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LIBELLE n. m. latin libellus ; diminutif de liber, livre

On appelle ainsi un petit écrit, injurieux et diffamatoire. Cette caractéristique le distingue du pamphlet (voir ce mot) dont il n'a ni le désintéressement, ni l'envergure. Le libelle est toujours dirigé contre les personnes dont il attaque la vie privée, et il vise au scandale et à la déconsidération. Les Romains lui donnaient déjà ce sens que notre langue a conservé : il continue en effet à être pris en mauvaise part, et les qualités littéraires dont il peut s'orner, sa valeur satirique ne changent rien à son caractère et à la réprobation qui, d'ordinaire, l'accompagne. « Ce mot, dit Ch. Nodier, a un peu varié depuis le latin, où il signifiait communément petit écrit ; le libellus famosus, de Suétone ne signifie proprement qu’ « une brochure qui a fait du bruit ». Tous les petits écrits ne sont pas essentiellement méchants et tous les écrits méchants ne sont pas essentiellement petits... Ces mots : « un gros libelle », qu'on a souvent occasion d'employer, sont un solécisme étymologique, mais bien consacré par la langue »...

Depuis longtemps, les écrivains courageux et propres ont fustigé les faiseurs de libelles. Voltaire disait :

« La vie d'un forçat est préférable à celle d'un faiseur de libelles ; car l'un peut avoir été injustement condamné aux galères, et l'autre les mérite ». Benjamin Constant voyait leur multiplication dans la condition de servitude où était tenue la presse. « C'est l'esclavage de la presse qui produit les libelles et qui assure leur succès », écrivait-il. Et encore : « Plus on aime la liberté de la presse, plus on méprise les libellistes »...

Mais l'amour-propre irritable des écrivains leur faisait assimiler parfois à la légère aux libellistes des critiques malins qui, lançant ouvertement leurs pointes, ne fuyaient pas la discussion, favorisaient même la riposte. D'autre part, les compressions de la pensée, plus pénibles encore sous l'ancien régime, et qui obligeaient à se cacher les écrivains audacieux, provoquaient ces aigres élans, exacerbés dans la concentration. Et l'atmosphère expliquait le pullulement du libelle si elle ne justifiait pas ses moyens. Le clergé n'était pas le dernier à user de ses flèches et le P. Garasse est demeuré le type des libellistes cléricaux...

Les législations antiques poursuivaient les libelles avec sévérité. La loi des Douze-Tables à Rome, les assimilait aux délits punissables des derniers supplices. Tibère en fit un crime de lèse-majesté... Avant la Révolution, en France, des peines sévères atteignaient les libelles. Un édit de 1561 proclame : « Voulons que tous imprimeurs, semeurs et vendeurs de placards et libelles diffamatoires soient punis pour la première fois du fouet et pour la seconde fois de la vie ». Les libelles, néanmoins, foisonnaient à cette époque et leur vogue s'étendit jusqu'à la fin de la Fronde. Citons, comme exemples de châtiments infligés, celui qui frappa Chavigny, auteur du Cochon mitré, libelle dirigé en 1689, contre l'archevêque Le Tellier : arrêté, il fut, pendant trente ans, enfermé au mont Saint-Michel dans une cage de fer. En 1694, un imprimeur et un relieur furent pendus en place de Grève pour avoir imprimé et vulgarisé des libelles contre Louis XIV à l'occasion de son mariage avec Mme de Maintenon. Le XVIIIème siècle eut aussi de nombreux auteurs de libelles, malgré les lettres de cachets et la rigueur des lois. Les Fréron, les La Baumelle, les Linguet lui donnèrent même par leur talent une certaine célébrité. De nos jours, le libelle est passible des peines prévues pour la diffamation. Dans une humanité où l'hostilité et l'entredéchirement n'ont pas cessé d'illustrer les mœurs le libelle a la vie dure, comme la calomnie elle-même. L'envie, la haine, les passions, l'esprit de dénigrement, les rivalités et les rancunes politiques y cherchent toujours leur assouvissement. Et l'anonymat dont il use le plus souvent, s'il sert sa méchanceté et favorise ses desseins, ne grandit pas le libelle, arme perfide.

La théologie appelait libelles des martyrs, la requête par laquelle des martyrs, ayant souffert pour leur foi, suppliaient l'évêque de remettre au pécheur une partie de la peine qu'il devait subir. Par libelles, elle désignait aussi les certificats, attestant qu'ils avaient sacrifié aux dieux, à l'aide desquels certains chrétiens se mettaient à l'abri des persécutions. Ce nom s'étend aux ouvrages hérétiques écrits sur quelque matière relative à la foi catholique : libelle d'Arius, de Pélage, etc. Il s'applique même à tout acte, signifié par écrit, en matière ecclésiastique : libelle d'excommunication, d'absolution, de pénitence, etc.

En jurisprudence, le droit ancien donnait à libelle le sens de requête, de signification. On disait libelle de fidélité, serment écrit de fidélité ; libelle de proclamation : action intentée en justice pour obtenir réparation ; libelle de divorce, dans les pays de droit romain, pour l'acte par lequel un époux annonçait à l'autre son intention de divorcer, etc.



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