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JURIDICTION n. f.

La juridiction est le pouvoir donné à un homme ou à un groupe d'hommes (ou le pouvoir qu'ils s'attribuent) de juger, c'est-à-dire de trancher par une décision obligatoire, par une sentence, les conflits de droits qui peuvent surgir entre les individus. Le juge « dit le droit » d'où le mot latin jurisdictio (dicere jus). A l'origine des Sociétés, nous l'avons vu (voir le mot Droit), les règles de droit se confondent en général avec la loi religieuse et les vieilles traditions familiales ou sociales dont les prêtres sont les gardiens. Au nom de la divinité dont ils prétendent être les représentants, les pontifes s'arrogent le droit de juger. Lorsque le pouvoir civil s'est constitué, les rois et les autocrates, eux aussi représentants de la divinité, se sont emparés du droit de rendre la justice, considéré comme l'une des plus précieuses de leurs prérogatives. Ainsi s'est formée cette idée que le droit de juger constitue l'un des attributs de la souveraineté, et lors même que la souveraineté appartient, non plus à un individu, imposé par la croyance ou la superstition religieuse, mais à la masse populaire, à la nation, c'est toujours au nom de cette souveraineté que la justice est rendue : le jugement est rendu au nom du peuple, et c'est la « volonté du peuple » qui lui donne sa force obligatoire.

Nous n'avons pas à retracer ici l'évolution historique de l'idée de droit ni celle des institutions judiciaires. Il suffit de constater que la notion de ce qu'on appelle aujourd'hui la séparation des pouvoirs (voir ce mot) a un caractère artificiel ne correspondant à aucune réalité historique, ni même à aucune réalité actuelle. Le pouvoir de « faire la loi » et le droit de l'appliquer ont été constamment confondus dans les mêmes mains. Et le pouvoir qui fait la loi est en tous cas celui qui nomme le juge et qui décide de son avancement. Que l'autorité soit exercée au nom du principe divin ou du principe populaire, c'est toujours elle qui, plus ou moins directement, détient le pouvoir de juger.

Le mot juridiction, dans un sens dérivé, désigne les divers corps, les diverses autorités chargés de rendre la justice. C'est ainsi qu'on distinguait autrefois la juridiction royale proprement dite et les juridictions seigneuriales, la juridiction civile et les juridictions ecclésiastiques. L'histoire du Moyen-Age, jusqu'à la Révolution, est en grande partie celle des efforts faits par l'Eglise pour conserver ou pour conquérir le pouvoir de juger. L'Eglise romaine, encore aujourd'hui, a conservé ses juridictions, non reconnues par le pouvoir civil, mais dont la légitimité est admise, tout au moins en certaines matières, par les fidèles ; en matière de mariage, de divorce, etc., la foule pieuse méprise les sentences des tribunaux ordinaires ; elle n'admet que celles des tribunaux ecclésiastiques, prête à subir à nouveau la domination de ces derniers, si l'Etat laïque se prêtait aux abdications que l'on cherche encore aujourd'hui à lui imposer.

A d'autres points de vue, on distingue la juridiction administrative et la juridiction des tribunaux judiciaires. Le pouvoir exécutif a conservé pour des juridictions composées de fonctionnaires révocables nommés par lui, la connaissance de certains conflits, principalement de ceux qui mettent aux prises les individus et les grandes « personnes morales », l'Etat, les communes, etc. C'est encore le contraire de l'idée de séparation des pouvoirs.

On distingue aussi la juridiction civile, la juridiction militaire, la juridiction commerciale, la juridiction prud’homale. Chacune de ces juridictions a sa compétence propre, et tire son origine de traditions ou de préjugés que nous ne comprenons plus guère aujourd'hui, mais auxquels nous habituent l'esprit de routine et de conservation, la force des habitudes acquises, la crainte de toute innovation et de tout changement. Le mot juridiction s'emploie aussi pour désigner l'étendue du droit de juger, le « ressort ». On dira en ce sens que la juridiction de telle Cour d'appel s'étend à tel ou tel département.

En un autre sens on oppose la juridiction contentieuse et la juridiction gracieuse. La juridiction contentieuse suppose un procès qu'un tribunal est appelé à trancher. La juridiction gracieuse suppose une autorisation, demandée en dehors de tout procès à une autorité judiciaire, pour faire un acte, ou l'homologation exigée par la loi d'un acte juridique quelconque.

Enfin les manuels de procédure distinguent souvent les juridictions de droit commun et les juridictions d'exception. Ces dernières sont, en procédure ordinaire, dans notre droit français les juges de paix, les conseils de prud'hommes et les tribunaux de commerce. La juridiction de droit commun est le tribunal civil. En matière pénale, il y a une juridiction d'exception dont le rôle néfaste, en temps de paix et en temps de guerre, n'a pas besoin d'être rappelé : ce sont les conseils de guerre.

D'une manière générale, il existe en droit moderne un double « degré de juridiction ». Cela signifie qu'une décision de justice peut être frappée d'appel devant une juridiction dite supérieure qui statue souverainement.

Mais la règle du double degré de juridiction souffre de nombreuses et importantes exceptions.

C'est ainsi qu'en général les jugements des juges de paix ne sont pas susceptibles d'appel lorsque l'intérêt du procès ne dépasse pas mille francs (loi du 1er janvier 1926). On dit alors que le jugement est rendu en dernier ressort. Il ne peut être attaqué que par la voie d'un pourvoi en cassation.

De même les jugements des tribunaux civils sont en principe rendus en dernier ressort lorsque le montant de la demande ne dépasse pas quinze cents francs.

En matière pénale les jugements qui sont susceptibles d'atteindre le plus gravement l'honneur, la liberté et la vie des citoyens sont précisément ceux qui ne sont susceptibles d'aucun appel (arrêts des cours d'assises, sentences des conseils de guerre).

On voit que la prétendue règle du double degré de juridiction souffre des exceptions nombreuses et des plus graves. Il arrive d'ailleurs que l'on ne s'explique pas pourquoi dans un cas il y a deux degrés de juridiction, et dans d'autres cas un seul. Ainsi la loi du 5 juillet 1925 sur la révision des baux permet l'appel, même lorsque le bail a été contracté pour un prix minime, alors que la loi du 1er avril 1926 ne permet pas l'appel des sentences rendues en matière de loyers, même lorsqu'il s'agit de loyers très élevés.

Pourquoi ? Nul ne saurait l'expliquer.

Nous ne pouvons qu'effleurer ce sujet. L'organisation des juridictions et des procédures, dans notre société actuelle, nécessiterait une étude critique approfondie, qui soulèverait souvent l'étonnement et l'indignation, mais qui dépasse les limites d'une encyclopédie.

- G. BESSIÈRE.