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MACHIAVÉLISME s. m. (prononcez makiavélisme)

Système politique que Machiavel, écrivain et homme d'État italien du XVIe siècle (1468-1517) développe avec hardiesse dans le livre du Prince. Cette doctrine est regardée couramment comme celle du succès à tout prix, et justifiant le recours aux moyens les plus propres à y conduire, indépendamment de leur moralité. Mais elle a besoin, pour être bien comprise, d'être située dans son époque et entourée des circonstances qui firent un impie sans scrupule du disciple ardent de Savonarole. Vue de plus haut qu'en ses artifices ou sa brutalité, c'est aussi la doctrine athée de qui cesse d'en appeler à Dieu de l'iniquité invaincue pour ne plus mettre que la force au service de ses convictions.

Arme à deux tranchants, le machiavélisme commence par se considérer comme l'instrument de l'indépendance pour n'être en définitive, que celui du despotisme. Il manque à cette exaltation de l'énergie le contrôle de la raison, le scrupule à cette habilité, le respect de l'homme à une théorie affranchie de la sujétion divine. Une réprobation proverbiale, excessive comme tous les jugements sans appel, s'attache à l'homme qui se tourne vers les ressorts de l' homme pour le triomphe de ses visées, la réussite de ses combinaisons; au système qui, délaissant les implorations stériles et renonçant aux réformations incertaines, entend se servir des vices eux-mêmes pour le salut public et tente de « faire sortir de la servitude générale le miracle de la liberté ». Autoritaire avant la lettre, convaincu que la tyrannie est un mal nécessaire, il lui demande le salut de la patrie. Au seuil du monde moderne, alors que, des siècles après lui, d'autres chercheront dans la force l'équilibre des sociétés, il remet au despote le soin d'assurer le bonheur commun. Et certains, qui aujourd'hui, fondent de bonne foi leurs espoirs sur la dictature, procèdent des mêmes illusions sans avoir les mêmes excuses...

Par extension: en parlant des affaires privées : perfidie, déloyauté.

Cependant, dans l'esprit de bien des auteurs et non des moindres, machiavélisme et jésuitisme se confondent. Or, voici ce que disait il ce sujet Edgard Quinet: « Je voudrais marquer ici la différence du machiavélisme et du jésuitisme, celui-ci est le complément nécessaire, indispensable de celui-là. Le premier n'atteint que l'homme extérieur; le second s'empare de l'homme tout entier corps et âme. Après Machiavel la raison reste entière ; après Loyola, il ne reste que Loyola. Le machiavélisme est la doctrine des peuples vainqueurs, qui abusent de leur force en exploitant la faiblesse des peuples vaincus. Le jésuitisme est la doctrine des peuples vaincus qui acceptent la défaite en la couvrant du nom de victoire. »

Machiavel développe longuement la théorie de la servitude. Il permet à son prince, toutes les tromperies, toutes les vilenies, tous les crimes. Il ne met qu'une condition : qu'il soit fort, invincible, inexpugnable. « Lorsqu'il a ainsi formé de tous les vices, de tous les mensonges, et même de ce qui peut rester de vertu dans l'enfer, cette incroyable machine de guerre, ne croyez pas qu'il contemple stérilement l'œuvre de ses mains. Non, quand il l'a armée de toutes les puissances du mal, chargée de tous les crimes utiles, fortifiée de tout ce que peuvent la prudence, la dissimulation et la fraude empoisonnée de tous les venins de la terre, Il la soulève en face de l'Europe, et la précipite contre les invasions des étrangers. »

Puis Machiavel exhorte le Prince à délivrer l'Italie, en des pages puissantes de lyrisme et de colère qui font presque oublier l'ignominie des moyens préconisés.

Pour Machiavel, le but à atteindre est tellement au dessus des contingences, que les moyens importent peu. Pour le Jésuite, la règle « la fin justifie les moyens », ne s'applique pas qu'à la gloire de Dieu, mais à tous les faits de l'existence. Le Jésuitisme n'est qu'une généralisation du Machiavélisme. 

A. LAPEYRE.