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LACHETE n. f. (lat. laxitas, relâchement, de laxus, lâche)

La lâcheté, qu'il ne faut pas confondre avec la poltronnerie - réflexe passager de la peur qu'ébranle l'imprévu - est non seulement un manque naturel de courage, mais souvent une pusillanimité de parti-pris. « La peur tient à l'imagination, la lâcheté au caractère » dit Joubert. C'est par instinct seulement ou par tempérament que le poltron se dérobe au péril ; le lâche s'y soustrait par calcul. Alors qu'à certaines défaillances physiques vont l'excuse de la spontanéité et le bénéfice de la franchise, il y a dans la lâcheté une préméditation et une méthode - un système pourrait-on dire - qui révèlent à la fois les tares et les dangers du vice. Plus encore que la lâcheté qui est effacement d'excessive prudence, retraite voulue en face de dangers redoutés, est avilissante et constitue un amoindrissement de la personnalité, cette lâcheté active -­ qui imprègne tout l'être moral - par laquelle certains ne reculent pas devant une infamie pour réussir, rampent pour atteindre à la fortune, se prosternent devant les grands quitte à se venger sur les humbles des bassesses que leur esprit d'intrigue ou leur servilisme leur fait commettre. Pire que la lâcheté du pauvre (que son ignorance, le défaut de cohésion avec ses pareils, le préjugé d'une sorte de fatalité de sa condition amènent à un acquiescement permanent à des formes manifestement iniques) est ce souple abandon, habile et circonstancié, de l'arriviste, de l'avide ou du dominateur qui supputent les avantages de leur servilité provisoire et monnaient par avance leur abaissement.

Généralement, couardise physique et lâcheté morale vont de pair. Elles enveloppent et pénètrent l'individualité, lui impriment le sceau du renoncement, l'écartent des actions viriles par lesquelles l'homme, au prix de souffrances souvent, se redresse et s'affirme. Dans l'atmosphère de la moralité courante, distante par tant de points de la moralité théorique, officielle, il flotte, en dépit d'une absolution de fait qui est une adhésion cynique à tout ce qui revêt les apparences de la force et se couvre des attributs du succès, une sorte de réprobation séculaire, un mépris latent pour la lâcheté. Parmi les humains qui admettent la situation de fait du parvenu et pressent la main de celui qui s'est traîné jusqu'au pinacle par ses abdications, ceux-là en qui toute dignité n'est pas obnubilée par les altérations d'un régime d'appétits, ressentent en sa présence le malaise qu'on éprouve au contact de la fourberie et le souvenir - indélébile - de déchéances échelonnées sur le parcours. Rares d'ailleurs sont les lâches qui revendiquent crûment la légitimité de leurs procédés et plastronnent avec ostentation de gloire, poussent le cynisme jusqu' à revêtir le manteau de Nessus de leurs trahisons...

« C'est une lâcheté que de trahir un parent, un ami, un bienfaiteur. Partout et toujours, c'est une lâcheté de faire ce que la raison condamne » (Senancour). Que de trahir quiconque, devrait-on dire, et de faire ce que réprouve le sentiment averti de justice, que de faillir à la loyauté. Plus odieuse si possible est la lâcheté qui s'abrite derrière l'anonymat pour atteindre ses visées. Sur la voie aux scrupules piétinés, n'est-il pas comme obligé que, dans un cortège renforcé de toutes les connivences, la cruauté aussi accompagne, en complice, la lâcheté? « Les lâches sont cruels » soulignait Voltaire... La lâcheté est un mal endémique qu'ont connu tous les temps et sur une échelle trop vaste :

« Je ne trouve partout que lâche flatterie

Qu'injustice, intérêt, trahison, fourberie » (Molière).

Les peuples, comme les individus, ont donné le spectacle de lâchetés séculaires. Esclaves, faux affranchis, fonctionnaires domestiqués, assemblées dociles ont fait à des tyrans parfois débiles l'offrande des volontés du, nombre et se sont inclinés sans combattre devant les arrêts du despotisme. La lâcheté favorise et renforce les institutions d'écrasement : sans elles s'effriteraient, impuissantes à vaincre, les dictatures dont la passivité multipliée des hommes assure le triomphe.

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Lâche signifie proprement : qui est insuffisamment tendu ou serré : une ceinture, un ventre, une étoffe sont lâches ; c'est aussi un affaiblissement caractéristique.

En botanique, le terme désigne des inflorescences écartées : ombelle lâche. La grappe du faux cytise est lâche. C'est aussi de la paresse, un fléchissement d'activité, de vigueur : quelqu'un de lâche au travail : « mener une vie obscure, lâche, inutile » (Massillon) ou (Fléchier) : « Sa retraite ne fut ni lâche, ni obscure »... En littérature, c'est un manque d'énergie, de concision, de fermeté condensée : « toutes ces expressions impropres, hasardées, lâches, négligées, employées seulement pour la rime, doivent être soigneusement bannies » (Voltaire). Dans les Beaux-arts, l'expression s'applique aux œuvres dont le trait est faible, le dessin hésitant, l'effet mou : « la gravure lâche alourdit, ôte la souplesse, et fatigue l'œil » (Diderot), etc.



- LANARQUE.



LACHETE

Pour manœuvrer le pantin populaire nos moralistes officiels usent de ficelles, pudiquement voilées par les philosophes universitaires en mal d'avancement, ainsi que par la presse dénommée de gauche et, cela va sans dire, par les écrivains qui font la cour à notre riche et dévote Académie, cette coquette sur le retour. Ce qui plaît aux chefs, ce qui favorise leur volonté de jouissance ou de puissance voilà le bien moral, d'après ces plats valets ; ce qui nuit à leur prestige, à leurs plaisirs, à leur ambition, voilà le mal. Par crainte d'effaroucher les esprits simplistes on évite d'énoncer ce principe essentiel de l'éthique gouvernementale, mais il inspire toutes les appréciations que l'on porte sur la personne ou la conduite des subordonnés. Actes, sentiments, idées, deviennent saints, justes, bons, dans la mesure où l'exige l'intérêt de ces messieurs du Gouvernement et de l'Eglise ; s'ils leur déplaisent ou les contrecarrent, bien vite on les porte sur le catalogue des vices ou des crimes. Parfois des contradictions éclatent, et des manières d'agir comme des états d'âme identiques sont qualifiés vertueux et coupables tout ensemble ; il suffit de les baptiser d'un nom différent pour que le public n'y voie rien et que les intellectuels eux-mêmes s'y laissent prendre. Pendant la guerre, quand les ministres fuyaient à Bordeaux ou que le Grand Quartier Général s'évitait tout bombardement, par accord tacite avec l'adversaire, c'était prudence disait-on ; mais l'on appelait lâche le déserteur à qui sa conscience interdisait de tuer d'autres hommes ses frères. Qu'un politicien abandonne ses idées pour parvenir, qu'un écrivain sacrifie, sans conviction, aux goûts de l'heure qu'un patron requière la force armée contre des ouvriers qui réclament un juste salaire, la presse n'a que sourires pour ces hommes dépourvus d'énergie, par contre elle accable qui ne se soumet aux caprices du maître, l'esprit assez indépendant pour dire : « Je n'obéirai pas ». Courage et vertu abritent depuis des siècles, sous leur manteau tutélaire, les pires orgies guerrières, les crimes innombrables de soudards déchaînés ; des fous inconscients du danger, des ambitieux sanguinaires sont proclamés héros par l'ignorance populaire. Artistes, historiens, prêtres, éducateurs magnifient la séquelle des conquérants illustres, des généraux fameux qui se firent un piédestal de milliers de cadavres humains. La lâcheté du troupeau qui se laisse conduire par de tels bergers s'appelle, au dire de nos moralistes, résignation sainte, discipline glorieuse, loyauté patriotique, comme la lâcheté des forts se dénomme prudence. Et les coupables sont les insoumis, les révoltés qui déclarent avec Lucifer « je ne servirai pas », oubliant que, selon saint Paul, toute autorité vient de Dieu. Avec les autres pères de l'Eglise, saint Augustin voyait encore dans l'esclavage un mal nécessaire, conseillant la soumission aux maîtres même injustes. Et l'on sait à quelle abdication immonde aboutit l'obéissance qui réduit le moine à n'être qu'un aveugle instrument dans la main de ses supérieurs.

Absence d'énergie volontaire, la lâcheté c'est le respect des lois iniques (la lâcheté par excellence est le respect des lois, disait Elisée Reclus), l'aplatissement devant les autorités civiles et religieuses, l'abdication des idées personnelles par intérêt ou par peur. Lâches, les prêtres (ils sont légion dans le haut clergé), qui vivent de l'autel sans croire ; lâches les savants, les écrivains, qui taisent la vérité ou propagent le mensonge, afin de ménager la clientèle riche et d'être reçus dans les salons ; lâches le juge, le patron, l'administrateur qui sacrifient l'innocent à des rancunes politiques ou religieuses ; lâches tous les pleutres riches, titrés, bien-pensants qui disent éternellement : « je n'ose » ; lâches doublement ces larbins de la presse gouvernementale qui encouragent le soldat à mourir, le père de famille à procréer, quand eux-mêmes sont à l'abri et restent célibataires. En voyant combien fréquente la veulerie parmi ceux qu'on dénomme intellectuels, on est conduit à penser que si la science est bonne elle ne suffit pas à rendre un homme supérieur. L'aristocratie de l'esprit, dont rêvent les partisans de l'Ecole Unique, vaudrait-elle mieux que les aristocraties actuelles? J'en doute. D'abord parce que sélectionnée par des concours et des examens, procédés absolument incapables de faire découvrir les cerveaux vraiment doués ; nous en avons des preuves quotidiennes. De plus, je ne crois pas que, prise seule, l'intelligence suffise. Dans un essai (Métrique Morale), j'ai longuement indiqué pourquoi, et depuis j'ai insisté dans maints articles sur cette idée « Savoir et talent ne valent que dans la mesure où ils permettent d'adoucir la souffrance humaine ; au service d'un égoïsme sans scrupule, ils deviennent les pires auxiliaires du crime ». L'acuité de l'esprit comme la richesse de la mémoire s'allient souvent à une ambition sans frein ou à une irrémédiable sécheresse du cœur. Les intelligences supérieures vont parfois fort loin dans la voie de l’iniquité, et les souffrances des peuples furent généralement le prix de la vanité satisfaite des grands. Malgré les plus belles qualités intellectuelles, ce sont des despotes en germe ceux que n'anime pas un large sentiment de fraternité humaine, ce sont des forts peut-être, mais tout disposés à brimer les faibles. Pour eux, l'autorité devient un commode moyen d'asservir et d'exploiter les masses. Elle est condamnable l'éloquence qui accuse des innocents ; il devient nocif le sociologue que réjouit la souffrance des humbles.

La science, bonne à condition d'être au service d'une volonté compatissante, devient un instrument de torture ou d'esclavage entre des mains expertes au crime. Choisit-on pour cuisinier un empoisonneur parce qu'il est chimiste émérite? L'intelligence d'un ministre ou sa culture étendue n'ajoute-t-elle pas au danger, quand il fait œuvre rétrograde. Ni l'éloquence, ni l'habileté, ne manquent habituellement aux hommes d'Etat, mais la simple honnêteté leur fait souvent défaut. L'exemple de l'ancienne Chine n'encourage pas davantage à tenir compte de la seule valeur intellectuelle ; malgré la difficulté des examens imposés aux mandarins de tous grades, l'administration fut plus mauvaise qu'ailleurs dans le Céleste Empire. Les meilleurs sont avant tout ceux qu'animent des sentiments généreux et humains. Une élite d'égoïstes habiles, cultivés, détenant les hautes situations et les postes de commandement, pourrait faire courir des dangers terribles au bonheur des humbles comme à la tranquillité du monde. Les exemples abondent de parvenus, enfants du peuple, qui furent les oppresseurs de leurs frères.

Et je m'élevais contre le mur de la vie privée qui dissimule légalement toutes les lâchetés de nos politiciens. « Celui qui n'aspire point à commander les autres n'a pas à subir leurs critiques : il a droit au silence et à la paix. Médisance et calomnie empoisonnent déjà trop d'existences pour qu'il soit utile d'accorder une prime à la délation. Mais, lorsqu'il s'agit d'un homme qui aspire à devenir l'arbitre de la destinés des autres, ce mur de la vie privée n'a plus de raison d'être. Quiconque a le droit d'être renseigné sur la moralité profonde du législateur ou du juge qui dispose des biens, de l'honneur, de la vie même de ses concitoyens. N'est-il pas inadmissible que les gouvernants, dont les moindres désirs ont des répercussions si redoutables, prétendent se soustraire au contrôle des faits et gestes les plus révélateurs de leur mentalité vraie? Et dire que tous les partis politiques s'accordent pour perpétuer cette sinistre farce! » Inutile d'ajouter que les bons apôtres de la Chambre et du Sénat sont trop adroits pour se soumettre à un contrôle permettant de mesurer leur degré d'hypocrisie. On sait que le monde politique est par excellence celui de la veulerie.

L'Eglise, toujours experte dans l'art d'utiliser les vices, a su tirer également un merveilleux parti de la lâcheté coutumière du bipède humain. Pour se faire obéir au doigt et à l'œil, elle fabriqua l'enfer, vaste rôtissoire, où le Dieu de Miséricorde s'occupe à cuire éternellement ses créatures mises à la broche. Quant au purgatoire d'où les prêtres vous tirent à volonté, il permet d'extorquer mille dons, mille aumônes des fidèles apeurés. Et c'est dans l'esprit incapable de critique, dans le cerveau tendre de l'enfant que l'on dépose ces monstrueuses insanités ; sans action sur l'homme réfléchi, elles s'impriment dans l'imagination horrifiée des jeunes et durent dans l'inconscient, prêtes à revenir aux instants de faiblesse ou à l'heure des dissolutions finales. En réclamant pour elle seule le droit d'enseigner, l'Eglise montre qu'elle ne s'illusionne pas sur la vraie raison d'être de son autorité. Quoiqu'elle dise aux dévotes, elle n'attend rien de Dieu ; elle attend tout de la déformation imprimée, dès la première heure, au cerveau des enfants que lui confient des parents insensés. Car la foi disparue, les dogmes mis en doute, elle sait qu'une peur instinctive persistera presque toujours chez celui qu'elle a façonné. Les néo-catholiques, si nombreux dans la bourgeoisie, la presse, l'Université, et qui détiennent le monopole des honneurs académiques, nous présentent la religion tout au moins comme une poésie respectable, qui soutient le faible et enchante l'âme du fort ; ils s'en tiennent à l'enseigne de la boutique et ne voient pas qu'elle est pleine de reptiles hideux. Au fond l'homme religieux n'est qu'un lâche ; Dieu règne par la peur ; le servilisme habite l'âme de l'immense majorité des croyants.



- L. BARBEDETTE.