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LEVIER n. m. (rad. lever)

La valeur du travail étant égale au produit de la force par le déplacement, on a cherché, à l'aide de machines simples, à transmettre l'action des forces de manière à rendre le travail plus aisé. Le levier, qui suppose essentiellement un point d'appui, une puissance et une résistance, est la principale de ces machines simples. On en distingue de trois genres, selon la disposition des éléments. Son importance est considérable en mécanique, qu'il s'agisse d'appareils primitifs ou d'appareils très compliqués ; les organismes vivants comportent eux aussi tout un ensemble de leviers.

Du domaine physique, le terme levier est passé dans le domaine moral où il désigne l'adjuvant fondamental, le ressort essentiel d'une entreprise ou d'une affaire....

On connaît l'exhortation fameuse de Danton : « Quoi! Vous avez une nation entière pour levier, la raison pour point d'appui, et vous n'avez pas encore soulevé le monde? » L'inspiration, l'enthousiasme le sentiment, sont les puissants leviers des œuvres d'art et des actions généreuses : talents et vertus y trouvent, avec l'élan, des possibilités de réalisation et une puissance de pénétration multipliées... Ceux-là qui virent les jours naissants de la démocratie, et mirent en elles d'ardentes et loyales espérances, seraient aujourd'hui navrés de ses déviations et de ses chutes, du ravalement de son idéal à un étal grouillant d'affaires et d'exhibitions vaniteuses. Ils y verraient le peuple, levier primaire et qui devait sortir grandi, magnifié par son effort, redevenu l'inconscient pavois de castes nouvelles. Ils rediraient avec quelque mélancolie la proclamation, riche de promesses, mais qu'un demi-siècle a suffi pour jeter au tombeau, d'Anatole de La Forge : « La démocratie que nous servons n'a qu'un levier, le travail ; qu'un but, la liberté ». Ils trouveraient, sur le travail toujours enchaîné, la jouissance triomphante du parasite, encore roi!

La presse est devenue à notre époque le levier permettant de soulever l'opinion ; et ce levier malheureusement est réservé, dans l'ensemble, aux entreprises de réaction. L'église, l'école, les divers moyens de diffusion de la pensée en sont d'autres, aux mains de nos adversaires. Car l'or est devenu l'objet des convoitises universelles, et ceux qui le possèdent en abondance sont les vrais maîtres du monde contemporain. La chose est manifeste en Amérique où le confort matériel et la religiosité de mode cachent mal la royauté des milliardaires ; elle n'est pas moins certaine en Europe où elle se colore de patriotisme, de moralité et de mille prétextes inventés par les larbins des puissants. Aucun des leviers du monde actuel n'est entre les mains d'esprits libérés ; ces derniers n'ont pour eux que la justice et la vérité, choses de peu de valeur aux yeux de nos potentats, mais qui possèdent assez de force latente espérons-le, pour vaincre les tortionnaires du genre humain dans un avenir lointain ou proche.