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INTOLÉRANCE n. f. (du latin intolerentia)

L'intolérance est assurément une des tendances les plus autoritaires et les plus oppressives de la nature humaine. Elle semble aussi vieille que la société. Jamais les hommes n'ont pu supporter qu'on ne pense pas ou qu'on n'agisse pas comme eux. Depuis le conformisme étroit de la tribu sauvage, jusqu'aux formes les plus odieuses du dogmatisme religieux, jamais les sociétés n'ont reconnu le droit individuel à la liberté. Et, dans notre monde « civilisé » et « démocratique », ce droit est encore excessivement restreint.

On pourrait objecter que cet état de choses répondait à d'impérieuses nécessités sociales et je suis trop déterministe pour nier que toutes les institutions qui ont existé, toutes les idées qui ont régné, toutes les méthodes qui ont prévalu à un moment quelconque, n'ont pas eu leur raison d'être et ne correspondaient pas à un besoin vital des sociétés - qui n'ont pu durer, pendant des siècles nombreux, qu'à la condition de subordonner étroitement l'individu. Retenons simplement cet enseignement que l'intolérance grégaire, la prépondérance du collectif sur l'individuel, ont été les moyens d'action des sociétés barbares,

Mais, une fois l'existence de l'organisme social assurée, il ne doit pas rester stationnaire et se cristalliser. Pour se perfectionner, il faut qu'il évolue, qu'il change, qu'il se renouvelle. Les sociétés progresseront donc dans la mesure où elles seront parvenues à refouler conservatisme et misonéisme, dans la mesure où elles permettront aux initiatives de s'exercer librement, dans la mesure où elles auront toléré de nouveaux modes de penser et d'agir.

Prêtres, rois, chefs guerriers, politiciens ou tyrans économiques, font évidemment passer le souci de leurs ambitions et de leurs privilèges avant l'intérêt de la collectivité. Peu leur importe que la société s'engourdisse dans la torpeur, qu'elle végète ou rétrograde. Au contraire, cette tyrannie ne peut être que favorable à l'épanouissement de leur despotisme.

On criera donc « haro » sur le chercheur, le novateur, l'indépendant. On étouffera, par tous les moyens, même les plus violents, la pensée libre, l'effort vers le changement, l'expérimentation, vers plus de justice et d'égalité.

Toute idée subversive sera qualifiée de chimère dangereuse et d'utopie irréalisable. Au nom de la routine, on refusera de s'écarter des sentiers battus, car l'intolérance va de pair avec l'étroitesse d'esprit, la paresse et la routine.

Les gouvernants et les prêtres ont particulièrement abusé de l'intolérance et ont persécuté atrocement tous les chercheurs et tous les précurseurs.

Il est inutile de donner ici des exemples de l'intolérance de l'Eglise. C'est toute son histoire qu'il faudrait refaire, car elle a toujours gouverné avec absolutisme. Aujourd'hui encore, en dépit de certaines affirmations libérales (?), les religions sont foncièrement intolérantes. Elles ne peuvent supporter les dissidences, les libres interprétations, les recherches des penseurs désintéressés. Elles ont leur Credo, leur Evangile, leurs formules, - et il faut accepter tout cela, en bloc, les yeux fermés. Si l'on permettait à chaque fidèle de choisir librement, de rejeter ce qui lui déplaît, d'étudier sans parti-pris les doctrines adverses, d'écouter loyalement tous les sons de cloche, tous les systèmes dogmatiques seraient condamnés à s'écrouler plus ou moins rapidement. Ils ne subsistent que par la Foi, la Croyance, le Dogme - et l'Intolérance.

Pour combattre l'intolérance au point de vue social, il faut donc lutter contre le dogmatisme et contre l'autoritarisme.

Mais cela ne suffit pas : il faut aussi combattre l'intolérance au point de vue individuel.

Combien de personnes, en effet, se croient libres, se déclarent attachées aux partis d'avant-garde et conservent, malgré tout, une mentalité intolérante!

Avouons-le : les esprits vraiment tolérants sont très rares, - rarissimes même.

Il faut nous habituer pourtant à considérer la pensée d'autrui (fût-elle très différente de la nôtre) avec sympathie, avec compréhension. Nous sommes persuadés de posséder la vérité, mais qui nous prouve que nous ne nous égarons pas? Qui sait si notre antagoniste n'a pas raison contre nous? Il nous est pénible d'en convenir, parce que nous sommes égoïstes et dominés par un individualisme absurde, fait de vanité bien souvent.

On peut être tolérant, avoir des idées très larges et travailler néanmoins de toutes ses forces à la propagation de la vérité. C'est précisément en diminuant l'ignorance que l'on arrivera à rendre l'homme meilleur et à élever sa mentalité.

« La diversité de nos opinions, disait Descartes, ne vient pas de ce que les uns sont plus raisonnables que les autres, mais seulement de ce que nous conduisons nos pensées par diverses voies et ne considérons pas les mêmes choses ».

L'éducation élargira les horizons de la pensée humaine et fera fleurir l'amour de la liberté, - ce qui est le seul moyen de mettre fin au règne des intolérants et aux violences barbares qui sont la honte et le malheur de l'humanité.



- André LORULOT.