Accueil


JUSTIFIER (lat. justificare, de justus, juste et facere, faire)

Faire valoir, faire ressortir qu'une ré­putation, une attitude est fondée en justice ; c'est pro­prement dégager le juste et le mettre en relief. Appuyé sur la vérité, corroborée par des témoignages ou des faits, un défenseur peut justifier un accusé, prouver qu'il n'a point dérogé aux édictions de justice, faire écla­ter son innocence. Justifier une conduite, c'est en établir la légitimité, en démontrer la droiture morale. Mais plus souvent qu'à rendre évidente la loyauté, justifier consiste aujourd'hui à déployer mille ingéniosités -­ parfois crapuleuses - pour parer des attributs de la justice des causes et des procédés vicieux, des situa­tions de fraude et de spoliation, des institutions de pri­vilège et d'oppression.

Les puissants qui, d'ordinaire, pratiquent habile­ment l'art de l'auto-justification ne manquent pas, d'ailleurs, de voix complices - appuis bénévoles ou mercenaires - pour « justifier » devant l'opinion les rapts les plus scandaleux et les tyrannies les plus cyni­ques, pour donner à leurs actes calculés des allures de désintéressement, à tant de combinaisons profitables la physionomie du sacrifice. Il n'est pas un règne qui n'ait eu (notoire ou non) son apologiste, et la lignée des his­toriens-courtisans, qui tressaient aux monarques cri­minels des couronnes de vertu, a fait souche démocratique. Politiciens et gouvernants, meneurs d'hommes et brasseurs d'argent, barons de finance et chevaliers d'industrie, manient, deniers en mains, des équipes de « justificateurs » stipendiés...

« On trouve, dit Toussenel, des écrivains pour justi­fier toutes les sottises et toutes les infamies ». Le journalisme moderne est plein de ces valets de plume qui font métier de justifier les injustices de la richesse et du pouvoir, qui couvrent les abus et les illégalités des arbi­tres faiseurs de lois, qui présentent sous des dehors mo­raux et dans le caractère du bien public les exactions et les accaparements dont pâtit le grand nombre abusé. Pour les grands est devenu, du reste, de moralité cou­rante l'adage perfide : « La fin justifie les moyens. » Parvenir est une solution rédemptrice. La réussite comporte des « justifications » qui éclipsent les menées tortueuses et, devant le résultat, s'estompe le chemin. Plus exact que jamais est le mot de Ponsard : « Le succès est le dieu des hommes et semble tout justifier. » Les habiles de notre temps trouvent sans doute bien naïve et désuète la franchise pleine de simplicité judicieuse qui faisait dire à Jean-Jacques : « Je me crois moins coupable en me reprochant mes fautes qu'en cher­ chant à les justifier. »