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JUGE n. m. (du latin Judex, de jus dicere, « celui qui dit le droit »)

Pris dans son sens le plus étendu, le mot juge s'applique à toute personne qui apprécie et se prononce sur n'importe qui, n'importe quel sujet, dans n'importe quelle circonstance. Les croyants disent de leur Dieu qu'il est : le Juge infaillible, parce que sachant tout et pénétrant les plus secrètes pensées de tous, il ne peut se tromper ; le Juge impartial, parce que, au-dessus et en dehors de toute passion et de toute influence, il échappe à toute pression intérieure ou extérieure qui serait susceptible d'altérer son appréciation ou de modifier son arrêt ; le Juge suprême, le Sou­verain Juge, parce que c'est sa décision qui, en fin de compte, infirmant ou confirmant toutes celles qui ont pu émaner de juges subalternes ou de tribunaux infé­rieurs, l'emporte sur toutes les autres et, seule, entre tôt ou tard en application. Ces qualités d'infaillibilité, d'impartialité et de souveraineté, proclamées ainsi inhérentes à l'exercice de la véritable équité, ne peuvent appartenir qu'à Dieu. Cette thèse, qui n'a d'autre fon­dement que l'indémontrable existence de Dieu, répudie, par voie de conséquence, toute idée d'un autre juge ou d'un autre jugement s'imposant à la conscience humaine. Elle proclame, toujours déductivement, que tout juge humain, quels que soient son savoir et son intégrité, ne peut que rendre des sentences d'une jus­tice relative, douteuse, sujette à caution, entachée d'er­reur et passible d'iniquité.

Pris dans un sens plus restreint et appliqué au « social », le juge est un homme qui a pour fonction spéciale de rendre la justice au nom du pouvoir souve­rain. De nos jours, c'est la Loi qui est l'expression du Pouvoir souverain et la Loi elle-même est censée être l'expression de la volonté populaire. Celle-ci a cessé -­ théoriquement du moins - d'être la manifestation d'une volonté unique et personnelle : Dieu ou le chef, pour devenir celle d'une volonté impersonnelle et col­lective : le peuple.

Un juge est donc, présentement, un homme dont la fonction spéciale est de rendre la justice au nom de la Loi. Or, d'une part, la Loi (voir le mot Loi) est, dans le temps et l'espace, essentiellement variable et contra­dictoire, ce qui implique que les arrêts rendus au nom et en application de la Loi sont nécessairement varia­bles et contradictoires ; d'autre part, la Loi se formule presque toujours en un texte obscur et incertain, qui ouvre la porte aux interprétations les plus diverses, voire les plus opposées ; à telle enseigne que, soumise à l'appréciation de deux juges, la même cause peut être tranchée - et c'est fréquemment ce qui se passe - de deux façons opposées, bien que l'un et l'autre juge se flattent également de conformer leur décision à la Loi.

Est-il possible que, dans ces conditions, le juge soit à même de se prononcer infailliblement, impartialement, souverainement ?

« Si le juge avait le pouvoir de lire dans la conscience et de démêler les motifs afin de rendre d'équitables arrêts, chaque juge serait un grand homme. La France a besoin de six mille juges ; aucune génération n'a six mille grands hommes à son service, à plus forte rai­son ne peut-elle les trouver dans sa magistrature. » (Balzac).

La fonction dont le juge est investi, qu'il soit élu ou nommé, ne lui confère ni lumières exceptionnelles, ni vertus spéciales. Même dans l'exercice de sa fonc­tion, le juge reste un homme comme les autres : sur qui passe, violent et brutal, le souffle des passions, que courbe l'intérêt aux aspects multiples et changeants, que poussent, tantôt dans un sens et tantôt dans le sens contraire : le souci de la carrière, la crainte de déplaire aux puissants de l'heure, l'espoir de se rendre favo­rables la presse et l'opinion publique.

Sur lui pèse de tout son poids le joug de l'habitude et le métier a raison du scrupule. Le juge en exercice n'est bientôt qu'un jugeur. Il devient rapidement, comme disait Balzac, « une pâle machine à considérants, une mécanique appliquant le code sur tous cas, avec le flegme des volants d'une horloge »...

Lié à la lettre de la Loi, le juge correctionnel se voit dans l'obligation de n'admettre que dans une mesure limitée les circonstances atténuantes. Pousser l'appré­ciation de celles-ci jusqu'à l'acquittement du délin­quant, ce serait méconnaître le caractère impératif de la Loi ; ce serait fausser la lettre de celle-ci en lui substituant un esprit qui en serait la négation. Aussi, rares, très rares sont les juges qui, passant outre, prononcent l'acquittement d'un prévenu contre lequel la preuve est faite qu'il a commis un acte tombant sous le coup de la Loi. Le juge qui place le respect de la véritable jus­tice au-dessus de l'observation stricte de la Loi est une exception ; il est un phénomène, une sorte de monstre au sein de l'espèce. Il se distingue, il se sépare tant et si bien de l'ensemble que, pour témoigner en faveur de cette séparation, l'esprit public le désigne en le quali­fiant de « bon juge ». Ce fut le cas du Président Ma­gnaud qui, à la suite de plusieurs sentences d'acquitte­ment en faveur de prévenus dont le texte de la Loi commandait la condamnation, fut appelé « le bon juge ».

Le juge de carrière est soumis à une sorte de défor­mation professionnelle ; cette déformation est plus ou moins profonde; mais elle est générale et le nombre est infime des juges qui n'en portent point le sceau. La fonction de juge installe celui qui l'exerce dans un milieu de corruption, de mensonge, de lâcheté, de tur­pitude, de servilité et de vice qui, lentement mais sûre­ment, agit sur son être tout entier. L'air qui circule dans les prisons, les cabinets de juges d'instruction, les prétoires et les couloirs des Palais de Justice, est impré­gné de toxiques spéciaux qui, à la longue, pénètrent et saturent le juge, l'inclinant à voir des coupables par­tout.

Par l'éducation qu'il a reçue, les relations qu'il entre­tient, l'existence qu'il mène et le milieu dans lequel il vit, le juge devant lequel comparaissent un riche et un pauvre, est naturellement plutôt sympathique au premier. Il accorde aux déclarations du « Monsieur » une con­fiance qu'il refuse, d'instinct, au « pauvre diable ». S'il attribue sans difficulté, à l'homme de la classe privilé­giée des mobiles généreux, il attribue aussi aisément à l'homme de la classe déshéritée des sentiments bas mis au service d'intérêts sordides. Et, cette déformation professionnelle s'accentuant avec l'âge, le juge se rend peu à peu coupable des pires injustices, sans en avoir conscience, à son insu et, par conséquent, sans qu'il en ressente le moindre regret, le plus mince remords.

La fonction de juge est, d'une façon générale, entou­rée de considération et de confiance. Et, pourtant, il n'en est pas qui mérite moins cette estime et cette con­fiance. Je comprends que le savant qui consacre l'effort de sa pensée à porter plus loin et plus haut la recherche de la vérité, l'artiste qui puise l'inspiration dans le culte de la Beauté, l'inventeur qui poursuit nuit et jour la découverte d'un appareil ou d'un procédé destiné à diminuer l'effort pénible de l'homme ou à augmenter sa puissance de domination sur les éléments naturels ; je comprends et trouve bon que de tels hommes bénéfi­cient d'une sorte de vénération, mesurée aux avantages que l'humanité recueille de leur labeur. Mais le Juge ! Le juge, conscient de la délicatesse et de la gravité de ses fonctions, l'homme qui, appelé à se prononcer sur la liberté, les intérêts et l'honneur des autres, se rend compte que, quel que soit le soin qu'il apporte à ne se prononcer qu'en pleine connaissance de cause, il ne saurait acquérir la certitude que sa décision n'est pas entachée d'erreur et de partialité, et qui, pour toucher un traitement, conserver son emploi, se ménager de l'avancement et s'assurer, pour ses vieux jours, une retraite suffisante, consent, sans scrupule, à jouer un rôle dans la triste et scandaleuse tragédie judiciaire, je me demande de quelle inconscience cet homme doit être frappé, pour qu'il conserve l'estime de lui-même et de quel aveuglement sont atteints ses contemporains pour qu'ils l'honorent de leur estime et de leur confiance. Par la pensée, je vois un juge distribuant les années de prison ou de bagne au cours de sa journée ; je l'en­tends prononcer la peine capitale ; j'imagine ceux qu'il a condamnés s'acheminant vers la prison, le bagne ou la guillotine, et j'aperçois le juge rentrant, paisible, calme, serein, le soir venu, au sein de sa famille. Dans une salle à manger confortable, sa femme et ses enfants sont assis, près de lui, autour de la table familiale. Si tout sentiment n'est pas éteint en lui, si l'exercice de sa fonction n'a pas totalement desséché son cœur, peut­-il, à ce moment, songer sans frémir au père de famille que sa décision tient séparé de ses enfants, peut-il pen­ser, sans que sa conscience en soit tourmentée, au dénuement dans lequel l'absence plus ou moins pro­longée du père plonge la femme et les enfants ? Et si sa carrière « s'illustre » de quelques condamnations à la peine capitale, se peut-il, à moins qu'il ne se croie infaillible, qu'il n'éprouve nulle angoisse quand, la nuit, son sommeil est hanté par l'apparition des têtes que ses réquisitoires ont fait tomber ?

Le juge qui en arrive, par tempérament et par accou­tumance, à une aussi odieuse insensibilité (et, par la déformation professionnelle, c'est le cas de tous ceux qui ont vieilli dans la carrière), ne mérite aucune consi­dération ; il n'est digne d'aucune estime. Il ne peut inspirer que le mépris.

- Sébastien FAURE.

JUGE IMPOSE, ARBITRE VOLONTAIRE. Il convient de résumer ici les raisons qui rendent éminemment hostile et répugnant à l'individualiste anarchiste le fonc­tionnement du mécanisme judiciaire.

L'on sait qu'après avoir commencé par manifester le caractère d'une réparation, d'un dédommagement à l'égard de celui au préjudice duquel un tort avait été commis (ou de ses ayants droit), la répression des délits et des crimes a fini par revêtir le caractère d'une vindicte, d'une vengeance exercée apparemment au profit de l'ensemble social, en réalité de ses dirigeants, de ses déterminants ou de ses privilégiés sur les déshérités, les désavantagés : ceux qui ne détiennent ni autorité, ni capitaux, ni propriété.

Il n'est pas difficile de se rendre compte que ceux qui ont charge d'appliquer les sanctions pénales ou disci­plinaires que les codes de justice établissent pour répri­mer les différentes formes de transgression sont - de par la classe ou le milieu où ils se recrutent - les sou­teneurs ou les représentants d'intérêts, de situations acquises qui ne leur permettent pas l'impartialité.

En outre, le tarif des pénalités, les peines accessoires qui les accompagnent si souvent ne tiennent aucun compte du tempérament, du déterminisme particulier des délinquants ; ne se préoccupent en rien des circons­tances et des influences qui ont présidé à l'évolution, à la formation de leur caractère, de leur façon d'envi­sager la vie.

L'application des circonstances atténuantes ou aggra­vantes est laissée à l'arbitraire du distributeur de péna­lités qui non seulement s'imagine - quand il prend sa profession à cœur - être un chargé de mission sociale, mais encore se réfère à des renseignements de police tendancieux et incontrôlés, à une impression physique, à des condamnations antérieures, si bien que, par la force des choses, le délinquant est autant puni comme « capable » que comme « coupable » de la transgression qui l'amène à la barre où il est cité.

Sous son apparence d'impartialité, le jugement du jury renferme autant d'arbitraire.

Je ne parle pas seulement ici du facteur de sentimen­talité, exploité autant par le ministère public que par le défenseur du transgresseur, je fais allusion aux préjugés d'éducation et de convention qui dominent les jurés lorsque le moment est venu de statuer sur le cas qui leur est présenté. Que connaissent-ils, d'ailleurs, du criminel qui est traîné devant eux ? pas davantage que le juge professionnel, et ils ne sont pas mieux éclairés que lui sur son déterminisme. Ils sont automatiquement obligés de s'en remettre aux informations que leur fournissent l'accusateur public et l'avocat, les témoins à charge et à décharge. Il n'existe, pour le délinquant, aucune garantie qu'il sera jugé impartialement.

Mais ce n'est pas seulement contre le mécanisme du fonctionnement judiciaire que protestent et s'insurgent les individualistes.

Ce qu'ils combattent, ce qu'ils dénoncent, ce qu'ils critiquent avec véhémence, ce qu'ils posent à la base de leur antagonisme à la conception actuelle de l'appli­cation de la justice : c'est le juge imposé, conséquence du contrat social infligé aux dominés et aux exploités par ceux qui les asservissent et tirent profit de leur travail ; c'est le délinquant contraint de subir le juge qu'il n'a pas choisi, le code et la méthode de jugement qu'il ne peut récuser.

Ce que nient les individualistes, c'est qu'un être humain s'arroge le droit d'en juger un autre, qu'il s'imagine avoir ce « droit » soit comme une sorte de délégation ou de mandat d'une collectivité irrespon­sable, soit comme une faculté innée.

Pour comprendre les mobiles derniers et profonds qui ont pu pousser un être humain quelconque à commettre une action dite « délictueuse », il faudrait être cette personne elle-même. L'avocat le plus consciencieux, le plus expérimenté ou le plus retors n'y saurait parvenir lui-même, puisqu'il peut arriver que le délinquant ne puisse plus se rappeler ou se représenter avec précision dans quel état d'être il se trouvait au moment où l'infraction ou le crime se produisit. Il aurait suffi d'une circonstance fortuite, d'un accident peut-être minime pour que le délit ou le crime n'eut pas lieu ou se manifestât sous un tout autre aspect.

D'ailleurs, le défenseur qui prend à cœur sa profession se préoccupe beaucoup plus de s'assimiler la psychologie des juges, de les émouvoir, que d'analyser à fond le tempérament ou le déterminisme de son client. De l'avocat général ou du défenseur, c'est à qui aura le plus d'atouts dans son jeu. C'est pourquoi, pour gagner la partie, ce dernier parle en juriste devant un tribunal de profession et en orateur devant un jury.

C'est parce qu'il n'est pas possible qu'un jugement soit rendu avec équité ou impartialité, le jugeur ne pou­vant se « mettre dans la peau du jugé », que l'individualiste aspire à voir devenir courante une mentalité personnelle qui fasse que le transgresseur s'inflige à soi-même le châtiment de sa transgression - selon que l'y détermine son degré de sensibilité ou de scrupulosité.

Les individualistes anarchistes rejettent tout autant le juge qui s'impose bénévolement que celui imposé par l'Etat ou tout autre organe de centralisation sociale. Parmi les anarchistes, on rencontre trop souvent une manière de juger ou d'apprécier les faits et les gestes de ses camarades, favorable ou défavorable, selon que leur conduite ou leur procédé, en telle circonstance donnée, est conforme ou non avec ce qu'aurait accompli, dans un cas semblable, celui qui porte jugement, du moins il le suppose. Il est étrange de voir des hommes aux opinions très libérales, très avant-garde, oublier que dans certains jugements ou appréciations, ils sont uniquement incités par leurs convictions personnelles, leur façon de vivre particulière ; le parti pris qu'ils manifestent détonne toujours, irrite parfois. Qui sait comment ils se seraient comportés aux lieu et place de celui qu'ils condamnent, eux, les détracteurs de la vindicte sociale dénommée justice. Tout ce qu'ils peuvent hasarder concernant leur ligne de conduite future dans tel ou tel cas est du domaine de la conjecture.

Et même quand ces juges bénévoles connaîtraient si exactement leur propre déterminisme qu'ils sauraient d'avance ce qu'ils feront en telle ou telle occasion que cela ne les autoriserait pas à porter jugement. Cela leur permettrait tout au plus d'émettre, par rapport à eux, une opinion personnelle sur le geste incriminé, non de nuire au camarade qui l'a accompli.

On nous demandera si nous nourrissons l'espoir qu'il ne s'élèvera plus de conflits, qu'il ne naîtra plus de désaccords, de différends entre membres d'associations, entre associations même, quand ce ne serait que pour des cas non prévus par les clauses de l'entente volontaire qui règle leurs rapports mutuels.

Nous répondrons que ces cas seront réduits au minimum, le contrat d'association ou catalogue des conditions d'association spécifiant les attitudes mutuelles qui sont la raison d'être de l'association. Des termes du contrat il est facile de déduire la nature des actions qu'implique le but de l'association, les charges et les avantages proposés à chacun de ses membres. Une association anarchiste ne comprenant que ceux qui souscrivent à ses engagements, ceux qui ne les ont pas souscrits n'ont à s'immiscer en rien dans le caractère et la forme desdits engagements.

Admettons que deux unités humaines, deux associations (ou davantage) ne puissent solutionner un litige s'élevant entre eux. Acceptons qu'ils éprouvent le sentiment bien net qu'ils ne se trouvent pas, pour une raison ou pour une autre, dans la situation d'esprit voulue pour résoudre, avec toute l'impartialité désirable, le différend qui les sépare ; peut-être parce que, chez chacun de ceux qui se prétendent lésés, il y a de l'irritation, de la colère, du dépit. Quoi de plus simple, pour les parties adverses, que de s'en remettre chacune à un ami, à un compagnon, au courant des circonstances de leur cas, de leurs tempéraments, etc. Il est infiniment probable que l'avis de l'arbitre ou des arbitres s'approchera de très près de l'équité « mathématique ». Le conseil fourni par l'arbitre ou les arbitres (qui ne nourrissent d'animosité à l'égard d'aucune des parties en désaccord), en pleine possession de leur calme, départagera impartialement ou à très peu près les adversaires. D'ailleurs, s'ils s'aperçoivent qu'ils ne peuvent arriver à une conclusion satisfaisante, rien n'empêche les arbitres de s'en remettre eux-mêmes à un autre, choisi alors par eux sans aucune intervention de leurs commettants, qui fournirait une sorte d'avis de dernier ressort qui les mettra d'accord.

Nous ne voyons aucune diminution de dignité person­nelle à reconnaître qu'il est impossible de régler soi­ même tel différend qui vous sépare momentanément de votre semblable et de vous en remettre à un arbitre alors que vous le choisissez en dehors de toute contrainte étatiste ou obligation centralisatrice. Ici comme ailleurs, les individualistes anarchistes revendiquent pour la méthode qu'ils utilisent un caractère absolument et purement volontaire.

- E. ARMAND.

JUGES. Les juges composant le Tribunal de Commerce sont les derniers magistrats élus.

Dans les villes où il n'existe pas un tribunal de commerce, le tribunal civil juge commercialement, c'est-à-dire applique au litige commercial les dispositions du code de commerce, et la justice n'en est pas moins rendue au justiciable, qu'il soit ou non commerçant. Sur appel, les jugements du tribunal de commerce sont déférés à la Cour d'appel, dont la compétence est générale et sans distinction. On peut trouver au premier degré de juridiction comme au second la même aptitude du juge pour le litige et la même adaptation du litige au juge.

Les juges du tribunal de commerce sont élus par tous les commerçants patentés ou associés en nom collectif, domiciliés depuis cinq ans dans le ressort du tribunal ; la loi ajoute à ces commerçants et associés, les directeurs de compagnies françaises, les agents de change, etc., etc. Nous ne saurions entrer dans la minutie de ces détails. La liste électorale est dressée pour chaque commune par le maire assisté de deux conseillers municipaux. Ne peuvent être électeurs les condamnés privés de leurs droits civils et civiques, les faillis non réhabilités.

Le tribunal, dont le sectionnement vient d'être remanié, se compose de juges élus pour deux ans et de juges élus pour un an. Tout électeur inscrit peut être élu juge s'il est âgé de 30 ans, et tout ancien juge pourra être nommé président s'il est âgé de 40 ans. Tout juge sortant est rééligible, mais ne peut être réélu deux fois qu'après un intervalle d'un an entre ces deux réélections.

Venons aux juges qui composent le tribunal de première instance. Les magistrats appelés à composer le tribunal sont des juges, les magistrats appelés à composer la cour d'appel ou la cour de cassation ont le titre de conseillers...

Peut être nommé juge tout citoyen français jouissant de ses droits civils et politiques, s'il est âgé de 25 ans et s'il satisfait aux conditions suivantes : être licencié en droit, justifier d'un stage de deux ans au barreau d'un tribunal. A ces exigences a été ajoutée la garantie d'un examen réglementé par la Chancellerie.

Le président du tribunal et les vice-présidents sont nommés par décret du président de la République comme les juges.

Le nombre des juges que compte un tribunal est fixé par les pouvoirs publics. Le tribunal, si son importance le comporte, est divisé en chambres. Le président est de droit président de chaque chambre ; la chambre qu'il ne préside pas effectivement est présidée par un vice­ président. La nécessité s'étant fait sentir à Paris de diviser les chambres en sections, chaque section est pré­sidée par un président de section. On appelle juge doyen dans chaque section le juge le plus ancien, si l'on se réfère à la date de sa nomination.

Le président du tribunal doit être âgé de 27 ans au moins.

Le tribunal doit être composé de trois juges au minimum. C'est une grave question, très vivement agitée, que de savoir si, pour la plus prompte expédition des affaires et l'évacuation d'un rôle encombré, il ne serait pas utile et opportun de créer le juge unique, composant à lui seul une juridiction du premier degré. Cette suggestion s'est heurtée à une opposition très vive et qui nous semble injustifiée. On semble craindre chez le juge unique sinon la partialité sans contrepartie, du moins l'entraînement sans contrepoids. La pratique démontre que, dans les tribunaux composés de trois juges, l'autorité du président absorbe souvent la personnalité de ses assesseurs, à moins qu'ils ne se coalisent, cas plus rares, paradoxe hiérarchique, contre cette autorité majeure .

On pourrait concevoir la création d'un rapporteur qui, placé auprès du juge, recevrait, en temps utile, avant les débats, les explications des parties et leurs pièces, examinerait l'affaire et, sans conclure, l'exposerait dans un rapport. Nulle pièce ne pourrait être introduite au débat que communiquée au rapporteur avant le rapport et par les soins du rapporteur, sous sa surveillance, à la partie adverse. Ce procédé ou cette procédure se rapprocheraient du système suisse qui, à cet égard, est excellent.

Les tribunaux de première instance comptent parmi leurs membres des juges suppléants. Les juges suppléants peuvent siéger, mais ne prennent part aux délibérations que s'ils sont appelés régulièrement à compléter le tribunal. Quand, par l'empêchement d'un juge appelé à siéger, le tribunal n'est pas complet au nombre de trois juges, il peut se compléter soit en faisant appel à un juge d'une autre chambre ou à un juge suppléant devenu nécessaire, soit en faisant monter au siège vacant l'avocat ou l'avoué, le plus ancien d'entre ceux qui sont présents à l'audience.

Il n'y a pas des juges uniquement civils et des juges uniquement correctionnels. Cette division des juges en deux espèces différentes serait cependant logique.

Mais les deux compartiments ne sont séparés par aucune cloison, les juges sont interchangeables et soumis au roulement.

Les fonctions de juge sont incompatibles avec les fonctions ecclésiastiques, avec le négoce. La parenté jusqu'au degré d'oncle et de neveu constitue un autre genre d'incompatibilité pour l'admission de deux juges dans le même tribunal. Ils ne peuvent se charger de la défense des parties ; il leur est défendu de « devenir cessionnaires de procès ou de droits litigieux et de se rendre adjudicataires des biens dont la vente se poursuit devant leur tribunal »... Parmi les prérogatives des juges, citons : « l'inviolabilité dans l'exercice de leurs fonctions ; le droit de commander, au nom de la loi, à tous les citoyens ; la préséance sur les justiciables dans les actes et cérémonies publiques ; enfin le droit d'imprimer l'authenticité aux actes émanant d'eux ». Les juges sont inamovibles. Ce principe a été posé par la Charte de 1814. L'inamovibilité est une garantie qui a pour but de préserver ou protéger l'indépendance du juge. L'inamovibilité du juge peut être suspendue par une loi et l'histoire nous enseigne que, dans les heures de crise, la politique a incliné le pouvoir central vers ce triste expédient; mais ces coups d'éclat sont des moitiés de coups d'Etat.

[Une récente mesure a supprimé dans maints arrondissements un tribunal qui ressemblait trop à un avocat sans causes ; les juges de ce tribunal ont été transférés au tribunal départemental où, en attendant que la réforme s'égalise et se généralise avec le temps, ils tiennent chaque semaine une audience pour juger les affaires provenant de leur ancienne circonscription judiciaire].

Pour les attributions et les actes des juges, voir aussi : jugements, juridiction, jurisprudence, etc.

Si exceptionnel soit le juge, si vaste soit sa compétence et si ferme sa droiture, et quelque conscience et quelque haute conception qu'il ait de son rôle, et portât-il sa fonction au niveau d'une mission, son œuvre n'en sera pas moins relative, contingente et hasardeuse et entachée d'injustice. Le microscope ne permet pas d'apercevoir ce qu'on appelle l'âme des choses, cet équilibre mystérieux de molécules qui obéissent à des lois de gravitation encore inconnues de nous. Le juge, quand il décide, n'a jamais rassemblé toutes les raisons de décider. Quand il condamne il n'a jamais pénétré dans les arcanes de cette tête sur laquelle la condamnation va tomber. Il ignore, il ne peut savoir quelles lois psychiques, quelles influences ataviques ont mû les rouages de cet automate inconscient, de cet être suborné par la nature ou déformé par l'éducation.

La justice et le droit cherchent à s'unir. L'un et l'autre sont des compromis entre la violence et la récrimination avide elle aussi, aveugle parfois, égoïste presque toujours, qu'ils apaisent et, si sa soif mérite satisfaction, qu'ils abreuvent.

La force prime toujours le droit, mais le droit doit briser la force. « Un arrêt même médiocre est excellent », disait un conseiller sceptique, car il termine un procès. Puissent-ils, autant qu'ils existent, finir bien. Peut-être - si l'on peut dire - est-il heureux pour lui que l'accoutumance aplanisse chez le juge la terreur de se tromper. Quelle redoutable mission que celle de juger ! Pour un juge sincère et demeuré sensible, ou seulement conscient de ses redoutables interventions, quel tourment angoissant que d'oser juger !

- Paul MOREL.

Sous l'ancien régime, on appelait juges royaux, par opposition aux juges des seigneurs, ceux qui rendaient la justice au nom du monarque. Dans quelques provinces méridionales, on appelait juge-mage - ou mage - et, dans certaines localités, grand-juge, le premier juge du tribunal. En Languedoc, juge-mage était le titre du lieutenant du sénéchal. Le juge d'armes était un officier royal connaissant des différends relatifs au blason et tenant registre des personnes ayant droit aux armoiries... Juge était aussi le titre des magistrats suprêmes qui, de Josué à Samuel, gouvernèrent le peuple juif. Le livre des Juges (ou les Juges) est le septième livre de l'Ancien Testament relatif à cette période... En mythologie, devant les Juges des Enfers - Minos, Eaque et Rhadamanthe - comparaissaient les hommes en quittant la vie...