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LEONIN (INE) adj. (latin leoninus, de leo, lion)

Qui a rapport, qui appartient au lion, qui est de sa nature ou lui ressemble par quelque trait, par son caractère ou ses qualités : rugissements léonins ; tête, vigueur, mœurs léonines. En jurisprudence, signifie abusif, fondé sur le seul droit de la force. Se dit d'un partage, d'un marché où quelque stipulation réserve à une ou à plusieurs personnes favorisées la part du lion (allusion à l'apologie des animaux vivant en société avec le lion). Cette expression n'est guère usitée que dans les locutions : société léonine, contrat léonin, part léonine, que la clause ou les conditions visées soient formulées ou seulement tacites.

Ce sont justement ces acceptions qui nous incitent à nous étendre ici davantage. En effet, ce n'est pas seulement au point de vue individuel que se pratiquent dans la plupart des cas, les contrats, les marchés, les partages léonins, mais c'est encore au point de vue collectif. L'organisation actuelle de la société n'est-elle pas basée sur l'accaparement léonin des richesses de la terre par une classe d'individus aux dépens d'une autre classe?

C'est le contrat social qui est véritablement un contrat léonin. Tout le système de la propriété reposant sur l'exploitation de l'homme par l'homme s'apparente en son esprit avec, çà et là, des formes insidieuses, au raisonnement brutal du roi des animaux s'arrogeant, de par sa force, le droit à la proie la plus belle, au plus riche butin.

Il a donc fallu qu'à quelque moment, appuyés sur la ruse ou la brutalité, des hommes s'affublassent de la peau du lion pour persuader aux autres bêtes humaines qu'elles devaient s'incliner, trouver même équitable ce marché de maître à serviteur, un contrat de dupes. Mais à aucune époque les intéressés - esclaves, serfs, prolétaires - n'ont pu consentir en connaissance de cause et en toute liberté les conditions de travail et de vie qui comportent ce caractère léonin. Les nécessités vitales, compliquées de faiblesse et d'ignorance, l'absence d'une cohésion intelligente qui seule leur eût permis de résister à des empiètements tyranniques, leur ont fait à travers le temps une sorte d'obligation d'accepter des clauses qui consacrent leur infériorité. D'autre part la bourgeoisie, groupe social actuellement bénéficiaire de ce contrat, s'efforce d'en justifier l'existence, de l'abriter sous des principes moraux, de lui donner une armature légale inébranlable. Et c'est à en discuter la valeur, à en contester le principe, à en dénoncer l'arbitraire, à mettre en relief sa nocivité que visent les critiques socialistes, communistes, anarchistes.

Des utopistes ont opposé à ce système choquant par trop les principes les plus simples de liberté, d'égalité et de fraternité des systèmes plus en accord avec la justice sociale, sans parvenir à changer quoi que ce soit dans le désordre actuel des choses et dans le désaccord perpétuel des hommes entre eux. C'est qu'il est aussi difficile de faire admettre à un parasite, à un bénéficiaire de « l'ordre » social actuel, l'illégitimité de sa situation favorisée, qu'il est malaisé de faire lâcher prise au lion, campé sur son butin sanglant. Tout possédant, conscient ou non de la frustration qui est la base de son bien quand ce bien est le résultat du travail de ses semblables, défend ce bien férocement. L'accapareur, le profiteur, l'exploiteur, en un mot le voleur du bien d'autrui, s'appuyant sur « le Droit, la Légalité, la Justice », repousse tout raisonnement et se cramponne à son morceau de roi. Il crie « à la garde! » si on conteste le bien-fondé de ses prétentions à la propriété qu'une législation millénaire a habilement consacrées.

Avant la Révolution du Tiers-Etat, ce qu'avaient monopolisé Roi, Nobles, Clergé, était de toute évidence privilège et accaparement. Et la révolte des spoliés consignant dans les Droits de l'Homme une reprise solennelle, était venue à point pour remettre les choses en place. Cela le bourgeois, héritier de 89, l'admet. Mais nanti à son tour de ce qui fut justement arraché à l'Ancien Régime, il n'admet pas qu'on lui dise aujourd'hui que sa classe doit rendre aussi ce qui ne lui appartient pas. Il ne veut pas croire (ou il feint d'ignorer) que la fortune acquise l'est toujours aux dépens du pauvre et que nul ne peut jouir de l'oisiveté sans que ce soit aux frais des besogneux.

Les « Lions » de la société actuelle devront tôt ou tard, bon gré mal gré, se rendre à l'évidence et accepter la résiliation du contrat léonin dont ils bénéficient. Les autres animaux que sont les producteurs exploités ne seront pas toujours obtus et résignés... Déjà, n'ont-ils pas osé discuter leur état. Il ne faudra qu'un sursaut de révolte collective comme en sont capables les travailleurs quand ils sont organisés et qu'ils ne suivent pas de mauvais bergers, pour arracher le contrat, le détruire et imposer une forme nouvelle de société basée sur la production équitablement organisée pour les besoins de tous.



- G. Y.