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KRACH n. m. (mot allemand qui signifie effondrement ; prononcez : krak)

« Terme de bourse servant à désigner une débâcle financière, généralement non limitée à l'effondrement des cours d'une seule valeur, mais retentissant, par voie d'incidence, sur tout un groupe de valeurs similaires ou connexes, quelquefois sur toute la cote » (Larousse). Il convient de compléter ainsi cette définition hâtive : débâcle financière provoquée par les agissements d'une tourbe cosmopolite d'aventuriers d'affaires, d'agioteurs, de détrousseurs qui font « mousser » des valeurs sans gages, des affaires inconsistantes ou inexistantes et raflent l'argent des gogos innombrables, des poires sans cesse renouvelées qui, alléchés par la promesse de mirifiques dividendes ou de bénéfices rapides et extraordinaires, s'empressent ­- avidité bête ou pure imbécillité - de confier leur argent à ces coquins.

Le Krach est un produit de la civilisation bancaire où l'argent est roi et où pullulent les manœuvres affairistes de caractère parasitaire. C'est d'ailleurs par un Krach formidable que la banque véritable débuta en France, en 1720, sous l'impulsion de Law. Il s'est développé très rapidement et on peut dire, aujourd'hui, qu'il est devenu banal et courant. et qu'un krach chasse l'autre dans un temps où l'opinion ne s'émeut plus du scandale.

Le Krach peut se produire de différentes façons :

Une affaire sans valeur peut être soutenue par une habile publicité, être lancée par une presse « arrosée » pour l'introduction de ses actions en Bourse. Celles-ci montent rapidement jusqu'au moment où la presse adverse - celle qui n'a pas eu sa part du gâteau de lancement - vend la mèche, découvre le pot aux roses.

Alors se produit la chute verticale.

Les gogos sont « plumés ». Le banquier - ou l'affairiste - va en prison... pour quelques mois et non sans y être traité avec considération. Il en profitera pour échafauder une autre combinaison aussi fructueuse que la précédente. Il trouvera facilement de nouveaux imbéciles - ou les mêmes - pour lui apporter leur argent. Il retournera en prison... pour en ressortir, comme Rochette, et recommencera jusqu'à ce que, devenu riche, honoré et puissant, on le laisse exercer son industrie en paix.

S'il ne réussit pas, il sera aussi bête que ses dupes et finira parmi les déchets sociaux de tout acabit.

2° Une valeur est bonne. L'affaire est solide. Bien soutenue, elle monte rapidement jusqu'à ce que son lanceur gêne le clan des grands brasseurs d'affaires. Ceux­-ci ont juré de casser les reins à l'imprudent qui se permet de « nager » dans leurs eaux ou de chasser sur leurs terres. Alors son compte est bon, quel que soit l'intérêt de l'affaire en cause.

Les « gros » achètent à tour de bras, par paquets, sur toutes les places du monde, s'il le faut, puis tout à coup, après avoir poussé à la hausse, vendu et racheté, ils jettent sur le marché un grand nombre d'actions, provoquent la baisse, l'effondrement, la panique.

Si le lanceur ne s'appuie pas sur un groupe puissant, s'il n'a pas « les reins solides », c'est l'écroulement, le Krach ; les baissiers rachètent et font une fortune, ce­ pendant que les naïfs sont dévalisés.

3° Il y a le Krach à la confiance, dont le prototype semble être celui de la Gazette du. Franc. Une équipe de coupe-bourses lance une série d'affaires à cascades avec l'aval de personnes moyennes ; celles-ci, par relations, attirent des personnalités plus considérables, de premier plan, appartenant à tous les milieux : parlementaires, diplomatiques, religieux ; les sous-secrétaires d'Etat amènent les ministres et ceux-ci les anciens présidents du Conseil ; les amiraux, généraux, pêle-mêle avec les trafiquants décorés, apportent l'autorité de leurs grades et de leurs titres, toute la hiérarchie ecclésiastique recommande aux ouailles gobeuses cette opération « divine », les magistrats en exercice couvrent les forbans considérés ou, pour le moins, déblaient la route des difficultés légales.

Le groupe monte en épingle les déclarations de celui­-ci, puis de tel autre, photographiés avec dédicaces à l'appui. Et la confiance resplendit. Les poires affluent Il y en a tant et tant que les malins peuvent faire un choix judicieux ; ne prendre que les plus belles.

Puis, un beau jour, le consortium des « gros » intervient, fait « coffrer » le gêneur et le tour est joué. Ainsi en fut-il avec Rochette, d'innombrables fois, et avec Madame Hanau.

Les krachs les plus célèbres, en France, furent : celui de Panama (1899 et années suivantes), dans lequel 104 parlementaires de tous les partis furent compromis (Arton était le grand metteur en scène de l'affaire) ; celui de Thérèse Humbert (1902-1903), dont le fameux coffre-fort contenant la fortune de Crawfork était l'instrument de travail ; et, plus près de nous, celui de la Gazette du Franc (1928-29), avec ses 48 p. 100 d'intérêt promis aux goinfres stupides par des malins bien patronnés. Et le krach des 4/5, par Poincaré (la fameuse stabilisation, la légalisation du franc déprécié) qui est le « Krach des Krachs »...

Les autres pays ont eu, eux aussi, leurs « kracheurs ».

Cette industrie n'est pas en décroissance, loin s'en faut. Elle fleurira, au contraire, sans cesse davantage et ne disparaîtra qu'avec le régime qui l'engendre.

- Pierre BESNARD.