous sommes pénétrés point ne nous est besoin de recourir à l'obstruction et à la violence. ­



-A. BLICQ