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LICENCE

« D'accord avec vous - me disait un jour un bourgeois libéral et sympathique - la liberté, toute la liberté, mais pas la licence ». Mais vous vous gardiez bien ô bourgeois sympathique et libéral, de définir ce que vous entendez par « liberté » ; et quelle signification vous donnez à « licence »!... Je n'ignore pas malgré votre silence, les allures et les démarches de « votre » liberté : on peut se promener avec elle sans crainte de se faire remarquer ni risquer de se taire taxer de ridicule. « Votre » liberté est une personne bien élevée, qui jouit de ressources avouables, qu'on emmène avec soi en visite, qui ne dit mot avant qu'on l'ait priée de parler et qui justifie si bien qu'on puisse se passer de gendarmes, de garde-chiourmes et de bourreaux que, dans les derniers salons où l'on cause, l'autorité est la première à lui offrir une tasse de thé. « Votre » liberté est comme « votre » anarchie : à l’usage des honnêtes gens et des gens comme il faut. L'essence de « ma » liberté, c'est justement la « licence », autrement dit tout ce qui, dans la liberté, vaut la peine d'être vécu, car somme toute - pour m'en tenir à la définition de « vos » dictionnaires - ce n'est point être libre que de n'user que « modérément » d'une faculté concédée, que d'être astreint à une conduite « réglée », que de se contraindre à des paroles et à une conduite « convenables ». L'autorité est toute disposée à me « concéder » tout cela et même quelquefois un peu plus. « Ma » liberté implique la faculté d'user immodérément des « droits » que j'arrache, d'avoir une conduite « irréglée », de parler et d'écrire de façon « inconvenante » et de me comporter de-même. Etant entendu que je n'entends point, isolé ou associé, me ou nous imposer à autrui, autrement dit amener autrui à faire comme je le fais, comme nous le faisons, à nos risques et périls, si cela ne lui agrée point.

Si nous passions contrat pour habiter sous le même toit, sur le même terrain, temporairement ou durablement, dans une maison commune, dans une colonie, par exemple, réunissant plusieurs groupes, ce serait à la condition sine qua non que personne n'intervînt dans la salle, la partie du logement ou la parcelle de terrain occupée par nous, pour entraver ou critiquer notre façon « licencieuse » de vivre notre vie « en liberté ». Sinon, je me sentirais, nous nous sentirions aussi esclaves que dans le milieu dont nous voulons nous évader, justement parce qu'il veut émasculer la liberté en en éliminant la licence, c'est-à-dire selon notre définition, l'élément dynamique, virilisateur. Et ces dernières lignes pour jeter un peu de clarté sur l'éthique de l'associationnisme tel que le comprennent les individualistes anarchistes.



- E. ARMAND