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JEÛNE n. m. (lat. jejunium, de jejunus, vide)

Ce mot s'applique à toute abstinence d'aliment, et même, par extension, d'une catégorie d'aliments. On peut en étendre l'acception à toute autre abstinence ou privation : ne pas pouvoir lire est un véritable jeûne pour l'esprit. Privé de tout divertissement, le détenu, et surtout le prisonnier condamné au régime de l'isolement, subit le jeûne de toute récréation. Le jeûne est volon­taire ou imposé, consenti ou subi. On peut le qualifier de volontaire ou consenti, lorsqu'il est une pratique religieuse, un acte de dévotion qui consiste à s'abstenir d'aliments par mortification et pour se conformer aux enseignements de la religion. Il peut être également volontaire - comme on le verra plus loin - par mesure d'hygiène et dans un dessein d'équilibre physique... Jusqu'à nos jours, le jeûne religieux fut de beaucoup le plus important. « On trouve, en effet, le jeûne à l'état de loi religieuse chez tous les peuples de l'antiquité qui attribuaient à sa pratique une vertu spéciale. Les prê­tres égyptiens, pour se prémunir contre le danger de l'intempérance, s'abstenaient de chair, d'œufs, de lait et de vin ; ils ne mangeaient que du riz et des légumes préparés avec de l'huile. Les Phéniciens, les Assyriens avaient aussi leurs jeûnes sacrés. Chez les Perses, les mages de la classe la plus savante ne mangeaient que des légumes et de la farine. Chez les Indiens, les gym­nosophistes, les brahmanes ordinairement ne se nourris­saient qu'avec les fruits des arbres qui croissaient sur les bords du Gange ou avec du riz et de la farine apprê­tée. En Crète, les prêtres de Jupiter s'abstenaient de la chair, du lait et de tout ce qui était préparé au feu. Chez les Grecs, les prêtres de Cérès s'abstenaient de chair et de fruits. Chez les Romains, Numa observait dès jeûnes périodiques. Il y avait aussi à Rome des jeûnes réglés en l'honneur de Jupiter. Les Chinois ont aussi observé dans tous les temps divers jeûnes pour préserver leur pays des stérilités, des inondations, des tremblements de terre et autres malheurs. Dans plu­sieurs contrées, les prêtres des idoles n'offraient de sacrifices qu'après s'y être préparés par la continence et par le jeûne. En général, les païens jeûnaient avant de consulter les idoles. La veille du sacrifice que l'on offrait à Cérès, personne ne mangeait qu'après le cou­cher du soleil. Ceux qui voulaient être initiés aux mys­tères d'Isis s'abstenaient pendant dix jours de chair et de vin... L'obligation du jeûne est à chaque instant enseignée dans l'Ancien Testament, de même dans le Nouveau. Tous les prophètes jeûnèrent avant d'entre­prendre une mission. L'Evangile raconte que le Christ jeûna pendant quarante jours et quarante nuits dans le désert, pour se tenir à l'abri des tentations. Cet exemple devint une loi pour les apôtres, leurs disciples et pour les Pères de l'Eglise. Les anachorètes abusèrent tellement du jeûne qu'ils arrivèrent la plupart du temps à rester sous le coup de leurs hallucinations (car le jeûne excessif, surtout dans l'état d'exaltation mystique, arrive à produire l'hallucination) et à prendre leurs délires pour des visions ou des révélations. » (Lachâtre).

Les mahométans ont le jeûne du Ramazan (ou Rama­dan) qui est, selon les années, de vingt-neuf ou de trente jours. Ils s'abstiennent de toute nourriture, solide ou liquide, du lever au coucher du soleil. Ils y sont tous soumis, quels que soient d'ailleurs leurs âges, leur sexe et leur rang ; mais par contre, ils mangent pendant la nuit. Les malades sont obligés de jeûner après leur rétablissement. Dans l'Eglise grecque, le jeûne est pres­crit le mercredi et le samedi de chaque semaine et s'observe également 40 jours avant Noël, 40 jours avant Pâques, de la fête de la Trinité à la saint Pierre et du 1er au 16 août. Le jeûne enjoint par l'Eglise catholique consiste dans l'abstinence de certains aliments, dans la diminution de sa nourriture ordinaire, et dans la priva­tion de toute nourriture pendant certaine mesure de temps ; il n'est obligatoire que pour ceux qui ont vingt et un ans accomplis. Dans l'Eglise catholique, les jours de jeûne sont les quarante jours du carême (sauf les dimanches), les Quatre-Temps et les Vigiles, et les veilles de certaines fêtes. Il est également ordonné d'observer le jeûne eucharistique : abstention de tout aliment, à partir de minuit, avant réception de l'eucharistie. Le prêtre ne doit dire la messe que s'il est, lui aussi, en règle avec cette prescription. Les Protestants, en général, ont rejeté les jeûnes établis par l'Eglise romaine. Calvin, cependant, reconnaît, dans ses Institutions, que l'Eglise a le droit d'établir des jeûnes. Et un nombre important de sectes protestantes - tels les Anglicans, les protestants d'Amérique, etc. - admettent et prati­quent le jeûne... Chez les Juifs, la loi de Moïse ne pres­crivait qu'un jour de jeûne, celui de la fête des Expia­tions, le dixième jour du septième mois (Lévit. XXIII, 27). Plus tard, les Juifs établirent les quatre jeûnes nationaux (quatrième, cinquième, septième, dixième mois) en souvenir des principaux événements du siège de Jérusalem et le jeûne de Purim, pour rappeler le danger couru par leur nation sous Assuérus...

Le jeûne est imposé en certains cas de maladie. Il est volontairement pratiqué par ceux qui en font un métier et qu'on peut appeler les professionnels du jeûne. On s'est demandé quelle est la durée de survie que peut atteindre une personne pratiquant le jeûne total, absolu, qu'ils se soumettent volontairement à ce régime d’abstention ou qu'ils le subissent accidentellement (famine, naufrage, ensevelissement ou maladie). Les jeûneurs peuvent résister un temps plus ou moins long, suivant la quantité de leurs réserves nutritives (glucose, glyco­gène), temps que l'on évalue à une moyenne de 20 à 25 jours. Mais certains jeûneurs célèbres ont dépassé largement ce chiffre : Succi, 30 jours; Tanner, 40 jours; Merlatti, 50 jours, sont revenus progressivement à l'alimentation normale après leur expérience.

D'autres, fermement décidés à faire la Grève de la Faim (voir le mot Faim), tel, il y a quelques années, le maire de Cork (Irlande), Mac Sweaney, reculèrent jus­qu'à 74 jours l'issue fatale.

Le jeûne devient involontaire, forcé, subi, quand il résulte des conditions d'existence imposées par les lois économiques qui réduisent une partie de la population à la misère ou à une alimentation notoirement insuffi­sante. Le Dr Bertillon déclare que, rien qu'en France, chaque année, plus de cent mille personnes adultes meu­rent de la faim et de ses conséquences. Dans ce chiffre déjà horriblement impressionnant ne sont pas compris les enfants en bas âge dont on sait que la mortalité atteint une proportion très élevée. Au surplus, le Dr Ber­tillon (il ne s'agit pas de l'anthropomètre, mais d'un de ses homonymes) ne parle que des victimes d'une misère noire, avérée, telle qu'elle ne peut échapper à la connaissance du voisinage. Mais que de familles ouvrières et paysannes succombent lentement aux privations de chaque jour, ruinant à la longue les constitutions les plus robustes, les atteignant peu à peu dans leurs forces vives, les usant d'année en année, faisant, dès l'âge de 40, 45 et 50 ans, des vieillards et des infirmes ! Qui décrira jamais avec le luxe de détails et la richesse de coloris nécessaires les jours atroces de jeûnes et les nuits d'angoisse affamée que connaissent les sans-tra­vail ou les travailleurs condamnés à un salaire de famine ?

Quand on songe que, par le monde, il y a des millions d'hommes, de femmes, de vieillards et d'enfants qui, par le péché originel des temps. modernes : la pauvreté, sont, quoi qu'ils fassent, voués, du berceau à la tombe, aux privations de toute nature, au jeûne partiel qui tue plus lentement mais aussi implacablement que le jeûne complet, se peut-il que les consciences droites ne soient pas torturées ? Et lorsqu'on constate que d'immenses richesses sont sottement et bassement dévorées, chaque jour, en orgies, gaspillages et spéculations, se peut-il que l'idée ne vienne pas à tous ceux qui possèdent un cœur accessible à la commisération de s'indigner et de tout faire pour mettre un terme à un état de choses indigne de la civilisation ?

Sans doute, les « gavés » frôlent ces détresses sans les apercevoir. Aussi, est-ce un devoir de les leur faire con­naître, dût-on se répéter inlassablement.

Les religions et la philanthropie se bornent à conseil­ler aux classes riches l'exercice de la charité. Celle-ci s'avère de plus en plus insuffisante : ceux qui ont besoin d'être secourus sont trop. Les gouvernements créent et multiplient les œuvres d'assistance ; ces œuvres sont impuissantes à enrayer le mal qui ronge les jeûneurs par force. Tout au plus est-il permis d'assimiler ces œuvres à une soupape de sûreté, destinée à prévenir l'éclatement de la machine trop chargée de vapeurs comprimées.

Le remède est ailleurs. Il consiste à assurer à tous la possibilité de s'alimenter convenablement. Pour cela, il faut .que nul ne puisse jouir du superflu, aussi longtemps qu'un seul restera privé du nécessaire. Pour qu'il en soit ainsi, il faut que l'appropriation du sol, du sous-sol, de tous les instruments de production cesse d'être privée et devienne commune. Il faut que disparaissent les classes : l'une riche et l'autre pauvre. Si doux qu'en puisse être l'espoir aux adversaires de toute violence, il est sage de renoncer à l'idée que cette œuvre de trans­formation sociale en étendue et en profondeur sortira de la collaboration de ces deux classes. Les privilégiés n'arriveront jamais à reconnaître collectivement que leurs privilèges sont iniques : imbus de leur supériorité en intelligence, en activité, en compétence, séculairement attachés aux prérogatives qui sont le fait de leur situation sociale, jamais ils ne consentiront à y renon­cer bénévolement. Il faudra donc : ou bien que les déshé­rités se résignent perpétuellement à jeûner autour de la table abondamment servie où s'empiffrent les fortu­nés ; ou bien que, se refusant à suivre plus longtemps les conseils de résignation et de patience qui leur sont, depuis des siècles, prodigués, ils exigent - ventre affamé n'a pas d'oreille - et de haute lutte conquièrent, au banquet de la vie, la place à laquelle ils ont droit.

S. F.

JEÛNE (thérapeutique).

Dès la plus haute anti­quité, on l'a vu, les religions ont adapté à leurs institu­tions les pratiques du jeûne. A la base des abstinences rituelliques régnait un souci d'hygiène préventive et la préoccupation de relever un état sanitaire endémique­ment compromis.

Nous savons que la prédominance de l'animalité, per­sistante chez l'homme moderne malgré des siècles d'évo­lution, s'affirmait chez nos ancêtres avec brutalité. Et nous avons appris combien la propension à la gourman­dise et les excès qu'elle engendre (et les facilités intel­lectuelles les ont favorisé au sein de notre espèce plus qu'elles n'ont contribué à les refouler), joints à l'inob­servance des règles de la plus élémentaire propreté, réduisent dans de notables proportions la résistance physiologique aux maladies. Il est donc logique de pen­ser qu'aux époques reculées où s'ébauchèrent ces grands principes d'hygiène (pour ne parler que de ceux-là), ils étaient le résultat d'observations exactes de la part de ceux qui, prêtres ou docteurs, avaient mission de veiller sur la santé publique.

Il semble bien cependant que le jeûne – conseillé au peuple ou enjoint en commandements intransgressibles - fut appelé par eux uniquement à cause de ses vertus préventives. Par son application périodique plus ou moins prolongée, il concourait vigoureusement à la régé­nération physique de la race qu'une alimentation exa­gérée ou vicieuse risquait de compromettre. Il soumettait les organismes saturés de poisons d'origine alimen­taire à une salutaire désintoxication. Mais la découverte du jeûne comme agent curatif et d'application thérapeu­tique est, à notre connaissance, relativement récente.

L'impuissance de la médecine en face de certains phé­nomènes pathologiques orienta vers d'autres voies les recherches de quelques hygiénistes, plus avisés et en même temps mécontents des piètres résultats obtenus par les procédés à la fois officiels et surannés employés jusqu'alors. La science médicale s'était contentée de combattre la maladie dans ses manifestations multiples sans en rechercher les causes véritables. Et une savante pharmacopée, aussi coûteuse qu'inopérante, s'est lentement constituée sans pour cela résoudre ce problème de premier plan.

Nul ne contestera, cependant, que la santé réalise l'état normal, tandis que la maladie n'est qu'une anomalie. Tout ce qui contribue à fausser ou détruire cet équilibre qu'est la santé doit donc être impitoyablement radié des habitudes humaines. Or, la gourmandise, cette mauvaise conseillère, qui conduit l'homme à d'irrémé­diables abus, est parmi les premiers responsables des déchéances physiques qui affligent l'humanité.

Chez le primitif, l'alimentation était beaucoup plus simple et, partant, plus saine que celle de l'homme civi­lisé. L'art culinaire s'est perfectionné non seulement en dehors mais à l'encontre de l'hygiène. Tout ce qui con­tribue à satisfaire le palais fut et est l'objet de recherches ingénieuses de tous les gourmets. Nous en sommes arrivés à manger non plus pour satisfaire un besoin mais avec le souci des seules jouissances de la déglu­tition et dans le mépris souverain de leurs consé­quences. Cet état d'esprit s'est malheureusement géné­ralisé grâce à la démocratisation d'aliments et breuvages anti-physiologiques. Et c'est la raison pour laquelle la santé qui, autrefois, était pour ainsi dire l'apanage du peuple des villes et des campagnes, a atteint le degré de précarité que nous lui connaissons.

Il faut cependant nous pénétrer de cette idée aujour­d'hui suffisamment démontrée, à savoir que nous vivons, non de ce que nous mangeons, mais de ce que nous digérons. Si nous introduisons dans notre estomac des aliments de composition déplorable, indigestes au surplus et souvent en quantité exagérée, l'élaboration en devient laborieuse. Toute une série de phénomènes anormaux en résultent qui se traduisent par une per­turbation dans la nutrition. L'assimilation et la désassi­milation se trouvent faussées, donnent naissance à des déchets toxiques redoutables. A la longue, ceux-ci finis­sent par encombrer l'organisme qui devient impuissant à les éliminer. Cet empoisonnement aux récidives régu­lières altère la composition cellulaire ainsi que les liquides immergents. Et il ne tarde pas, chez les sujets prédisposés, à provoquer une rupture d'équilibre. Et voilà la maladie déclanchée.

Quiconque, en bonnes conditions physiologiques, résisterait à l'action des infiniment petits, devient d'une fragilité étonnante. L'arthritisme s'installe alors en maître, couvant traîtreusement toute la gamme pathologique, et devient l'état chronique et... normal. Et c'est alors qu'apparaissent, selon les circonstances, les prédispositions et les résistances individuelles : tuberculose, cancer, dyspepsie, grippe anodine ou infec­tieuse, appendicite, rhumatismes, etc., etc.

Nous l'avons dit plus haut, la Médecine s'avère désar­mée devant le mal. Les poisons qu'elle administre sous forme de potions vont encore l'aggraver et lorsque l'or­ganisme aura épuisé ses moyens de réactions dans la lutte qu'il soutient contre les toxiques conjugués, associés à l'action microbienne, ce sera la mort, inéluctable­ment.

Le principal remède, lorsqu'il en est temps encore, le plus simple en tout cas et le moins onéreux, et à la portée de toutes les bonnes volontés : c'est le jeûne que nos pères pratiquaient annuellement. De ces redoutables résidus toxiques dont nous nous sommes saturés pen­dant des années, quelques jours, quelques semaines de diète hydrique absolue vont nous en débarrasser. Mais voilà, il faut vouloir !

Cette conception du jeûne comme traitement préventif ou curatif de certaines maladies ne peut manquer d'éveiller dans l'esprit du public l'idée d'une prompte mort par inanition. Une démonstration s'impose donc.

Nous l'avons déjà dit: Tout aliment ou fraction d'ali­ment, non digéré, n'est pas assimilé. Quelles que soient donc la qualité ou la quantité absorbées, si aucune partie n'est incorporée aux tissus organiques, le résultat apparaît le même que dans l'abstention. On peut dire sans paradoxe qu'il est pire : les organes de la digestion, sollicités par la présence de la masse alimentaire, gas­pillent en pure perte une énergie qui aurait contribué au rétablissement de la santé fort altérée, et les nou­veaux poisons qui naissent d'une pénible élaboration viennent encore alourdir l'effort des réactions défen­sives. Donc, pour la portion en excès, l'apport est non seulement superflu, il est nuisible. C'est ce qui explique pourquoi, dans certains cas de maladies aiguës ou chro­niques, malgré les tentatives de suralimentation l'amaigrissement survient sans qu'aucun traitement puisse l'enrayer. Au contraire, le résultat inverse est maintes fois obtenu chez des sujets atteints d'affections mor­bides, par la suppression de un ou plusieurs repas quo­tidiens. L'alimentation restante suffisant pour rétablir leur santé compromise et accroître en même temps leur poids et leur vigueur.

Le docteur Edward Hooker Dewey (de Pennsylvanie) fut un des premiers préconisateurs et apôtres du jeûne thérapeutique. Il obtint des cures merveilleuses par son application méthodique et multipliée. D'abord, comme tous ses collègues, il croyait fermement que tout malade devait s'alimenter pendant la période de traitement. Il pensait que l'abstinence totale, en provoquant un affai­blissement progressif de l'organisme, livrait davantage le sujet aux ravages du mal. Et il tenait pouf un axiome le bénéfice de la « surcharge alimentaire », et la recom­mandait... Le hasard voulut qu'il eût à donner ses soins à une personne alitée de longue date des suites d'une maladie grave. L'acuité de cette affection devint telle qu'à un moment donné - et ce, malgré les objurgations pressantes du praticien - la malheureuse fut dans l'im­possibilité d'absorber la plus légère nourriture ni la moindre potion... Pendant de longues semaines, la patiente, sous l'œil anxieux du médecin qui redoutait une issue fatale, ne prit absolument rien jusqu'au jour où, la maladie ayant évolué vers la guérison, l'appétit revint enfin. A la faveur de l'incapacité organique pro­visoire qui l'avait mise à l'abri d'ingestions intempes­tives, les cellules intéressées avaient pu accomplir leur besogne de défense et triompher de l'affection rebelle à laquelle une alimentation obstinée ne faisait qu'ajouter de pernicieux éléments.

Ce fut pour le docteur Dewey comme une révélation. De nombreuses expériences identiques le conduisirent alors à l'édification de sa remarquable théorie du trai­tement par le jeûne qui, par son application généralisée, est susceptible de régénérer des milliers d'incurables. La seule observation du système - préconisé par lui - des deux repas quotidiens suffit à réduire, dans bien des cas, des affections qui, jusqu'alors, étaient demeu­rées rebelles à tous autres traitements.

En France, le docteur Guelpa était parvenu à des résultats aussi saisissants par l'adoption du jeûne médical, simple ou combiné. Il réussit à vaincre une anémie pernicieuse. Cette anémie, arrivée à son ultime degré, s'était montrée réfractaire à toutes les méthodes courantes basées, pour la plupart, sur le principe de la suralimentation. De nombreux médecins avaient mis en œuvre toute leur science sans autre résultat qu'une aggravation répétée de la maladie. Or, malgré le degré d'affaiblissement de l'intéressée, alitée de longue date et incapable de tout effort, le docteur Guelpa prescrivit la diète absolue. Pendant trois semaines consécutives, pas un gramme de substance alimentaire ne pénétra dans l'appareil digestif de la moribonde. Et grâce à l'auto-désintoxication du sujet, tous les symptômes pathologiques s'atténuèrent. Accroissement des globules rouges (attesté par une analyse du sang), modification du teint qui de jaune redevint. rose, disparition de l'irri­tation nerveuse et de l'insomnie, etc., etc., constituèrent l'amélioration immédiate et tangible qui précéda la guérison et ramena à la normale celle qu'une médecine routinière et mal avisée entraînait à une mort certaine.

Un autre cas typique (entre cent autres) et qui peut faire tache dans les annales médicales, fut entrepris par le docteur Guelpa. C'est celui d'un homme terrible­ment maltraité par le diabète. Cet individu, hospitalisé à l'Hôtel-Dieu, élaborait, d'après ce savant, chaque jour cinq cents grammes de sucre et évacuait cinq à six litres d'urine. Une énorme tumeur consécutive à l'affection générale (inopérable dans ce cas, comme chacun sait), ornait l'un de ses genoux. Tous les traitements spéci­fiques en honneur avaient lamentablement échoué. Une issue fatale semblait seule devoir délivrer ce malheu­reux.

Le docteur Guelpa lui imposa quatre jours de diète absolue. Pendant les quatre jours qui suivirent, il lui permit une alimentation légère et spéciale. Puis le cycle de ce système alterné se poursuivit jusqu'à guérison complète du malade. La tumeur se résorba contre toute attente pendant le processus de cette extraordinaire régénération, résultat. d'une audacieuse et intelligente conception médicale.

Dans son livre Le Jeûne qui guérit, le docteur Dewey cite maintes autres cures sensationnelles obtenues par ce traitement. Affections chroniques ou aiguës, bénignes ou graves sont justiciables de son application ration­nelle et circonstanciée.

Si les unes sont réductibles par la suppression de un ou plusieurs repas quotidiens, d'autres exigent une application du jeûne hydrique absolu qui atteignit, dans certains cas opiniâtres que cite cet innovateur, une durée de deux mois.

Le jeûne n'a pas eu, d'ailleurs, qu'une application thérapeutique. Le docteur Tanner eut recours à ce pro­cédé pour démontrer que l'on pouvait vivre longtemps en négligeant de s'alimenter. Au cours de l'une de ses nombreuses expériences démonstratives, il demeura 40 jours sans absorber de nourriture liquide ou solide, hormis de l'eau pure. D'autres jeûneurs professionnels (dont l'italien Succi) multiplièrent ces épreuves dans de nombreuses exhibitions publiques qui eurent, au début, certain retentissement.

Dans la lutte qui dresse, parfois en soubresauts violents, l'Irlande contre l'Angleterre, de nombreux Sinn-Feiners adoptèrent le jeûne comme moyen de protesta­tion contre un internement qu'ils jugeaient arbitraire. Certains d'entre eux refusèrent, paraît-il, toute nourriture pendant plus de trois mois, sans que mort s'en suive. L'un d'eux, le Maire de Cork, expira au bout de 74 jours de jeûne absolu.

Les animaux, plus raisonnables que l'homme (s'il m'est permis d'employer cette expression) s'abstiennent de toute nourriture au cours de la maladie qui les frappe, ou lorsqu'ils sont victimes d'accidents. Ceux qui, vivant à l'état sauvage, n'ont pas chaque jour la pâture assurée, font ainsi des jeûnes salutaires.

Lorsque la mort survient par inanition, la perte du poids s'établit ainsi :

Graisse 97 %

Muscles 30 %

Foie 56 %

Rate 63 %

Sang 17 %

Centre nerveux 0 %

Ainsi donc, jusqu'à la mort, le cerveau reste intact. Il épuise les réserves de l'organisme sans subir aucune réduction ni altération. Ceci pour répondre à l'objection qui laisserait croire que la privation de nourriture expose celui qui s'y soumet aux risques de troubles nerveux et mentaux. C'est vraisemblablement le contraire qui se produirait, des aliénés et des hystériques ayant été sérieusement amendés par l'observance fortuite du jeûne.

Nous conclurons donc que, tant que l'humanité n'aura pas assez de discernement ni assez de volonté pour adopter et poursuivre une alimentation ration­nelle et qu'elle s'obstinera dans les errements qui con­duisent aux crises néfastes les individus imprudents, le jeûne demeurera la méthode la plus sûre et la plus effi­cace pour lutter préventivement et curativement contre les maladies.

- J. MÉLINE.