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LEGISLATEUR (TRICE) n. et adj. (latin legislator, de lex, legis, loi et fero, sup. latum, je porte)

Celui qui fait, qui porte, qui donne la loi à un peuple. Parmi les législateurs antiques, dont la gloire apporte jusqu'à nous les vertus souvent légendaires, rappelons : Osiris chez les Egyptiens, Moïse chez les Juifs, Zoroastre chez le peuple zend, Confucius chez les Chinois, Minos en Crète, Zaleucus chez les Locriens, Lycurgue à Lacédémone, Solon à Athènes, Romulus et Numa à Rome, etc. Plus près de nous les Justinien, les Mahomet, les Charlemagne, les Jaroslaf de Russie, Louis IX, Charles IV, Cromwell, Louis XIV, la Constituante, la Convention, Napoléon 1er sont regardés, à des titres divers, comme des législateurs dont l'histoire enregistre les noms pour la postérité... Ils ont tous, plus ou moins, invoqué la justice et prétendu l'introduire dans leurs œuvres. Un regard sur les tables qu'ils ont laissées montre la fragilité de telles espérances. Et il apparaît, à côté des contradictions sur le principe même de leurs actes, combien précaires, iniques, et finalement en désaccord avec les mœurs du temps ou le bien même des hommes, sont les règles que les arbitres des peuples - sages ou despotes - essaient de fixer dans le cadre rigide des lois...

On appelle aussi législateur : personne qui trace les règles d'une science, d'un art : le législateur du Parnasse. - N. m. Pouvoir public qui a mission de faire des lois. - La loi en général : le législateur a voulu que ... - Chacun des membres de ce pouvoir.

Quand la société est régie par la caste sacerdotale, la loi est proclamée au nom de Dieu. Dieu est le législateur par excellence, sa loi est éternelle et absolue. Nul ne peut la transgresser sans que la punition s'ensuive. Or, les actes mauvais et condamnés par la loi divine ont parfois des conséquences heureuses, bonnes pour le transgresseur. Il faut donc, de toute évidence que la justice soit rendue en d'autres lieux et époques que ceux où vit le jugé. D'où nécessité de créer un ciel et un enfer, corrigés d'ailleurs par un purgatoire. Nécessité également de donner à l'homme une âme immortelle, sur laquelle s'exercera la justice de Dieu, après la mort. Ce n'est pas par hasard que les religions appuient leur morale, leur loi sur un Dieu législateur, une âme éternelle qui reçoit la loi, obéit ou désobéit, appelle un monde adéquat où la justice distribue punitions ou récompenses. Tant que les hommes « croient » la règle, ne l'examinent pas, la domination du sacerdoce est assurée, l'ordre règne.

Mais l'examen est le propre de l'homme. Vient un moment où la règle est soumise à la critique. Pour empêcher cet examen, la crainte d'un lieu de souffrances éternelles n'est plus suffisante, la caste sacerdotale fait appel à la caste des guerriers. Le chef des guerriers, le Prince, sera législateur pour la société ; mais Prince de « droit divin », il est législateur de « droit divin ».

La loi est sauvegardée par la force. Tout examen est longtemps rendu impossible par l'inquisition. Il faut que des prêtres, des princes et des grands, gênés par la loi, l'attaquent eux-mêmes dans les principes, à savoir : la réalité du législateur, pour que le prince, oubliant sur quelles bases repose l'ordre social de son temps, puisse dire : l'Etat, c'est moi!

Quand la loi n'apparaît plus comme divine, quand le législateur n'est plus qu'un homme ou une caste, l'examen se donne libre cours ; on peut transgresser la loi - pourvu que le législateur ne le sache pas. Le mal n'est plus dans la désobéissance, mais dans la faiblesse du révolté. Tout est bien pourvu que l'on soit fort. Mais la force est par définition : changement, mouvement, l'ordre social est dès lors instable et les révolutions ne tardent pas à faire sentir aux sociétés la nécessité de changer la règle.

L'accession au pouvoir des classes bourgeoises nous donne une autre catégorie de législateurs. La loi est encore l'expression de la force de la classe possédante. Mais le législateur tient compte de l'esprit de libre-examen des classes pauvres ou prolétariennes. La force seule est trop instable et partant, l'ordre. La force est masquée de sophisme et s'appelle : suffrage universel, volonté générale, intérêt général, loi des majorités. Le législateur, roi constitutionnel, parlement, etc..., fait la loi, établit la règle au nom de la majorité des individus. Ainsi chacun est censé être son propre législateur et la loi doit représenter la volonté de celui qui lui doit obéissance. De ce fait, s'il en était réellement ainsi, l'ordre serait indestructible.

Et cependant, le législateur opère de telle manière que la démocratie connait aussi les révoltes et les révolutions. C'est que la somme des volontés particulières qui est censée donner la règle n'est pas du tout en accord avec la volonté de chaque particulier. D'autre part, la manière dont s'établit la loi, dont se délègue le pouvoir, la souveraineté, au législateur, met un obstacle absolument infranchissable à l'instauration de l'ordre social définitif (Voir Suffrage universel).

Ainsi : Théocratie, Royauté de droit divin, Démocratie, sont incapables de créer l'ordre par la loi. D'autres législateurs peuvent-ils obtenir ce résultat, ou la loi, l'autorité, ne sont-elles génératrices que de misère et de désordres? (Voir Loi, Autorité, Légalité, Législation, Justice, etc.)



- A. LAPEYRE.