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LOGEMENT n. m.

La pièce, le gite qu'une personne ou une famille habitent prend le nom de logement. Ce mot, quoique ayant pour valeur appartement, sert à désigner, dans une maison, la partie la plus modeste. Alors que les appartements se composent de plusieurs pièces et sont situés dans des immeubles plus ou moins modernes et confortables, les logements (qui, dans les villes, se situent dans les mansardes ou les maisons de rapport de second et de troisième ordre et, dans les campagnes dépendent des chaumières et des bâtisses médiocres et usagées) servent de gîte aux classes laborieuses toujours déshéritées.

Ainsi, dans la pratique, et quoique le mot logement ait une valeur analogue - en théorie - à celle d'appartement, la différence s'établit par le genre d'occupants et l'aspect des lieux.

Aussi, même le langage courant désignera sous le vocable logement des pièces soit restreintes, soit peu en harmonie avec les règles d'une hygiène modeste, tandis que par appartement le même langage s'appliquera à des locaux mieux aménagés pour l'habitation et qui donnent à ceux qui les occupent des commodités et des satisfactions qu'un simple logement ne comporte pas.

Selon que l’homme habite une chaumière ou une mansarde, ou qu'il loge dans des appartements réduits ou vastes, aérés et aménagés pour la commodité de l'existence, cet homme éprouve de la joie ou de la tristesse parce qu'il se sent tributaire de son logement dans les questions de maladie et de santé. La question du logement, de l'habitation, se pose à la société comme une question d'hygiène et de moralité.

Beaucoup de logements, en France, remontent encore à des époques reculées. Autrefois les constructions qui servaient d'abri à la plèbe, aux serfs et aux travailleurs en général se faisaient au petit bonheur et la prévoyance des besoins était bien faible pour ne pas dire nulle. Les classes privilégiées ne témoignaient pas, non plus, d'une grande connaissance de l'hygiène ; mais les moyens dont elles disposaient suppléaient aux aptitudes des propriétaires de l'époque. Ce n'est guère que depuis le milieu du siècle écoulé que les constructions d’immeubles se sont effectuées dans des conditions meilleures que par le passé et en harmonie avec la science.

Dans certains départements montagneux et de faibles ressources, les constructions rurales surtout, remontent à des époques relativement lointaines, ce qui implique des habitations malsaines et dangereuses. Il est encore des hameaux, des villages où la famille cohabite avec le bétail qu'elle élève. Les « chambres de veillées », en Beauce, qui ne sont qu'une portion de l'étable, et où les animaux font profiter les gens de la chaleur dégagée... et du reste, demeurent, à ce point de vue, caractéristiques. Aujourd'hui encore, le couchage des ouvriers de ferme s'inspire toujours de la même économie et bénéficie des mêmes émanations ; la tuberculose en profite pour ses rafles sournoises...

Le gouvernement démocrate (que secondent, pour le profit, d'habiles sociétés privées) après avoir constaté et déploré l'exode des paysans vers les grandes villes, a pensé que la question méritait plus que des jérémiades sur le dépeuplement des campagnes. Il vient d'inscrire à son budget - accaparé sans vergogne par les œuvres de mort - quelques préoccupations touchant la vie. Il a décidé de consacrer quelques centaines de millions pour édifier, aux champs comme à la ville, un réseau de maisons, dites... à bon marché, afin de pallier, dans une certaine mesure, à l'insuffisance générale des logements. Précautions excellentes en principe, mais lamentablement impuissantes en face d'un mal profond, étendu et poignant... Les travailleurs aisés, dont les salaires se prêteront à la saignée, continueront d'engloutir dans les « maisons ouvrières » leurs économies et à hypothéquer un avenir d'efforts et de privations. Leurs groupes s'étageront vers cette bourgeoisie conservatrice à laquelle ils auront l'illusion de s'incorporer et ils mettront l'amour du gîte au service des institutions rétrogrades. Quant aux masses miséreuses elles attendront que le Pactole qui coule vers l'armée s'avise de rénover les lépreuses maisons où le travail enterre ses détresses, ses amours et ses tares...

« Notre » gouvernement républicain (d'autres gouvernements démocrates et ploutocrates ont, depuis la guerre, entrepris l'amélioration de l'habitation pour les masses laborieuses), se doit en effet de suivre l'exemple donné par les institutions conservatrices d'autres pays où les gildes ont contribué avec succès aux entreprises. Il s’occupera des logements ouvriers (il feindra surtout de s'en occuper) par intérêt, par démagogie et parce que l'attention qu'il semblera prendre par là aux maux du peuple sera un excellent tremplin politique. Il ne peut éviter d’ailleurs d'apporter au moins des projets et d'amorcer quelques réalisations. L'existence des taudis, dans les grandes villes, est d'autant plus dangereuse et, par suite, révoltante, que la misère confine aux splendeurs de l'opulence. Le contraste est trop frappant et la société bourgeoise cherche à en atténuer l'effet.

En résumé, la question du logement tient à la santé générale, à la probité et aux mœurs de la Société. Elle mérite, de tous ceux qui comprennent la question du logement, comme une question de justice pour tous, la plus grande attention, car il ne faut pas oublier que sous la domination du capital, la Société ne se résout à réaliser quelque amélioration que quand elle ne peut plus en différer l'exécution.



- Elie SOUBEYRAN



LOGEMENT

Depuis son apparition sur la planète l'abri, le logement ont tenu une place considérable dans les préoccupations de l'homme. L'existence leur a été maintes fois subordonnée et, quand il n'a pas joué un rôle capital et exigeant, le logement est cependant resté étroitement lié aux influences de site, de climat, ainsi qu'aux mœurs, au genre de vie de ceux qui l'ont rencontré ou conçu. Il a accompagné l'évolution des races et des grandes branches humaines, fixé souvent leurs traits persistants et leurs conquêtes incertaines.

Leur capacité d'initiative, leur discernement, leur esprit inventif, la gamme de leurs découvertes ont marqué le caractère et l'étendue de ses réalisations, servi ses audaces, permis ses progrès... Le sujet n'ayant été qu'effleuré au mot habitation (voir ce mot, voir aussi architecture, ville, etc.) nous donnerons ici, en bref, un historique du logement dont les stades, parfois dépouillés d'art, portent à travers les époques, et chez les peuplades de civilisation rudimentaire, l'empreinte d'une enfance simpliste et obstinée, millénaire souvent et parfois contemporaine de nos savants édifices...

« L'excès en froid ou en chaud de la température, la présence de fauves dangereux ont conduit les hommes à chercher un refuge dans les grottes et les cavernes. Ce furent les habitations des hommes quaternaires. Les Lapons, Samoyèdes, Ostiaks et autres habitants de régions sibériennes bâtissent des huttes, le plus souvent coniques, avec des perches assemblées par le sommet et couvertes d'écorce d'arbre et de mottes de gazon. Quand elle n'est pas formée de blocs de glace et de neige tassée, chez les Kamchadals, les Esquimaux et autres peuplades boréales, la hutte d'hiver est creusée en terre et couverte d'un tumulus de terre gazonnée. Mentionnons les cités lacustres ou villages bâtis sur pilotis, dans les eaux tranquilles d'un lac ou d'une rivière, et les habitations construites sur les grands arbres de l'Afrique centrale.

Avant la conquête romaine, les peuples de la Gaule habitaient ordinairement des huttes cylindriques ou rectangulaires dont les parois étaient constituées par un clayonnage revêtu d’argile ou par des pierres brutes jointoyées avec du mortier de terre et couvertes en chaume. La case cylindrique et en forme de ruche est aujourd'hui la caractéristique des villages nègres de toute l'Afrique et d'une partie de l'Océanie et de la Nouvelle Calédonie. Une partie de la population du nord de l'Afrique et de l'Asie était nomade et avait besoin d'abris facilement transportables ; elle en a trouvé dans la tente en écorce, en peau, en feutre ou en étoffe. Certaines peuplades, de nos jours encore, n'ont aucun abri permanent...

Avec la civilisation apparaît la véritable habitation, construite avec des matériaux plus durables : la pierre et la brique. En Orient, aussi bien dans l'antiquité qu'aujourd'hui, les relations sociales, à cause de la polygamie surtout, étaient restreintes dans d'étroites limites. La vie intérieure s'y dérobait et s'y dérobe encore au public. D'où les dispositions intérieures de ses maisons antiques et modernes. Une seule porte d'entrée ouvre sur l'extérieur, de rares ouvertures aux divers étages, soigneusement grillagées. A l'intérieur, une cour sur laquelle prennent le jour et l'air toutes les pièces de l'habitation. Celles-ci sont nettement divisées en deux parties : l’une, proche de la porte d'entrée, la plus publique, est destinée aux hommes ; l'autre est réservée aux femmes, qui occupent souvent les étages supérieurs, couverts par une terrasse, où, loin des regards, elles jouissent de quelque liberté. Cette disposition était celle des maisons de la Chaldée, de la Perse, de l'Egypte ancienne, Elles apparaissent jusqu'à certain point dans la Grèce antique, où les femmes, sans être clôturées, se mêlaient peu à la vie publique. Dès la fin de la république et le commencement de l'empire, les Romains adoptèrent les arts, l'architecture et les mœurs des Grecs. Eux qui s'étaient longtemps contentés de modestes cabanes, assez semblables à celles des Gaulois, ils se construisirent des demeures décorées d'un péristyle à la grecque qui s'ouvrait sur un vaste atrium et où le gynécée tint une place importante. Mais cependant la partie destinée au public, où le patron pouvait recevoir ses nombreux clients, était plus développée qu'en Grèce. L'architecture byzantine ne change que peu de choses à ces dispositions romaines.

On ne rencontre le pittoresque, c'est-à-dire la fantaisie, que dans les demeures du moyen-âge. C'était l'époque où la guerre régnait ; tout le monde tenait à être fortifié. Il en résultait que faute de terrain dans l'intérieur des fortifications, on se trouva obligé d'accroitre la hauteur des maisons. Par suite des circonstances économiques, le rez-de-chaussée fut bâti en pierre, les étages supérieurs le furent en bois et s'avancèrent souvent en encorbellement sur la rue. Pour ne rien oublier, signalons les élégantes constructions en bois de la Norvège, de la Suède et de la Suisse, et les isbas des moujiks russes. La Renaissance modifia surtout l'extérieur des maisons. A partir du XVIIème siècle, l'influence de plus en plus prépondérante de la classe bourgeoise dans la société, éloigna les préoccupations d'art des demeures particulières au profit du confortable.

En Chine, au Japon, et dans les pays de l'Extrême Orient, les habitations se distinguent extérieurement par leur mode de construction original. Leur plan intérieur présente généralement un quadrilatère plus ou moins vaste, divisé en un certain nombre de chambres par des cloisons mobiles qui permettent d'agrandir les chambres quand le besoin s'en fait sentir. Là aussi, le maitre de maison cherche à s'isoler du contact extérieur... » (Larousse).

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Aux diverses périodes, seuls les princes, les seigneurs, les riches, les gens aisés, la bourgeoisie marchande et industrielle ont connu les demeures somptueuses, robustes et vastes, plaisantes et protectrices, bref les habitations les meilleures du temps. Quant aux logements (cabanes, chaumières, galetas), où le peuple fut contraint toujours d'abriter sa vie précaire, ils ont été invariablement un défi au sens commun, à la dignité de l'espèce, à l'équité. Ils sont aujourd’hui encore une insulte permanente à l'hygiène et aux conditions élémentaires de la vie. Cette situation poignante devant laquelle les esprits justes et les cœurs sensibles ne peuvent rester indifférents a, dès le XIXème siècle (avant 1789 nul n'en prenait souci, les serfs étant à peine regardés comme des hommes), préoccupé économistes et philanthropes et parfois même les autorités, quand un courant d'opinion en portait l'écho jusqu'aux assemblées. « Après la révolution de 1848, on fit de nombreuses enquêtes sur la situation des ouvriers. Il faut lire les rapports de Villermé, Blanqui, Frégier, Lestiboudois, Kolb-Bernard, Ebrington, H. Robert et Grainger pour se faire une idée des conditions épouvantables dans lesquelles vivait une grande partie de la population ouvrière... Les ouvriers, disaient-ils, surtout dans les grands centres comme Paris, Lyon, Lille, Rouen, Reims, Amiens vivent fréquemment dans des logements non aérés, parfois dans des caves humides, au milieu de véritables foyers pestilentiels et dans des conditions hygiéniques désastreuses. Ceux qui logent à la nuit, dans les garnis, ne sont pas mieux partagés. « Un tiers seulement, disait le rapport du conseil général de salubrité en 1848, est dans des conditions à peu près supportables ; le reste est dans l'état le plus affreux. 40.000 hommes et 6.000 femmes logent, à Paris, dans des maisons meublées qui sont, pour la plupart, de vieilles masures humides, peu aérées, mal tenues, renfermant des chambres garnies de huit ou dix lits pressés les uns contre les autres, et où plusieurs personnes couchent encore dans le même lit ». Les plaintes soulevées par un tel état de choses devinrent telles que, en 1849, l'Assemblée législative, sur l'initiative de M. de Melun, vota la loi du 13 avril 1850, qui s'occupa des logements insalubres (nous y reviendrons tout à l'heure)... En 1852, un décret affecta dix millions à l'amélioration des logements d'ouvriers et une partie de cette somme fut accordée à diverses compagnies de Marseille, de Mulhouse, de Paris, qui firent construire des cités ouvrières » (Larousse Universel)...

Melun, dans ses Annales de la Charité, a tracé un tableau typique des grandes misères de la population indigente du 12ème arrondissement. « Il est une partie de la ville, dit-il, qui paraît avoir échappé à la loi du mouvement et n'avoir jamais eu rien à perdre. Malgré l'aspect misérable et fangeux du faubourg Saint-Marceau, on ne trouve chez lui aucune trace de décadence ; ses rues resserrées et à pic, ses passages en planche, ses carrefours dépavés n'ont jamais pu porter de voitures, et on dirait que ses maisons, si hautes et si sombres, avec le nombre de leurs étages, la raideur de leurs escaliers, l'humidité de leurs chambres, ont été bâties pour des gens qui ne devaient pas payer leurs loyers. Dans ces demeures malsaines, sur cette paille qui souvent sert de lit, ne demandez pas de la fraîcheur et de la santé à l'enfant, de la force à l'ouvrier, de la verdeur au vieillard. Les scrofules, seul héritage que se transmettent les familles, nouent les ressorts et arrêtent les développements de la vie ». Et, outre le pêle-mêle, plus hideux encore qu'ailleurs, le prix de ces bouges, où on logeait au jour, à la nuit et à l'heure, était exorbitant. Sans doute, ce tableau a vieilli et les tons s'en sont un peu éclaircis. Des trouées ont amélioré ce quartier et quelques soins ont tenté de rendre ces repaires moins lugubres. Mais les vices généraux n'en ont point disparu. Là, comme en bien d'autres coins de misère, la cupidité des logeurs continue à entasser les malheureux dans des pièces de quelques mètres carrés. Et la tradition de faire suer le logement continue à être la méthode sacrée de M. Vautour...

Quant à l'attention périodique des pouvoirs publics et aux interventions des philanthropes, elles n'ont apporté, depuis plus d'un demi-siècle, que de telles peintures ont pu être tracées sur le vif, que des adoucissements superficiels et des relèvements insuffisants. Le mal reste aujourd'hui singulièrement grave et étendu. Il est trop profond d'ailleurs et rattaché à trop de raisons connexes pour qu'il puisse être guéri par des bonnes volontés isolées et quelques saignées empiriques, par les aumônes de la bienfaisance et les crédits à retardement des administrateurs officiels. Seul un régime nouveau, situant sur son vrai plan, qui est d'ensemble social et non fragmentaire, le problème de l'habitation, pourra, s'y attaquant résolument et sans ménagements, dresser sur les ruines des masures actuelles des abris sains pour ceux qui travaillent. Seul aussi, il pourra, faisant litière des cloisonnements et des classes, ouvrir à tous les humains, un accès équitable aux demeures édifiées... Malgré des privilèges subsistants, des partialités de distribution manifestes, malgré surtout la tendance à favoriser son armée de fonctionnaires civils et militaires et sa corporation d'ouvriers qualifiés, la Russie soviétique a fait un effort notable dans le domaine du logement. D'avoir réduit, dans les immeubles existants, le nombre excessif de pièces affectées autrefois aux familles de la bourgeoisie pour y abriter des travailleurs sans logis ; d'avoir, dans les châteaux princiers et les vastes parcs où la camarilla tsariste noçait et chassait à la santé du peuple, installé pour celui-ci des maisons de repos et de retraite, des établissements pour les malades et pour l'enfance, constitue un fait nouveau, l'esquisse pratique d'une économie populaire (sinon pleinement révolutionnaire) encore inédite, qu'il serait injuste de passer sous silence...

Il est évident en effet que, au moins autant que d'insuffisance, nous souffrons, en matière de logement, d'une mauvaise répartition. De vastes immeubles, des habitations de 14 à 20 pièces (sans compter les dépendances utilisables) sont limités à « l'usage » d'une ou deux personnes. D'autres ne sont occupés - et encore partiellement - que quelques mois, parfois quelques semaines dans l'année. Nombreuses sont dans les maisons les pièces d'apparat, les chambres de réserve ou « d'amis » qui jamais n'ont abrité quiconque ou rendent de fallacieux services. J'en appelle - pour accuser cette disproportion dans l'affectation et souligner l'arbitraire, d'ailleurs patent, de la jouissance - au témoignage peu suspect d'un statisticien bourgeois. En 1908, le Dr Jacques Bertillon écrivait dans le Journal : « Il y a dans les maisons de Paris environ 2.250.000 pièces (hôtels et habitations collectives telles que hospices, casernes, etc., non compris). Ainsi il y a presque autant de pièces que d'habitants et l'on pourrait imaginer que chaque habitant pourrait avoir une chambre pour lui tout seul. Naturellement, il n'en est pas ainsi : les uns ont plusieurs pièces à leur disposition, et beaucoup d'autres sont loin d'en avoir autant ». Et il ajoutait - constatation sévère derrière le laconisme tolérant ­- « Sur 1.000 habitants de Paris (de tout âge et de tout sexe), il y en a près de la moitié (exactement 482) qui sont assez spacieusement logés, à savoir 266 qui disposent d'une pièce par personne, et dont le logement peut passer pour suffisant, 138 qui ont plus d'une pièce, et 78 plus de deux pièces à leur disposition et qui sont largement ou très largement logés ; l'autre moitié est moins bien partagée : 363 vivent dans des logements dits insuffisants, où il n'y a pas une pièce par personne, et enfin 149 sont logés à raison de plus de deux personnes par pièce. Les logements de ces derniers sont dits surpeuplés. Six habitants sur mille ont des logements indéterminés (bateau, voiture, écurie, magasin, etc.) »...

Il ne s'agit pas là d'une crise ou d'une infériorité nationales. Comme tous les maux qui frappent les classes pauvres, la pénurie et l'inique conditionnement du logement ne connaissent pas de frontières. Berlin, Vienne, Budapest, pour citer les plus caractéristiques parmi les capitales étrangères, sont aussi mal partagées et des gens y vivent aussi dans les caves et les sous-sols. Et ils ont leurs Schlafleûte, « les gens qui louent une portion de chambre ou de lit »... Si l'on considère d'autre part le territoire français dans son ensemble, on note, en prenant les mots dans leur acceptation ci-dessus qui révèle un critérium d'indulgence bourgeoise manifeste, qu’à l'époque dont parle Bertillon, sur 1.000 personnes, 260 vivaient en logements surpeuplés, 360 en logements insuffisants, 168 disposaient d'une pièce par individu, autrement dit que près de 800 souffraient, à des degrés divers, d'une solution mauvaise du problème de l'habitation.

Arrêtons-là les citations. Entrer dans le détail des villes et des communes rurales plus ou moins favorisées, opposer l'une à l'autre cités et provinces n'éclairerait pas davantage notre documentation générale. Les chiffres sont probants et Bertillon pouvait conclure : « Un logement encombré » est aussi nuisible à la santé physique qu'à la santé morale. Que de déchéances, que de ruines même sont dues à la promiscuité causée par un logement trop étroit! » Que viendront faire, en face de cette calamité, les remèdes doucereux de la charité, les mesures, toujours hésitantes, d'amendement public? Qui, bénévolement, parmi ceux qui bénéficient d'un scandaleux déséquilibre, se résignera aux abandons nécessaires, quels favorisés feront la nuit du 4 août des locaux inutiles? Quelle législation, dans le champ fermé de l'économie capitaliste, fera des prélèvements efficaces, groupera, sans en faire retomber la charge sur les misérables et mettra utilement en œuvre, les lourds crédits indispensables? Non, le logement du pauvre ne disparaîtra qu'avec le paupérisme...

Nous avons vu que les municipalités, urbaines notamment, ont constitué des commissions d'hygiène ayant, dans leurs attributions, le contrôle des locaux d'habitation. Voici comment leur rôle est défini par la loi de 1850. « Elles visitent les lieux signalés comme insalubres mis en location ou occupés par d'autres que le propriétaire, l'usufruitier ou l'usager ; elles déterminent l'état d'insalubrité et en indiquent les causes, ainsi que les moyens d'y remédier. S'il est reconnu que les causes d'insalubrité dépendent du fait du propriétaire, l'autorité municipale lui enjoint d'exécuter, sous peine d'amendes que détermine l'article 9 de la loi, les travaux jugés nécessaires. S'il est reconnu que le logement n'est pas susceptible d'assainissement et que les causes d'insalubrité sont inhérentes à l'habitation elle-même, l'interdiction de location à titre d'habitation peut être prononcée, sous les sanctions pénales prévues par l'article 10 de la loi. Enfin, si l'insalubrité est le résultat de causes extérieures et permanentes, ou si ces causes ne peuvent être détruites que par des travaux d'ensemble, la commune a la faculté d'acquérir, par expropriation, la totalité des propriétés comprises dans le périmètre des travaux » (Nouveau Larousse). Depuis la loi de 1902, la mise en mouvement des moyens de coercition qui ne pouvait se produire lorsque l'occupant était le propriétaire lui-même, l'insalubrité atteignît-elle les voisins, peut avoir lieu à l'égard de « tout immeuble dangereux pour la santé des occupants, quel qu'ils soient, ou pour la santé des voisins ». D'autre part, l'action légale atteint non seulement les logements et leurs dépendances, mais « les immeubles entiers, y compris les parties non bâties ».

Il y a là évidemment, au nom de la santé publique, le principe d'une immixtion heureuse de l'autorité sociale dans l'état des lieux habités. Il porte atteinte aux droits souverains de la propriété et en restreint l’arbitraire meurtrier. Mais tous ceux qui connaissent le fonctionnement des commissions d'hygiène savent dans quelles circonstances elles se déplacent. Et les malheureux qui habitent les maisons que leur passage, suivi d'effet, « assainirait », peuvent goûter une fois de plus l'ironie des lois de sauvegarde et attendre que les pouvoirs publics daignent s'appuyer sur elles pour enjoindre la réfection des quartiers inhabitables, A plus forte raison pourront-ils - s'ils en connaissent - épingler comme un événement révolutionnaire, l'expropriation pour cause d'insalubrité !

On se garde le plus souvent de porter le regard - et encore moins la pioche! - dans les taudis existants. Tout au plus s'inquiète-t-on, assez distraitement, d'exiger que les constructions neuves réalisent certaines conditions élémentaires de salubrité. Les « villes tentaculaires » qui aspirent et précipitent dans leur tourbillon les populations abusées ou économiquement infériorisées des campagnes, souffrent avec acuité d'une crise du logement que la dernière guerre a accrue et accélérée. Et elles cachent encore dans leurs flancs - stigmates qui sont la honte d'un régime et suffiraient à le condamner - des milliers d'infects chenils qui sont l'habitation obligée du pauvre... Les soupentes tour à tour glaciales et surchauffées qu'aère une maigre lucarne et où croupissent des familles entières dans une promiscuité malsaine et révoltante, les vagues « pièces » superposées dans les cours noires et empuanties de tous les reliquats des cuisines et des water-closets, avec leurs boyaux d'accès où règne une éternelle demi-nuit et auxquels on a eu le cynisme de donner le nom de rues, continuent dans un Paris surpeuplé et dans les vieux quartiers de la plupart des grandes agglomérations de province (où le visiteur admire leur « couleur » historique et leur originalité), à servir d'abri et déjà de tombeau aux nichées laborieuses...

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Quelques passages d'un document officiel d'avant 1914 loin de les réduire, le cataclysme destructeur a accentué les vices dénoncés et les tares se sont étalées et approfondies - souligneront, de leurs traits et de leurs chiffres précis, les peintures que nous esquissons et accuseront leur modération. Elles éclaireront d'un jour cru la lèpre que représentent en plein vingtième siècle les habitations des hommes...

« En 1891, il y avait à Paris 72.705 logements surpeuplés, c'est-à-dire habités par plus de deux personnes par pièce : 331.976 personnes occupaient ces logements. En 1901, on comptait encore 69.901 de ces logements, habités par 341.041 personnes ; 15.432 familles n'avaient qu'une pièce pour quatre personnes. Il faut, en outre, tenir compte des 190.000 personnes qui logeaient en garni : en 1896, il y avait là 2.783 groupes de quatre personnes et plus logeant «  sous la même clé ». Les recensements ultérieurs 1906, 1911, se sont bien gardés de refaire le dénombrement du « bétail humain » ainsi entassé. Mais « à défaut de statistique précise, on peut voir un indice de l'aggravation de la crise dans l'augmentation croissante du nombre des ouvertures de garnis, qui s'est produite dans les arrondissements périphériques. Le nombre des chambres contenues dans ces garnis - refuges ouverts à toutes les inquisitions de propriété et de police - est passé de 671 en 1907 et 804 en 1908 à 1.649 en 1909, 2.216 en 1910 et 4.600 en 1911. D'après les relevés de la Préfecture de police, il y avait, en 1908, 189.177 locataires dans les garnis et 196.925 en 1911. Or, il ne faut pas perdre de vue que l'hôtel meublé, dans les quartiers ouvriers, est souvent le refuge des familles qui ne peuvent plus se loger dans les maisons particulières et qui en sont réduites à s'entasser dans une chambre garnie, dont le loyer est payé à la semaine.

D'autre part, des enquêtes auxquelles ont procédé des hygiénistes comme les docteurs Mangenot et Bou­reille ou des œuvres philanthropiques telles que «  l'Amélioration du logement ouvrier » ont montré dans quelles épouvantables conditions d'insalubrité vivaient de nombreuses familles ouvrières : c'est, à Grenelle, huit personnes logées dans une pièce de 36 m. cubes ; rue Falguière, six personnes couchant dans une chambre de 29 m. cubes où ne pénètre jamais le soleil ; dans le 10ème arrondissement, sept personnes habitant une pièce dont l'unique fenêtre donne sur une courette sombre qui sert de réceptacle à toutes les immondices de la maison, etc.

Dans ces recoins humides, sans air, ni lumière, la tuberculose, maladie de l'obscurité, du surpeuplement et du surmenage, règne en maîtresse sur les travailleurs et leurs enfants... Les familles nombreuses (malgré les exhortations officielles à la procréation : de même que Dieu bénit les nombreuses familles mais ne les nourrit pas, la patrie demande des enfants sans s'inquiéter de leur gîte et de leur pâture), sont particulièrement frappées et sont non seulement les premières victimes des taudis, mais celles de la crise elle-même. On cite un père de dix enfants ayant visité, à l'époque (on peut multiplier aujourd'hui les chiffres de ces courses stériles) « 33 logements sans être accueilli ». Une autre, avec neuf enfants, a passé trois nuits à la belle étoile. D'autres mettent leurs meubles au garde-meubles et les vendent peu à peu pour payer la chambre d'hôtel où on a consenti à les héberger avec leurs sept enfants : plusieurs se construisent des baraques en planches ou en carreaux de plâtre sur des terrains qu'ils louent parfois des prix exorbitants » (Rapport de la commission des habitations au Conseil municipal de Paris).

Tant que le logement fera partie du système de « revenu privé » qui est la caractéristique de l'économie actuelle, le mal subsistera, plus ou moins étendu, plus ou moins douloureux. Et les propriétaires, arbitres intéressés, pourront, dans la logique de l'affaire que représente pour eux un loyer, faire aux déshérités cette réponse souveraine à savoir qu' « ils ne sont pas obligés de faire de la philanthropie à leurs dépens ». Le problème du logement est un problème social, lié à tous ceux que le capitalisme tient en suspens sous sa griffe obstinée... Toutes les mesures qui ne sont pas d'appropriation sociale et de transformation fondamentale, toutes les tentatives, gouvernementales ou privées, en vue de corriger la situation ne sont que des palliatifs insuffisants et trompeurs et de paresseuses solutions d'attente...

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Des maisons futures quelles seront les formes et les dispositions générales, quels seront leurs agencements essentiels? De quelles conceptions hygiéniques s'inspireront-elles? Elles seront influencées à la fois par les progrès de la science physiologique et ceux de la technique constructive, sous le contrôle artistique de l'esthétique dominante. Mais les habitations seront affranchies de tous les facteurs d'exiguïté, d'insécurité et d'insalubrité qui en font aujourd'hui les antichambres parfois précipitées de la mort. Délivrés des malfaçons et des sabotages de rapport des entreprises actuelles, les groupes constructeurs iront aux matériaux et aux procédés appropriés à des fins de résistance et de bien-être. Mais, ouvert à la lumière bienfaisante, baigné d'air et ensoleillé, spacieux et pratique, le logement devra constituer le milieu quotidien, à la fois riant et normal, où « il fait bon vivre »...

Déjà le ciment, le béton armé, remarquable pour ses qualités de cohésion, d'incombustibilité et de résistance aux intempéries, est devenu d'une utilisation courante. Il a permis, depuis quelques années à peine que sa vogue s'est affirmée, de réaliser d'audacieux et puissants édifices ; il a inspiré même une architecture nouvelle et parfois originale, entraîné de souples adaptations de l'art décoratif, en particulier sculptural, donné naissance çà et là à quelques formules hardies et vigoureuses. Et voilà que la technique constructive s'oriente vers les immeubles en acier édifiés comme il est pratiqué pour la coque d'un navire cuirassé. « Grâce à un dispositif intérieur, les maisons ne seraient ni plus chaudes en été, ni plus froides en hiver que celles réalisées en maçonnerie, et leur solidité, leur durée seraient aussi certaines »...

Sur les suggestions de l'Office public des habitations dites « à bon marché », la Ville de Paris se propose à la faveur de la loi de juillet 1928 (loi Loucheur) de procéder à une tentative qui porterait sur une quarantaine de pavillons et coûterait un million environ. Les avantages les plus marquants du nouveau principe seraient l'introduction d'une industrialisation particulièrement poussée dans le domaine du bâtiment. La possibilité d'usiner en série les différentes pièces ferait baisser dès maintenant le prix de revient et assurerait une rapidité et une simplicité d'exécution dont les sociétés de l'avenir tireraient un intéressant profit. Amenées sur leurs emplacements ces constructions seraient facilement et promptement assemblées. D'ores et déjà des expériences, faites à l'occasion d'expositions récentes, ont montré qu'une semaine pouvait suffire pour édifier une maison du type envisagé. Et ce n'est pas là le denier mot de la technique de la fabrication et du montage.

Les constructions de demain seront-elles dispersées dans les bocages, au gré de la fantaisie poétique ou uniront-elles à l'instar des familistères ébauchés (voir familistère) ; ce maximum d'avantages généraux que favorise la synthèse? Les deux sans doute auront leurs favoris et se verront recherchées selon les préférences de chacun. Tarbouriech (La Cité future) a imaginé « un cadre de la vie privée comportant un groupe d'habitations, auquel un ensemble de services administratifs et économiques au moins rudimentaire, constitue une individualité propre quant à la consommation. Ce groupe d'habitations, auquel il a donné le nom générique d'habitat, peut être isolé ou former une partie d'une agglomération urbaine plus ou moins importante. En campagne, il est constitué par des maisons simples, mais élégantes, plus ou moins grandes selon l'importance des familles, entourées chacune d'un jardinet et s'alignant le long d'allées, plantées d'arbres, une place égayée par des parterres et dont les côtés seront constitués par les bâtiments des services généraux : maison commune avec bureaux, salles de commissions, salles des fêtes, école, dispensaire, économat, hôtel-restaurant, qu'on pourrait réunir aux habitations par des galeries, un parc où les enfants joueront, où les vieux se promèneront.

En ville, c'est un grand carré qui constituera un vaste parc accessible de la rue par des passages coupant les bâtiments en bordure de la voie publique. A ces bâtiments s'en ajouteront d'autres répandus dans l'intérieur et dont Tarbouriech fixe, pour Paris, l'orientation nord-sud, comme étant la plus convenable au climat. Ces constructions, dont les façades pourront être agréablement variées, artistement décorées, comprendront, en principe, un rez-de-chaussée élevé de un mètre à deux au-dessus du sol et de deux ou trois étages, pas davantage. Inutile, en effet, d'entasser des pierres les unes sur les autres jusqu'à des hauteurs invraisemblables, alors que le terrain ne coûte rien et que la terre est si grande. Au centre du carré se trouveront, en des constructions plus belles, les services généraux et des galeries intérieures ou extérieures permettant à tous les habitants de chaque habitat d'aller, à l'abri des intempéries, au cercle, à la salle de réunions, à l'économat ou à l'école ; des wagonnets électriques roulant le long de ces galeries assureront le service de distribution à domicile. Le grand charme de ces quartiers sera dans leurs parcs. Les jardins publics seront ainsi étroitement réunis aux habitations et on s'y promènera comme chez soi, en tenue d’intérieur, etc. Ainsi, avec des services généraux organisés de façon à ce qu'il se suffise à lui-même, quant aux nécessités courantes de la consommation, l'habitat apparait à l'auteur comme devant concilier le maximum de communisme compatible avec notre mentalité et le maximum de liberté individuelle que l'on puisse désirer et mettre chaque citoyen dans une situation telle qu'il puisse, à son gré, ou se replier dans un isolement farouche ou goûter tous les charmes de la vie sociale la plus raffinée » (Résumé emprunté à l'Encyclopédie socialiste).

Edward Bellamy, dans son évocation de « l'an 2.000 », dépeint avec couleur les habitations séduisantes, et enrichies d'un confort enfin socialisé, de la société transformée. Dans Travail, Zola envisage la disparition de toute conglomération d’habitations. Pour lui « dans le régime social futur, les villes auront une étendue considérable, car la maison à logements multiples de nos grandes villes aura disparu et seule existera l'habitation servant à une unique famille, enfouie dans un jardin qui la séparera de toute autre habitation. Si la liberté individuelle trouve mieux son compte dans cette conception » (ajoutons que « la vie de famille » se sera, comme la famille elle-même, sans doute profondément modifiée) « rien n'empêcherait d'ailleurs le citoyen épris de sociabilité et tenant au commerce quotidien de ses semblables, de donner satisfaction à ses goûts, car, pour être prévus moins nombreux, moins à la portée de la main, les services généraux imaginés par Zola n’en sont pas moins accessibles et n'en sont que plus grandioses »... (Encycl. social.)

Nos cités de l'avenir - si l'appellation de cité convient encore à leur physionomie - cesseront de dresser des gratte-ciels de multiples étages sur des rues de corridor. « Il nous sert peu, dit le Dr Bridou, d’accélérer nos moyens de communication, si nous continuons à nous entasser stupidement comme les cloportes sous des masses ténébreuses de moellons ». Les constructeurs futurs feront litière, nous l'espérons, de l'absurde faculté de « bâtir à toutes les hauteurs, en masquant la lumière aux malheureux qui logent en bas ou en arrière de ces bâtisses ». Ils feront aussi généreuse que possible la part du soleil afin que tous aient accès à ses caresses et à ses pénétrations bienfaisantes. Ils sauront qu’il « doit égayer chaque logis familial pour en écarter à la fois la tristesse, la laideur et les autres maladies dont nous cherchons à réduire les méfaits trop coutumiers ». Ils ne sépareront pas d'ailleurs la préoccupation du logement des conditions générales de la vie. Ils les associeront harmonieusement en vue de l'essor vers le maximum de satisfactions. Pénétrés de « l'indivision foncière de tous les éléments qui contribuent au progrès civilisateur des sociétés », ils se garderont d'oublier que « quand on sépare l'hygiène physique de l'esthétisme et de la moralité sociale, on dissocie le développement de l'existence humaine... »

Bref, nous verrons (nous en caressons l'espoir) les cités décongestionnées et les avantages de la ville, grâce aux communications rapides du temps, les possibilités accrues de pénétration et une organisation enfin rationnelle de la répartition, transportées jusqu'au fond des campagnes. Puisse le bruit, qui fait si souvent cortège aux inventions modernes et ponctue désagréablement les avances de la civilisation, ne pas rendre illusoires - pour ceux qui l’aimeront encore - toute possibilité de retraite et de recueillement, et la nature conserver quelques-uns de ses charmes primitifs et profonds... Il est à présumer que « la plupart des ateliers et fabriques installés sur des emplacements trop exigus, dans les grandes villes, se dissémineront à travers le pays et seront établis un peu partout dans les communes rurales et dans les conditions les plus parfaites pour que le travail y soit commode, agréable et sain et l'activité industrielle proprement dite se réunira ainsi à celle des agriculteurs, qui, d'ailleurs, s'industrialise chaque jour davantage...

Ainsi, la vie à la campagne, en gardant ses avantages propres, acquerra ceux jusque-là réservés aux grandes villes, sans en prendre les inconvénients ; car bientôt seront transportées à la campagne toutes les choses nécessaires à l'état de civilisation auquel la population urbaine est habituée : les musées, les théâtres, les salles de concert » (les émissions radioélectriques porteront demain, au domicile privé de chacun, grâce à la téléphoto et au film sonore, le cinéma parlant, et ressusciteront le charme des spectacles et des auditions vécues) « les cabinets de lecture, les établissements d'instruction, les lieux de récréation, etc., sans compter que la multiplication des moyens de transport en commun et leur gratuité, donneraient toute facilité à l'habitant de la campagne de venir pour ainsi dire autant qu'il le désirerait, participer aux amusements et distractions plus nombreux que la ville pourrait encore offrir » (Encycl. social.).

Encore une fois, les modalités de l'habitation future et sa situation seront fixées, en leur temps, par les générations intéressées et en accord avec les mœurs et les ressources d’alors. Et nos recherches et les projets que nous pouvons faire à cet égard seront regardés peut-être par nos descendants comme un dessin désuet ou des injonctions utopiques. Ils peuvent y trouver, cependant, de profitables suggestions... Mais, à moins que la chimie biologique ne bouleverse nos données actuelles sur les milieux et les éléments organiques ou que d'ingénieuses découvertes ne permettent, d'ici là, de régénérer pour ainsi dire spontanément nos tissus menacés et ne rendent caduques nos connaissances et nos précautions d'hygiène, il est des considérations primordiales qui devront guider l'homme de l'avenir dans l’établissement de ses locaux de séjour, dans ses ateliers comme dans ses maisons de repos : c'est qu'il doit fournir incessamment à ses poumons un air aussi pur que possible, et pour cela éloigner de ses habitats les gaz toxiques et les microbes qui s'accumulent ou se développent dans une atmosphère confinée et soustraite, par surcroît, à l'action des rayons solaires. Et c'est que la recherche du bien-être et la protection contre le froid ne peuvent le dispenser de maintenir son corps en état de résistance par un entrainement et une activité appropriés...

Des mesures générales favoriseront la réunion de ces conditions : ne pas accoler les maisons les unes aux autres et surtout ne pas placer à proximité des habitations les établissements industriels qui répandent dans l'air des émanations dangereuses... Entourer toute habitation humaine d'une étendue suffisante de terrain couvert de végétation qui l'isole de sa voisine. Non pas seulement l'éloigner des usines, tenir celles-ci à l'écart des régions habitées, mais obtenir que l'industrie brûle ou neutralise complètement les sous-produits, de façon à ne laisser sortir sous forme de gaz ou de liquides, que des produits non dangereux... Les situer à la campagne ne suffit pas ; il faut que les maisons aient des chambres vastes et lumineuses et que le souci d'y entretenir, l'hiver, une tiédeur confortable n'incite pas à leur conserver une herméticité dangereuse. Ne pas emprisonner l’humidité dans ses murs et, surtout, empêcher qu'elle y pénètre...

Voici les grandes lignes d'un plan d'habitation saine établi par Michel Petit : « Orientation à l'Est ou au Midi dans nos régions (en attendant que les maisons sur pivot se présentent à leur gré au soleil). Construction de la maison de façon à n’avoir, autant que possible, d'ouvertures que sur une face ; si la maison offre un grand et un petit côté, sur deux faces, si elle est carrée ou, ce qui est préférable, si elle est bâtie en équerre. Qu'il y ait une ou deux façades, exposées comme il est dit, ces façades doivent être, en tous cas, presque entièrement vitrées sur toute leur hauteur et leur largeur.

Mais il n'est pas nécessaire que tous ces vitrages soient mobiles. Ils sont destinés à laisser pénétrer le soleil beaucoup plus qu'à l'aération. C’est pourquoi, dans une grande fenêtre, il suffit qu'une portion puisse s'ouvrir... L'aération continue peut se faire par divers procédés qui en reviennent tous, comme principe, à des prises d'air établies en différents points de la façade de l'habitation et à des tuyaux de sortie de cet air établis au sommet de la maison, en sorte que l'air extérieur pénètre constamment et que l'air usé soit constamment évacué, et cela sans procurer de courant d'air froid. On évite cet inconvénient en faisant passer l'air extérieur entre deux cloisons et, en hiver, au contact d'un tuyau rempli de vapeur d'eau à basse pression, avant qu'il pénètre dans les appartements. Il y a bien d'autres moyens, je me borne à signaler celui-là pour montrer que la difficulté peut être résolue.

« Dans l'aménagement intérieur de l’habitation, il y a de grandes lois à observer. Etablir le moins de petites pièces possible ; n'encombrer les pièces que le moins possible, et supprimer totalement tapis, rideaux, tentures, meubles couverts en étoffe surtout des pièces où l’on se couche. Comme type de maison je proposerais une grande pièce, comprenant à elle seule presque la moitié de l’habitation, et dans laquelle les habitants passent leurs journées : c'est la pièce où l'on vit. Elle s’ouvre directement, ou par un court vestibule, au dehors et offre des portes d'accès avec les autres pièces de la maison consistant en cuisine, chambres à coucher et, s’il y a lieu, bureau ou autre pièce spéciale. Cette maison ne comporte qu'un rez-de-chaussée. Si on le préfère, on peut n'avoir, au rez-de-chaussée, que la grande salle et la cuisine et mettre les chambres à coucher au premier étage. Mais ce qu'il faut toujours, c'est que chaque pièce soit largement ajourée et que l'air y circule, par quelques procédés que ce soit... »

Comme le vêtement, qu'il complète, le logement doit être au service de notre vitalité et de notre expansion. Et il ne peut favoriser nos joies que fugacement s'il nous enserre de jour morose et d'espace exigu, s'il prive nos organes, nous épuise et nous diminue...



- Stéphen MAC SAY