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LATENT adj. (latin latens, de lateo, être caché on grec lêtho, lanthanô, de la racine sanscrite lud : couvrir, cacher)

Est latent, ce qui - existant déjà au moins dans ses causes - demeure caché et ne tombe pas sous les sens, ne se manifeste pas au dehors. Se dit particulièrement, en physique et en chimie, du calorique nécessaire à l'état d'un corps et qui ne devient appréciable au thermomètre que dans certaines circonstances : chaleur latente. Les corps gazeux abandonnent leur calorique latent lors de leur passage de l'état de vapeur à celui de liquide ; de même les liquides au moment de leur solidification... Souvent la maladie couve longtemps à l'état latent et se dérobe au diagnostic. Nous dédaignons les malaises précurseurs et les symptômes obscurs qui sont comme des mises en garde de la nature, et nous nous trouvons affaiblis et désarmés quand la crise éclate en coup de foudre. De même surgissent un jour brusquement les révolutions, dont le processus demeure invisible aux esprits superficiels et qui cheminaient ou paraissaient sommeiller, latentes, sous l'apparente adhésion au régime, une docilité de surface aux ordres des autorités : bien avant 1789, une désaffection latente s'était emparée du peuple et le détachait de la monarchie, le poussait confusément vers un affranchissement secrètement caressé...

Des calamités prochaines, des vices conséquents, des manifestations connexes sont latents dans des dispositions connues ; ils sont virtuellement réalisés sous certains états des esprits, des caractères ou des mœurs qui constituent leur terrain normal d'évolution et nous pourrions, ces derniers étant notoires et flagrants, discerner les signes avant-coureurs de maux, semble-t-il imprévisibles. « L'intolérance est toujours latente dans les passions et dans l'ignorance humaine » (C. Dolfus). Dans la lassitude des foules et leur dégoût résigné, dans la frivolité des temps et une tendance accrue aux jouissances faciles et vaines, dans un détachement des affaires publiques qui s'accompagne d'une sorte de fatalisme, l'observateur découvre sans peine le berceau d'une dictature latente qu'un événement soudain portera au jour, souveraine.

Au point de vue individuel, il serait utile de connaître désirs et aptitudes latentes de ceux qui nous entourent, comme aussi ceux de l'enfant. Malgré des variations résultant de la volonté, du milieu, de circonstances imprévisibles, « certains traits du caractère, des modes particuliers de penser comme de faire se retrouvent identiques à toutes les phases de l'existence. Amour du risque ou nonchalance, désintéressement ou besoin d'amasser, tendance à se réjouir comme à s'attrister sont perceptibles chez l'enfant au berceau ; ils demeurent chez le vieillard à cheveux blancs ». Mais ces aptitudes latentes, c'est à l'aide d'une méthode positive et d'une façon strictement scientifique, comme on le demandait dans Métrique Morale, qu'il faudrait les étudier. Or, nous voyons malheureusement qu'à l'exclusion de quelques chercheurs consciencieux, mais dont on parle peu, ce sont les charlatans officiels ou les farceurs de l'occultisme et de la théosophie qui exploitent cette branche de la psychologie.

Au point de vue historique et social, la notion de cause latente est très importante aujourd'hui. Les révolutions sont de deux sortes : les unes lentes, ainsi la diffusion du christianisme ; les autres brusques, ainsi la révolution de 1789 et, sous nos yeux, celle de Russie. Mais si l'on observe de près, on s'aperçoit que les révolutions d'apparence les plus brusques exigèrent une préparation latente. Point d'effet sans cause, cette formule reste vraie en histoire comme en physique. Les causes peuvent être souterraines, échapper à l'observation superficielle, et n'apparaître à la lumière que lorsque se manifestent les effets, comme dans la maladie ; d'où un caractère de brusquerie qui surprendra l'homme non prévenu. Assurément la température mentale ambiante, une occasion imprévue, parfois précipitent un mouvement et lui donnent une ampleur subite ; mais disons-nous que ce mouvement dut naître au préalable, grâce à quelques individus, et que rien n'arrive qu'une action au moins souterraine n'ait d'abord préparé.