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LEGITIME adj. (latin legitimus, de legis, loi)

Qui a les qualités, les conditions requises par la loi ; qui est fait conformément aux prescriptions des lois (voir loi). Ceux qui emploient ce terme y enferment souvent le sens de juste.

Chateaubriand dit : « Il n'y a point de pouvoir légitime sans liberté ». Il conçoit ainsi un pouvoir qui s'exerce seulement sur ceux qui l'acceptent librement. Or tout pouvoir s'impose à quelqu'un, au nom de quelqu'un ou de quelque chose. S'il y avait - pour celui à qui on impose quelque chose - réellement liberté, il n'y aurait pas de pouvoir, ou seulement, en l'occurrence, un emploi abusif du terme. D'ailleurs, liberté suppose connaissance et conscience. En présence de ces deux facteurs se dessine justement la contestation de la légitimité du pouvoir. La reconnaissance du pouvoir et l'appui qui lui est donné s'entourent seulement des apparences de la liberté. De telles confusions ne sont au fond possibles que parce qu'on assimile, à tort, la loi à la justice.

Quand Taine dit : « Nulle autorité n'est légitime que par le consentement du public », s'il prend le public en bloc il peut certes s'exprimer ainsi, à la condition d'ailleurs d'identifier lui aussi légale et légitime et d'accorder à l'autorité des vertus de fait, sinon un blanc-seing de droit. Mais s'il entend : les individus composant le public, cette assertion s'effrite à l'analyse. D'une part, Taine, comme Chateaubriand, se contente ici de la fausse harmonie de l'acquiescement passif qui revêt parfois les dehors du vouloir éclairé. Et consentement ne peut être justification. Il est d'autre part évident qu'il y aura toujours, en fait, une minorité pour ne pas accepter cette autorité et, en justice, des arguments pour la condamner, d'où il appert qu'il n'y a pas, sur le terrain de l'équité et de la raison, d'autorité légitime. Trop souvent nous voyons comme disait Lamartine, « les forfaits couronnés devenus légitimes ». La force est par excellence celle qui légitime, et les préjugés et la peur soutiennent son empire. Chateaubriand, Taine et tant d'autres auraient pu méditer cette pensée de Boiste : « C'est tuer la justice avec son glaive que de dire : ce qui est établi est légitime ; il n'y a de légitime que ce qui est juste »...

Légitime se dit de l'union conjugale consacrée par la loi, et des enfants qui naissent de cette union : mari, époux légitime, fils légitime (voir mariage, union libre, etc.).

On voit ici, ce que le « légitime » a à voir avec la raison, la logique ou la liberté, ou le libre consentement public. Un homme et une femme sont unis par leur amour et leur estime réciproques ; leur cerveau a les mêmes aspirations, leur chair appelle leur chair. Tout simplement, ils vivent l'un près de l'autre : leur union est illégitime.

Mais le bonhomme est vieux, usé, pourri de vices, esprit vil et cœur de pierre. Il a des « sous ». Elle, est jeune, belle, mais pauvre ; ou bien elle a des besoins que sa fortune ne lui permet pas de satisfaire. Pour ses « biens » elle épouse le vieux, accepte ses caresses, lui vend son corps et son geste d'amour. Seulement, elle a pris une garantie, elle s'est mariée ; elle a été se faire inscrire à la mairie. Elle n'est pas en carte, mais en livret, le livret de mariage. Sans cette inscription, elle n'est qu'une « fille de joie » et il n'est qu'un « vieux marcheur » ; leur union est illégitime et sévèrement jugée. Par contre, s'ils légalisent leur vie commune, leurs rapports fussent-ils monstrueux, disparate leur accouplement, leur liaison entachée de tares évidentes, leur union est légitime, la morale estompe leurs vices, la loi protège leurs « amours »...

Mais, du contact de ces deux êtres, des enfants sont nés. Pauvres petits êtres souvent indésirés que l'ignorance des parents a seule jetés dans la vie.

L'enfant de l'amour, appelé du fond de l'instinct, le fruit d'une tendresse réciproque, procréé dans les meilleures conditions de santé morale et physique : enfant illégitime, bâtard. Dès sa naissance, il est marqué au front : de père inconnu.

L'enfant du plus sordide marché, celui du deuxième couple, la société le reçoit avec tous les honneurs ; il est : l'entant légitime. Celui-ci a un père et il portera son nom. Comme si l'enfant, quelle que soit sa naissance, n'avait pas toujours un père et une mère! Vieux relents de christianisme qui empoisonnent encore le vingtième siècle...

De grands esprits, des penseurs généreux, ont proposé de rayer des lois « le péché originel » en faisant tous les enfants égaux et en leur donnant le nom de leur mère. Des cœurs se sont émus, d'autres se sont révoltés ; et contre la loi, en dehors des lois, la grande cause humaine de l'amour libre et de la libre maternité est partout entendue et sonnera bientôt le glas du mariage, cette prostitution officielle. Il n'y aura plus alors d'enfants légitimes ou illégitimes, mais des amants et des enfants aimés.

- Qui se fait régulièrement et naturellement : Tirer des conséquences légitimes des faits allégués ...

- Juste, permis, licite, fondé en raison : Une colère légitime, un légitime espoir.

Quand les dictionnaires, pour définir un mot, accolent : juste à : « permis, licite, fondé en raison », sans souligner l'abus du langage courant, on ne sait ce qu’il faut admirer le plus de leur manque d'esprit critique ou de leur servilisme vis-à-vis du pouvoir et des grands. En effet, si, en théorie, le licite, le permis, doit être toujours juste et fondé en raison, dans la pratique, ce qui est licite, permis, est toujours injuste envers quelqu'un, irraisonnable. Le prouvent d'ailleurs ces citations du Larousse :

Le temps souvent a rendu légitime

Ce qui semblait d'abord ne se pouvoir sans crime (Corneille).

Quiconque a pu franchir les bornes légitimes

Peut violer enfin les droits les plus sacrés (RACINE).

La vertu n'exclut point une ardeur légitime

Quel cœur est innocent si l'amour est un crime. (GRESSET).

- En politique : Se dit en France des princes de la famille des Bourbons, que leurs partisans - légitimistes - considèrent comme ayant droit au gouvernement de la France. Avec les Orléanistes et les Bonapartistes, les légitimistes parlent encore le vieux langage des siècles écoulés. Paix à leurs cendres!

- En jurisprudence : légitime défense, droit de se défendre contre un agresseur, sans égard aux conséquences qui peuvent en résulter pour ce dernier.

- Pathologie : Se dit des maladies qui suivent le cours normal, prévu dans les traités médicaux : fièvre légitime.

- Subst. masc. : Ce qui est légitime. « Dans les sociétés bien constituées, le légitime se confond avec le légal, et la loi locale avec la loi générale » (de Bonald). Dans les sociétés bien constituées, c'est le légal qui devrait se confondre avec le légitime, mais nous savons que jamais le légal ne peut être : le juste.

- Subst. fém. : Portion que la loi donne à certains héritiers présomptifs dans des biens qu'ils auraient recueillis en totalité, sans les dispositions faites par le défunt à leur préjudice : Légitime des descendants, des ascendants. Ce terme du vieux droit français n'est plus guère usité et est remplacé par : réserve.



- A. LAPEYRE