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LIMITE n. f. (lat. limes, limitis, chemin de traverse, puis lisière, frontière de limus, oblique)

Tout ce qui borne, tout ce qui marque la fin, le point extrême d’une activité, d’un sentiment, d'une pensée, d'une action, d'une influence, tout ce qu'on ne peut dépasser, dans un domaine quelconque, s'appelle limite. D'où les innombrables sens attachés à ce mot et son emploi continuel dans le langage courant, et dans la politique, les sciences, etc. (ligne commune, démarcation entre deux Etats, deux propriétés, deux zones, etc... ; en mathématiques : grandeur limite, méthode des limites, en algèbre : limite des racines d'une équation, en arithmétique : limites d'un problème, en astronomie : points limites, etc.). Il est des limites qui semblent imposées par la nature ; ni le corps, ni l’esprit, ne sont capables d’un effort continu, d'une tension que ne coupe aucun repos ; la vie si longue soit-elle comporte des limites ; il n’est pas jusqu'à la joie qu'une possession trop prolongée ne transforme en ennui. Notre science a des limites et encore très rapprochées malheureusement ; de même notre puissance d'action. Mais comme disait Mme Neck, « les limites des sciences sont comme l’horizon, plus on en approche, plus elles reculent ». Dans le domaine de la pensée et de l'examen critique des choses, nos moyens sont les seules limites dont nous ne connaissions la légitimité. Pour nous, « la raison n'est pas la raison quand on lui impose des limites » (T. Delord).

Cependant, aux limites que nous oppose la nature, la société en ajoute d'autres innombrables ; la masse des lois n'est dans l'ensemble qu'un vaste réseau de prohibitions, de défenses, un véritable répertoire de « gestes limites », qui visent à ne permettre aux individus qu’une activité mentale et physique amoindrie, diminuée, toujours soumise aux caprices des autorités. Sans parler du bagnard, du prisonnier, de tous les enchaînés, que l'on a réduit à n'être que des morts vivants. Les frontières, les patries, les douanes, etc. (voir ces mots) autant de limites, inventées pour le seul profit de ceux qui commandent. Et une morale, qui est souvent le comble de l'immoralité, prétend ligoter les consciences et régenter nos plus secrets désirs. Prêtres et gendarmes s'associent pour que les chefs soient obéis, pour que les travailleurs continuent de produire sans répit, pour que les peuples se déchirent, parce qu'il a plu aux maîtres d'établir des classes sociales, des frontières que la nature ignore et que la raison condamne Mais le troupeau est si aveugle qu'un long temps s'écoulera sans doute avant qu'il comprenne et se décide à briser les clôtures dérisoires où ses exploiteurs l'ont parqué.

Ne point nuire à la légitime activité d'autrui, ne point créer de douleur inutile, voilà les seules limites, que le sage reconnaisse et qu'il assigne à son activité. Ni opprimé, ni oppresseur, ni esclave, ni maître, telle est sa maxime. Il respecte les pensées indépendantes, les volontés libres de ceux qui l'entourent. « Loin de condamner l'énergique affirmation d'un moi qui veut vivre et se parfaire, nous y voyons le secret ressort de bien des existences utiles et la condition du progrès. Etre plus et mieux, telle est déjà l'inconsciente mais suprême règle du moindre animalcule, telle doit être la loi voulue de l'activité humaine. Plus fort que le raisonnement, l'instinct de conservation l'impose, et le suicide même est une sanglante preuve de notre invincible besoin d'être heureux.

Mais pourquoi accumuler les ruines, pourquoi de la souffrance d'autrui faire la rançon de notre propre joie? Dans la cité humaine, comme dans le monde des plantes, l'harmonie totale n'est-elle pas rendue possible par la seule diversité individuelle et collective? Et pour chacun l'union librement voulue ne serait-elle pas souvent préférable à la lutte? La réponse n’est pas douteuse : pour enrichir son être et le parfaire, nul besoin d'écraser les autres... L'impuissance à sortir de l'horizon borné du moi, à briser ses étroites barrières pour comprendre la vie universelle et sympathiser avec elle, voilà croyons-nous la racine cachée de l'égoïsme qui paralyse et appauvrit » (La Cité Fraternelle). Mais naturellement ce n'est pas des stériles batailles politiques que l'homme peut attendre la suppression des limites artificiellement dressées par les chefs, ce n'est pas de son impuissant bulletin de vote que le citoyen doit espérer rien de pareil. Une longue éducation des esprits, une lente formation des volontés aboutiront seules à libérer les cerveaux. Et que chacun travaille, pour lui-même et en lui-même d'abord, à démolir les murailles de la prison où la société prétend l'enfermer ; qu'il apprenne à n'avoir d'autre maître que son propre esprit, ouvert enfin à la lumière des vérités supérieures que cachent soigneusement ceux qui instruisent les enfants ou les hommes pour le compte des Eglises et des Etats. « Libération sociale et morale sont affaires de volonté ; égoïsme des chefs, veulerie du troupeau voilà les pourvoyeurs des ergastules anciennes ou modernes. A chacun de se sauver lui-même et d'aider au salut de ses frères, autant qu'il est en son pouvoir. Pour briser les barreaux de la cage où la nature nous enferma, un effort plus ardu semble exigé des hommes ; car l'acier des lois cosmiques est dur et la lime de nos connaissances a souvent besoin d'être réparée » (Par delà l'Intérêt). Cependant même lorsqu'il s'agit de la nature, ne parlons pas trop rapidement des limites qui s'imposent à notre savoir ou à notre vouloir. Lumières magiques, tapis volant, vision ou audition lointaine, élixir de longue vie, transmutation des métaux, etc. tous les vieux contes qui charmèrent nos ancêtres, la science les réalise graduellement. « Où s'arrêtera notre espèce dans sa prodigieuse ascension? écrit L. Barbedette, dans Face à l'Eternité. Maîtresse de notre globe, elle en modifiera les conditions à son gré, pour peu que tardent les causes, et rien ne les montre prochaines, de sa propre disparition. Après les chaleurs des tropiques, elle a vaincu les glaces polaires ; desséchant les marais, irriguant les déserts, creusant des ports, perçant des isthmes, elle est devenue la suprême dominatrice et de la terre et des océans. Ni les entrailles du sol, ni les hautes régions atmosphériques n'échappent à ses investigations ; vapeur, électricité, machines de toutes sortes la servent avec docilité. C'est une incomparable odyssée que la sienne ; ne doutons pas de son triomphe final sur les éléments. Progressive diminution de la lumière et de la chaleur solaire, manque d'air ou d'eau, absence de ressources alimentaires ne la trouveront point désarmée. Physique, chimie, mécanique réaliseront, d'ici quelques millénaires, des prodiges supérieurs à ce que conçoit la plus délirante imagination. Et devant la biologie, à peine adolescente, s'ouvrent des espoirs illimités ; contre les gaz toxiques, les poisons, l’asphyxie, le feu peut-être, on prémunira aussi facilement qu'on vaccine contre la maladie. Sans parler des races surhumaines que fera sortir de la nôtre soit la science eugénique, soit l'évolution spontanée ». Les forces humaines sont infiniment supérieures à ce que nous croyons, mais pour que les peuples se résignent à leur triste sort, les pontifes et savants officiels ne cessent de répéter que notre science comme notre action ne sauraient franchir certaines limites imposées par le créateur. Ils humilient notre volonté et notre raison, pour encourager les faibles à se soumettre aux ordres des puissances surnaturelles, qui parlent par la bouche des chefs naturellement.