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LIBERALISME n. m. (du latin liberalis)

Idées généreuses, tendance bienveillante au bonheur de toutes les classes de la société ; doctrine favorable aux libertés politiques, ensemble des opinions libérales, attachement aux idées libérales. « Les souverains sont persuadés que le libéralisme est un masque pour conspirer contre les autorités légitimes » (FOURIER). Ensemble de ceux qui professent des idées libérales : « Le libéralisme fera un pas et arrivera à la démocratie ».

Le libéral - à l'origine - était celui qui réclamait le progrès par la liberté et s'opposait à l'autorité plus ou moins absolue de la Royauté ou de l'Eglise.

Après la lassitude et l'épuisement qui suivirent la grande tourmente révolutionnaire et ramenèrent le despotisme de l'Empire, les principes de liberté proclamés en 1789, appliqués et suspendus alternativement pendant la Révolution, avaient disparu de la vie nationale. Eteinte la grande voix des précurseurs de la fin du siècle passé, noyées dans le sang les énergies créatrices qu'avait galvanisées une période de dévouement sans exemple à la cause du bien public, subjugués sous la crainte les esprits libres survivants, les publicistes rivés au silence, il fallut la chute de l'Empire pour délivrer les forces de liberté terrées ou assoupies et rendre son cours au grand mouvement qui avait tenté d'affranchir le monde et sur lequel un homme avait traîné ses bottes malfaisantes de conquérant...

Le parti libéral acquit toute son importance dans la première moitié du XIXème siècle, quand la Restauration ramena en France l'ancienne noblesse, avide de pouvoir, de richesses et de vengeance.

« La nation, qui se sentait jeune et forte, lutta courageusement contre ceux qui voulaient l'envelopper dans les haillons d'un régime décrépit. En face du parti théocratique et féodal de la cour, on vit s'élever un parti qui prit pour devise la liberté et reçut de ses ennemis mêmes le nom de libéralisme » (Lachàtre). Chansons d'abord, épigrammes, sociétés secrètes, inspirées du « carbonarisme » italien, courant d'opinion alimenté intellectuellement par les philosophes et les historiens sympathiques (les Guizot, les Villemain, les Cousin), lutte ouverte à la Chambre même contre le parti du pouvoir, telles furent les multiples formes de l'activité du nouveau parti. Guidés par des chefs valeureux, savants, éloquents, s'exprimant du haut des tribunes et par l'organe d'une presse brillante et combative, les libéraux furent le parti qui sut acquérir le plus de prestige et sauver quelques parcelles du patrimoine si meurtri de la Révolution.

Ils n'avaient que 6 députés à la Chambre de 1815, mais leur action s'appuyait sur la bourgeoisie commerçante et industrielle, et sur le peuple cherchant encore sa voix vers la liberté et l'égalité économique. Les ordonnances du 5 septembre 1816, brisèrent la Chambre ardente, d'où une nouvelle loi électorale plus large. Les chefs de l'opposition prennent alors le titre d' « indépendants ». Ce sont : Le général Foy, qui avait servi sous l'Empire ; Benjamin Constant ; La Fayette, le père du libéralisme ; Dupont de l'Eure ; Casimir Périer ; Emile Jordan ; Royer-Collard ; le banquier Laffitte, etc.

De brillants avocats (Dupin, Mauguin, Barthe, Berville, etc.) défendaient avec éclat les causes politiques. Des brochures véhiculaient les théories que les journaux, enchaînés par la censure, n'osaient imprimer. On revenait aux philosophes du XVIIIème siècle, on publiait de nouveau leurs œuvres. Pamphlets, livres, publications frondeuses trouvaient leur chemin dans un terrain propice. Le passage, après la mort de Louis XVIII, des rênes de l'Etat aux mains des ultra-royalistes, travaillés de leur côté par la Congrégation, accrut la popularité de l'opposition et précipita ses progrès. Déjà, à la Chambre, où ses forces grandissaient, le libéralisme s'appuyait sur des fractions influentes de la bourgeoisie et de la banque. La presse, le barreau, des hommes remuants des professions libérales et du monde des affaires, une jeunesse ardente, soutenaient activement ses campagnes.

Les chefs du parti libéral sentirent bientôt que, prises aux espérances de leurs diatribes enflammées, attirées dans le remous de leur mouvement passionné, des masses impatientes, agitées par des revendications inattendues, menaçaient de les entraîner au-delà de leurs buts modérés. Leurs aspirations n'avaient rien de révolutionnaire et un Martignac put un instant canaliser leurs vœux dans les cadres de la dynastie régnante. Une monarchie mitigée de libéralisme et faisant à la bourgeoisie sa part d'influence eût satisfait des intérêts qui redoutaient les perturbations des grandes vagues populaires. Leurs troupes cependant, accentuant, dépassant la portée d'une opposition parlementaire déjà vigoureuse, avancèrent leur évolution. Le libéralisme trouva dans le peuple un élément de victoire définitive aux « trois glorieuses de 1830 ». Les libéraux furent maîtres du pouvoir...

Ils y devinrent ce que leur position fait invariablement de ceux qui règnent sur les peuples. « Ils renièrent leur passé et, comme ils devaient à leur tour profiter des abus, ils mirent toute leur adresse à les maintenir ». Majorité, les opposants d'hier devinrent les pires conservateurs. Ils reprirent le sillage de la Restauration, écartant et frappant ceux qui réclamaient le prix de quinze ans de lutte et des sacrifices de juillet appuyant de leurs lois et de leur propagande l'état de choses établi. C'est l'heure où le socialisme élabore ses théories sociales, s'attaquant à la base même de l'ordre : la propriété individuelle. Et les masses déçues reporteront vers lui leurs espoirs...

Les économistes libéraux, dans tous leurs ouvrages d'Economie Politique, s'appliquent à disqualifier le socialisme, à soutenir le bien-fondé de l'ordre actuel.

« Sa doctrine (Ecole libérale) est fort simple et peut se résumer de la façon suivante :

Les sociétés humaines sont gouvernées par des lois naturelles que nous ne pourrions point changer, quand même nous le voudrions, parce que ce n'est pas nous qui les avons faites, et que du reste nous n'avons point intérêt à modifier, quand même nous le pourrions, parce qu'elles sont bonnes ou du moins les meilleures possibles. Le rôle de l'économiste se borne à découvrir le jeu de ces lois naturelles et le rôle des hommes et des gouvernements est de s’appliquer à régler leur conduite d'après elle.

Ces lois ne sont point contraires à la liberté humaine : elles sont au contraire l'expression de rapports qui s'établissent spontanément entre les hommes vivant en société, partout où ces hommes sont laissés à eux-mêmes et libres d'agir suivant leurs intérêts. En ce cas il s'établit entre ces intérêts individuels, antagoniques en apparence, une harmonie qui constitue précisément l'ordre naturel et qui est de beaucoup supérieure à toute combinaison artificielle que l'on pourrait imaginer.

Le rôle du législateur, s'il veut assurer l'ordre social et le progrès, se borne donc à développer autant que possible ces initiatives individuelles, à écarter tout ce qui pourrait les gêner, à les empêcher de se porter préjudice les unes aux autres, et par conséquent l'intervention de l'autorité doit se réduire à ce minimum indispensable à la sécurité de chacun et à la sécurité de tous, en un mot à laisser-faire » Ch. GIDE (Ec. Pol.).

La Révolution de 1789 avait brisé le servage et le pouvoir absolu des rois. Elle avait donné tout ce qu'elle pouvait donner. Les principes qu’elle avait jetés de par le monde pouvaient germer, la Révolution leur demeurerait étrangère. Le peuple avait cru trouver plus de liberté, plus de bien-être, plus d'égalité ; or, cela s’était traduit dans les faits par la liberté absolue d'exploitation, par l'enrichissement rapide de la bourgeoisie, par la naissance d'un prolétariat miséreux moralement et matériellement.

Les grands courants qui avaient soulevé le peuple, socialistes dans leur essence, étaient déjà bien indiqués dans la conspiration de Babeuf.

« Une réforme est toujours un compromis avec le passé, elle se borne à le modifier plus ou moins ; tandis qu'une révolution plante toujours un jalon pour l'avenir : si petit qu'il soit, le progrès accompli par la voie révolutionnaire est une promesse d'autre progrès. L'une se retourne en arrière, l'autre regarde en avant et dépasse son siècle. Toute l'histoire est là pour le prouver, et c'est précisément ce qui arriva lors de la Révolution de 1789-93.

Si bourgeoise que fut cette révolution quant à ses résultats, c'est elle qui féconda le germe du communisme et de l'Anarchie au sein de la société moderne. Ceux qui veulent nous faire croire aujourd'hui que la Révolution n'avait d'autre but que d'abolir les derniers vestiges du féodalisme et de restreindre l'autorité royale, font preuve d'ignorance ou de mauvaise foi. Un peuple entier ne se soulève pas pour si peu de chose : il ne se met pas en révolte ouverte pendant quatre ans, avec le seul but d'abolir une institution moribonde ou de changer de gouvernement. Pour qu'une révolution aussi considérable que celle du siècle passé vienne à éclater, il faut qu'un flot d'idées nouvelles circule dans les masses, qu'un monde nouveau se dessine dans les esprits, basé sur des rapports nouveaux, une morale nouvelle, une vie nouvelle » (P. KROPOTKINE : Un siècle d'attente).

Avec Robert Owen, Fourier, Saint-Simon, etc., le socialisme s'inscrit en lettres d'or au fronton du XIXème siècle (Voir Familistère). Les libéraux au pouvoir, maintiennent le suffrage restreint, s'essayent à consolider l'œuvre de la Révolution bourgeoise. Mais le peuple conscient de la duperie du nouvel ordre social, affirme de plus en plus son désir de justice distributive des richesses et de la liberté ; il se soulève en 1848 et chasse Louis-Philippe, roi libéral.

Un instant débordés, les libéraux se reprennent, font alliance avec la réaction et les Jésuites, et en juin massacrent les ouvriers parisiens, qui demandaient du pain, les ateliers nationaux venant d'être fermés par ordre du gouvernement libéral. Le général Cavaignac « républicain libéral », dont la mère était pénitente du Jésuite fameux, le R. P. de Ravignan, se chargea de cette odieuse répression.

A genoux devant l'Empire, les libéraux n'acceptèrent la République que lorsqu'ils furent assurés que leurs privilèges ne seraient pas touchés. C'est eux, avec Thiers, de sinistre mémoire, qui écrasèrent la Commune, en 1871, et massacrèrent 35.000 hommes, femmes et enfants.

Harcelés par les diverses écoles socialistes, syndicalistes et anarchistes, les libéraux ne se distinguent plus des autres écoles de conservation sociale. Le temps a passé d'ailleurs des solutions ambiguës du libéralisme. Les préoccupations superficielles des monarchies constitutionnelles, voire des républiques démocratiques, aux retours décevants, les aspirations politiques, même teintées de socialisme utopique, se sont, dans le sang vain des émeutes et les tentatives avortées révélées insuffisantes. La générosité du sentiment, jugulée par la hiérarchie tenace des conditions, s'est avérée impuissante à asseoir, par ses propres moyens, l'équité au conseil des peuples. Un souci plus profond, davantage averti - au contact de l'industrialisme - des maux qui rongent la société, va porter vers l'économie sociale l'attention des philosophes et des économistes. Et la sociologie fera ses premières études, sondera les causes du déséquilibre général, lancera ses premiers manifestes, proposera aux penseurs désintéressés et aux victimes permanentes du travail, la révision des valeurs sociales et le bouleversement d'une économie faussée à la base... Le libéralisme appartient au passé incapable et timide : il n'a plus qu'à mourir!

« Tout a été essayé, et tout a échoué dit Kropotkine dans Un siècle d'attente. C'est alors que renaît dans les esprits cette philosophie du XVIIIème siècle - germée dans les masses, énoncées par les penseurs anglais et français, essayée dans ses ébauches d'application par la France de 1793 - et qui, se développant depuis, s'élargissant, gagnant en profondeur, s'appelle aujourd'hui le communisme anarchiste.

Ses principes sont bien simples : - Ne cherchez pas à baser votre bien-être et votre liberté sur la domination d'autrui ; en maîtrisant les autres, vous ne serez jamais libre vous-mêmes. Augmentez vos forces productives en étudiant la nature : ses forces mises au service de l'homme sont mille fois supérieures à celles de toute l'espèce humaine. Affranchissez l'individu ; car, sans la liberté de l'individu, il n'est point de société libre. N'ayez confiance, pour vous émanciper, en aucune aide spirituelle ou temporelle : aidez-vous vous-mêmes. Et, pour y arriver, débarrassez-vous au plus tôt de tous vos préjugés religieux et politiques. Soyez hommes libres, et ayez confiance en la nature de l'homme libre : ses plus grands vices lui viennent du pouvoir qu’il exerce sur ses semblables ou du pouvoir qu'il subit ».

L'Etat, qu'il soit de « droit divin » ou issu des majorités, est toujours le mécanisme d'oppression de la classe possédante. Il n'a d'autre but que de garantir l'exploitation des richesses et des individus par ceux qui se sont approprié le sol et les instruments de travail.

La liberté du pauvre, du prolétaire, n'est que la liberté de crever de faim. L'égalité devant la loi n'est que la puissance policière et armée au service des possédants, ceux-ci faisant seuls les lois.

L'économie politique (V. Leroy-Beaulieu, Bastiat, etc.) étudiait les phénomènes de la production des richesses et de leur répartition en partant de ces prémisses « libérales » que cela est de droit naturel, que cela est très bien, et qu'il n'y a qu'à « laisser-faire » ; devant l'absurdité de ces méthodes et le néant des résultats devant le paupérisme moral et matériel persistant la science sociale est née, qui ne se contente pas d'étudier les phénomènes sociaux, mais qui en dénonce les erreurs et propose une nouvelle économie plus rationnelle, plus humaine, tendant à réaliser les aspirations vers le bonheur, qui propulsent l'effort des individus.

Contre le nationalisme des libéraux, la science sociale dresse l'internationalisme, l'antipatriotisme, faisant ainsi disparaître les guerres et annulant la grande dispute des « protectionnistes et libre-échangistes ». Face à l'appropriation individuelle du sol et des instruments de travail, source de privilège et d'oppression, elle propose l'appropriation collective du sol et des instruments de travail, laissant au producteur la libre disposition de ses produits. A la réglementation politique des nations, à l'Etat, elle entend substituer le libre contrat des individus, l'association. Enfin, aux vieilles métaphysiques, elle oppose la libre recherche des cerveaux dans tous les domaines : la science.

« La civilisation qui naquit en Europe après la chute des civilisations imprégnées du despotisme asiatique, a mis quinze cents ans pour se débarrasser des entraves que l'Orient lui a laissées.

Non seulement elle eut à repousser les invasions armées de l'Orient, à arrêter le flot des Huns, des Mongols, des Turcs et des Arabes qui envahissaient ses plaines et ses presqu'îles, elle eut aussi à combattre les conceptions politiques de l'Orient, sa philosophie, sa religion. Et, dès qu'elle commença à s'en affranchir, elle créa d'un bloc cette science moderne qui lui permit en un siècle de changer la face du monde, de centupler ses forces, de trouver la richesse dans le sol, de contempler l'univers sans crainte. Elle a brûlé les fétiches importés de l'Orient : Dieu, gouvernement, propriété privée, loi imposée, morale extérieure. La pensée affranchie ne les reconnaît plus.

Reste maintenant à les brûler en réalité, après les avoir brûlés en effigie. Reste à démolir cet échafaudage qui étouffait la pensée, qui empêche encore l'homme de marcher à la liberté. Et ce problème, l'histoire nous l'a imposé, nous, hommes de la fin du XIXème siècle.

Les siècles ont travaillé pour nous. Forts de leur expérience, nous pouvons, nous devons, nous montrer à la hauteur de notre tâche historique » (Kropotkine, op. c.).



- A. LAPEYRE