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LEÇON (latin lectio, de legere, lire)

Le mot leçon comporte des sens multiples. Il désigne, en particulier ce qu'expose le professeur et ce qu'apprend l'élève :

D'une façon plus générale il s'applique à tout enseignement, bon ou mauvais, joyeux ou pénible, donné par l'expérience et les événements, aussi bien que par les hommes. Telle la poule qui devrait pondre au temps voulu, le professeur doit accoucher d'une ou plusieurs leçons chaque jour. Très rapidement il emmagasine dont un cours appris une fois pour toutes et le débite ensuite quotidiennement, par tranches, avec la fidélité d'un phonographe enregistreur. Après trente ans, pas un mot n'est changé dans les leçons très savantes des professeurs de nos grands lycées ou dans celles des prétendues lumières de nos facultés. La chose est plus commune qu'on ne le pense ; et les pères sont parfois surpris de constater une similitude absolue entre les cours dictés à leurs fils et ceux qu'on leur dicta. Les savantasses, au cerveau fossilisé, sont incapables de quitter la routine où l'habitude les englua. Il est vrai qu'en préparant leur agrégation, ils s'habituèrent uniquement à pondre à heure fixe, selon une couleur bon teint et d'après les immuables règles des écoles. Prétention et sottise érudite résument tout le contenu d'un grand nombre de leçons faites dans l'enseignement secondaire et supérieur. Sans arriver jusque-là, les leçons de certains instituteurs primaires ne valent malheureusement guère mieux. Ils veulent singer leurs collègues du lycée ou de la Sorbonne, et s'installent d'emblée à un niveau qui dépasse l'esprit de l'enfant. Au lieu de procéder inductivement et de remonter des faits aux idées, des applications aux principes, ils procèdent déductivement et se perdent dans des considérations abstraites qui ne disent rien à l'esprit de l'élève. Ces pédagogues, bourrés de formules et de grands mots, croiraient déchoir en abaissant leur majesté jusqu'à la simplicité enfantine. Et naturellement, à tous les degrés de l'échelle universitaire, ces leçons visent à renforcer les préjugés de l'époque et du pays. Ceux qui voudraient qu'on aère la vieille maison bâtie par Bonaparte (tel le groupement de La Fraternité Universitaire), peuvent s'attendre à une hostilité générale. Respecter la routine, faire ce qu'on faisait avant, ne point troubler le repos des maîtres de l'heure, voila l'immuable consigne des autorités académiques.

Mauvaises pour l'éducateur-phonographe, les leçons, telles qu'on les entend d'ordinaire, ne le sont pas moins pour l'élève (Voir éducation, enfant, pédagogie, etc.). Réduit au rôle de barrique où l'on verse sans répit les liquides les plus divers, le malheureux absorbe vers, prose, chiffres et nomenclatures. Une science expérimentale et attrayante comme la géographie deviendra un froid catalogue de noms propres. Car on songe pour lui aux diplômes, dont la conquête, but suprême de l'école, fait oublier la véritable instruction. Et l'on sait combien est tyrannique, surtout en France, la manie des parchemins, qui se succèdent, innombrables, du certificat d'études au doctorat et à l'agrégation. Sur un signal, il faudra donc que l'élève dévide le rouleau de son savoir machinalement, sans réflexion, peu importe ; dans ce genre d'exercice, l'audace et la faconde remplacent avantageusement la raison. Des heures entières se passeront à ronronner des leçons. Dans le primaire, l'enfant aura reçu du maître une nourriture intellectuelle mal digérée qu'à heure fixe il devra rendre. Au lycée, puis dans les universités, le jeune homme, transformé en machine à écrire, prendra textuellement un cours que, le jour de l'examen, il devra redire. Chacun sait que maints barbons universitaires se moquent des capacités réelles du sujet ou de son savoir vrai, mais se montrent impitoyables pour tout candidat qui s'écarte tant soit peu de ce qu'il leur plut de dire. En savoir trop ou apprendre d'une façon non réglementaire devient alors plus dangereux que de n'en savoir pas assez. Bien compris, les exercices de mémoire auraient pourtant leur utilité, comme seraient également utiles les exposés d'une question ou d'une doctrine par des hommes compétents, qui viseraient à faire comprendre et non à éblouir.

Bien au-dessus des leçons données dans les écoles, il faut placer celles que chacun de nous reçoit de l'expérience et de la vie. A l'époque bienheureuse de l'adolescence ; « pour cueillir les fruits d'or, entrevus dans des rêves enchantés, il suffit d'étendre la main à ce qu'il semble. Et l'on regarde avec quelque dédain le troupeau des malchanceux, des impuissants : une voix intérieure promet la victoire, garantit une carrière exempte des déboires fatals aux anciens ». Mais chez le grand nombre une dure expérience dissipe l'erreur avec brutalité. Les échecs succèdent aux échecs, l'un après l'autre s'évanouissent tous les espoirs ; chefs, camarades, prétendus amis, se révèlent vos adversaires, et la tâche professionnelle vous abrutit chaque jour un peu plus. Tirer de l'existence la leçon qu'elle comporte, voilà pour chacun la tâche urgente. Si la leçon est douloureuse ne perdons point notre temps en regrets inutiles : arrière le remords qui paralyse, il convient seulement aux timorés ou aux enfants. Une mer de larmes ne saurait rien changer à ce qui fut ; examinons le passé, non pour des pleurnicheries sans conséquence, mais pour préparer l'avenir. C'est une force de reconnaître sa propre faiblesse et la cause de nos échecs ou de nos malheurs. Point d'humilité soi-disant chrétienne, mais l'impartialité à l'égard de nous-mêmes comme à l'égard d'autrui. Et que la joie ou le succès ne détermine pas une fatale ivresse, génératrice d'un réveil cuisant. Il n'est ni possible, ni désirable de devenir insensible à tous les événements ; par contre une analyse objective, une critique impersonnelle de la situation doit rester notre base d'action. A ce point de vue l'expérience d'autrui peut aussi nous fournir de profitables leçons. Pourquoi s'obstiner sur les routes traditionnelles qui conduisent à des impasses manifestes ; pour qui sait réfléchir, l'histoire inflige un démenti aux doctrines religieuses et morales des peuples chrétiens ; elle montre aussi la vanité des espérances politiques qui bercent depuis quelque temps la misère humaine. Liberté et entraide apparaissent comme les éléments essentiels d’une fraternité qui se refuse à être une duperie, lorsqu'on examine l'expérience universelle des siècles.

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Rares furent les grands vulgarisateurs qui, du haut des chaires officielles, laissèrent tomber, au grand dam des préjugés l'assemblés, des leçons audacieuses et originales, mues par la sincérité et non par la mécanique. Les Michelet et les Quinet, au Collège de France, animaient leurs leçons d'un vivant esprit démocratique, là où l'enseignement traditionnel déroule de sèches et mornes sentences.

« Cette leçon vaut bien un fromage sans doute », fait dire La Fontaine au renard madré. Et il entend ainsi nous montrer le prix d'une expérience dont nous supportons les dépens. La vie nous donne, en effet, de cruelles et coûteuses leçons, mais l'adversité, comme l'exemple, sont rarement, pour les humains oublieux, des leçons profitables. Pour que leurs errements, comme les fautes d'autrui, comme les dures secousses du sort, leur servent de guides et les gardent dans l'avenir, il faut qu'intervienne un contrôle judicieux, dont la plupart ignore l'exercice. Seules les natures perspicaces et capables de balancer les aléas de leurs actes sont promptes à tirer parti des indications de l'expérience et d'apprécier les fruits des leçons rencontrées. Peut-on dire qu'au peuple trompé, pressuré, saigné à blanc, ont servi les leçons terribles de la guerre et qu'il a cessé ne se laisser conduire aux mêmes cataclysmes, où risque de sombrer l'humanité.

Les leçons qu'une culture basée sur la mnémotechnie prodigue à toutes les échelles de l'enseignement révèlent avec une insistance qui pourrait éclairer des esprits moins fermés aux leçons quotidiennes, à quel point la mémoire est incapable de supplier à l'intellection dans l'acquisition du savoir. Et il y a longtemps que Du Rozoir a dit (et la pratique scolaire en fait en vain jaillir l'évidence) que « dans les classes, les élèves qui apprennent le plus facilement par cœur leurs leçons ne sont pas toujours ceux qui ont l'intelligence la plus élevée ». Mais le maître, aussi bien que l'élève, est plus accoutumé à apprendre et à réciter des leçons qu'à mettre en jeu son jugement. Et la stérilité des leçons, leur impuissance à ouvrir l'esprit et à former le caractère ressortent avec force des habitudes mentales communes à la progéniture et à ses mentors et de la voie invariable dans laquelle piétine leur pauvre pensée répéteuse.