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MAGNÉTISME n. m. rad. magnétique (lat. magneticus, de magnes, vient du grec magnes (aimant), comme magnésie et magnésium.)

A : PHYSIQUE. Le magnétisme est connu depuis la plus haute antiquité. Le nom lui-même prend son origine dans les pierres magnésiennes (ou de magnésie) ou magnèles, pierres d'aimants naturels ayant la propriété d'attirer le fer, que l'on trouvait dans la région de la cité thessalienne de Magnésie (ancienne Grèce). Le terme de magnétisme désigne aujourd'hui tous les phénomènes d'aimantation et d'induction.

Ces phénomènes, très complexes, sont assez mal connus dans leurs origines premières et dans leurs causes initiales bien que leurs effets aient été longuement étudiés et observés et que les hypothèses explicatives ne manquent point.

Les phénomènes d'aimantation sont démontrés par la propriété des aimants et par l'action de la terre sur une aiguille aimantée. Si on promène une de ces aiguilles sur une pierre d'aimant taillée en sphère, on constate que cette aiguille subit deux sortes d'orientations : l'une tendant à placer son axe longitudinal dans le sens des méridiens ou longitudes de cette sphère en dirigeant la pointe aimantée vers un point où paraissent converger tous les méridiens et que l'on appelle pôle Nord par rapport au point opposé appelé pôle Sud ; l'autre orientation tend à faire varier horizontalité de l'aiguille qui, parallèle à la surface de la sphère à l'équateur, s'incline de plus en plus en approchant des pôles et devient verticale sur les pôles même. Le magnétisme terrestre est très variable à la surface du globe ; cette variation est séculaire, annuelle et diurne et les diverses positions de l'aiguille aimantée s'écartant plus ou moins des méridiens géographiques (ou axes idéals tracés d'un pôle à l'autre) indiquent la déclinaison magnétique. Il en est de même pour les variations de horizontalité appelée inclinaison.

D'autre part, on constate qu'en approchant un aimant d'un autre aimant suspendu les pôles de même nom se repoussent et que les pôles contraires s'attirent. Comme la sphère terrestre se comporte vis-à-vis de l'aiguille aimantée de la même façon que la pierre d'aimant ; comme la force d'attraction exercée sur l'aiguille ne peut ni la mouvoir d'un mouvement de translation qui tendrait à la déplacer toute entière vers les pôles, ainsi que le prouve l'immobilité d'un aimant léger placé sur du liège flottant sur l'eau ; ni la mouvoir d'un mouvement semblable à celui de la pesanteur, comme le démontre l'immobilité de la balance sur laquelle est placé un barreau d'acier avant et après son aimantation, on suppose que l'aimantation résulte de l'existence de deux forces égales et de sens contraires agissant d'un pôle à l'autre, ce qui justifie le déplacement oscillatoire de l'aiguille et son impossibilité de translation.

Les phénomènes d'induction sont produits par des champs magnétiques réalisés avec les aimants, principalement les aimants artificiels. Si l'on tamise de la fine limaille de fer sur une feuille de papier au-dessus d'un barreau aimanté, elle se répartit suivant certaines lignes, appelées lignes de force, allant d'un pôle à l'autre. Si l'aimant est en forme de fer à cheval ces lignes de force créent entre les deux pôles un champ magnétique lequel à la propriété de faire naître un courant électrique induit dans tout circuit métallique fermé plongé dans ce champ. Lorsqu'on le retire il se produit également un autre courant induit, mais de sens inverse du précédent. On voit qu'il faut qu'il y ait variation du champ magnétique pour engendrer un courant induit. Le même résultat est obtenu en éloignant ou en approchant un aimant d'un circuit fermé.

Les résultats pratiques de ces expériences constituent presque toutes les applications actuelles de l'électricité. Le magnétisme terrestre permet aux navigateurs de connaître à peu près leur situation et de trouver leur route à l'aide de boussoles très compliquées nécessitant quelques données astronomiques. Les phénomènes d'induction sont utilisés pour la construction des dynamos produisant du courant électrique obtenu en faisant tourner des circuits fermés, appelés induits, entre des électroaimants ; des moteurs qui sont des sortes de dynamos réversibles recevant du courant et fournissant de l'énergie mécanique ; des transformateurs créant des courants de haute ou basse tension ; etc., etc. Bien qu'il y ait d'autres moyens de l'obtenir pratiquement les phénomènes d'induction sont les seuls utilisés industriellement pour les grandes productions d'électricité.

B : ANIMAL. ‒ Sous le nom de magnétisme animal on désigne des états pathologiques connus depuis des temps très reculés mais observés seulement depuis quelque cinquante ans avec une certaine régularité. Au XVIème siècle un mélange curieux d'astrologie et de physique, utilisant les propriétés surprenantes des aimants, conçut diverses hypothèses dans lesquelles un fluide mystérieux, appelé fluide universel, fluide magnétique, esprit universel ou esprit vital, répandu dans l'univers, mettait en rapport tous les êtres et toutes les choses et constituait l'agent essentiel de tous les phénomènes. De l'abondance ou de la diminution de ce fluide résultait la santé ou la maladie et la thérapeutique consistait précisément en l'art de l'équilibrer ou de l'augmenter. On croyait même possible le traitement de toutes les maladies à distance ; c'était le traitement par sympathie. Quelques progrès scientifiques dissipèrent ces hypothèses chimériques mais deux siècles plus tard, vers 1780, l'allemand Mesmer, sorte de médecin-charlatan, les renouvela et entreprit des guérisons sur une vaste échelle au moyen de son fameux baquet fermé, rempli d'eau et de limaille de fer, d'où émergeaient des tiges de fer coudées, lesquelles distribuaient par leur contact le non moins fameux fluide sur les parties malades tandis que les patients attachés ensemble par une corde renforçaient ainsi l'intensité de la magnétisation. Un piano jouait des airs variés et appropriés aux circonstances. Cela fit beaucoup de bruit, tracassa les concurrents médecins et le gouvernement nomma cinq savants dont Franklin et Lavoisier et quatre médecins pour examiner de près cette nouvelle thérapeutique. Après de multiples et méthodiques expériences il fut décidé qu'il n'y avait aucun fluide, que l'imagination des malades constituait le fonds essentiel des faits observés et que les crises provenant du traitement étaient plus dangereuses que bienfaisantes. Un adepte de Mesmer, le marquis de Puységur, pratiquait vers cette époque une thérapeutique assez voisine de la sienne en provoquant un somnambulisme magnétique par attouchement avec une baguette de fer.

De nombreux observateurs s'occupèrent alors de ces phénomènes, les uns restant partisans du fluide magnétique, les autres croyant uniquement à la suggestion. Il serait trop long de faire l'historique de l'hypnotisme depuis cette époque mais les simulateurs l'ayant sérieusement discrédité, Charles Richet entreprit, vers 1880, de le défendre et de l'étudier plus scientifiquement. Deux écoles rivales s'occupèrent alors de la question. La première fut celle que dirigea Charcot à la Salpêtrière ; elle attribuait tous les faits de l'hypnotisme a des troubles organiques désorganisant les réflexes profonds. Cette thèse, appuyée par quelques démonstrations utilisant l'influence des aimants, se rapprochait quelque peu du vieux magnétisme animal. L'autre école créée par Bernheim à Nancy, faisait reposer entièrement l'hypnotisme sur la suggestion ou le pouvoir des idées. Les expériences et les observations ne donnèrent complètement raison ni à l'une ni à l'autre, bien que l'école de Nancy ait mieux compris la nature des faits.

Pierre Janet, qui a longuement étudié ces étranges modifications de la personnalité conclut à l'existence de désordres mentaux plus ou moins profonds. D'après ses observations Il ne serait ici nullement question de fluides mais de désagrégations psychologiques. Dans notre état normal toutes les parties du moi concourent à établir à chaque instant les relations exactes entre les diverses activités du subjectif et la réalité de l'objectif et a déterminer la meilleure adaptation de ce moi aux conditions extérieures. L'ensemble de ces actes psychiques constituent tous les faits de la pensée ; reconnaissance, appréciation, raisonnement, délibération, jugement, choix, détermination volontaire, etc., etc. Dans cet état normal il y a déjà des sortes de petites désagrégations de notre moi créant des distractions, des oublis, des tics, dans lesquelles une partie de notre moi n'est plus en relations avec le reste. Cela se produit également pendant le sommeil. Mais dans les cas vraiment pathologiques la désagrégation est nettement accusée. Le moi n'est plus une fonction synthétique reliant les images, les souvenirs du passé avec les perceptions présentes et les jugeant ; il est formé de sortes d'îlots isolés s'ignorant les uns les autres, de perceptions partielles déclenchant des réactions automatiques et fragmentaires séparées du reste de la personnalité comme dans les troubles connus sous le nom de catalepsie, perte ou dédoublement de personnalité, somnambulisme, insensibilité ou anesthésie, aboulie ou manque de volonté, paralysie, etc. Enfin le spiritisme lui-même ne serait, d'après Pierre Janet, qu'un des effets de la désagrégation mentale du médium.

C'est ainsi que, fondé d'abord sur une conception erronée, le magnétisme animal, par les recherches nombreuses qu'il a nécessitées dans la pathologie mentale, a grandement contribué à nous faire comprendre la complexité et la fragilité du moi et le déterminisme rigoureux de toute pensée. 

‒ IXIGREC.


MAGNÉTISME (ANIMAL)

Le magnétisme curatif fut connu dès la plus haute antiquité, et maints guérisseurs lui durent, au moyen-âge, d'être brûlés comme sorciers. Paracelse, Van Helmont, etc., avaient ouvert la voie où s'engagea Mesmer (1734-1815). Ce dernier admettait l'existence, chez l'homme, d'un fluide dont l'action était particulièrement puissante sur le système nerveux. On parla bientôt des cures merveilleuses, obtenues grâce aux méthodes qu'il préconisait ; le baquet mesmérien fit, tout ensemble, bien des enthousiastes et bien des incrédules. Mesmer resta sept ans à Paris ; fut l'objet d'un engouement énorme, puis dut s'éloigner, accusé de charlatanisme par les commissions scientifiques chargées d'examiner son système. C'est à Vienne et Munich qu'il s'était d'abord fait connaître ; et les déboires éprouvés en France ne l'empêchèrent pas de recruter des adeptes dans tous les pays d'Europe.

Avec Puységur, Deleuze, du Potet, l'abbé Faria, etc. le magnétisme perdra, peu à peu, ses allures mystérieuses pour devenir un objet de recherches rationnelles et positives. Braid (1795-1860), l'inventeur de l'hypnose, se bornera, quoi qu'il en pense, à produire par une autre méthode, des phénomènes que les vieux magnétiseurs connaissaient déjà. Durand de Gros, Durville, de Rochas, tout près de nous, furent de vrais savants, malgré les théories fort contestables qu'ils donnèrent pour expliquer des faits certains. Deux fois, en 1825 et 1837, l'Académie de médecine condamna le magnétisme ; mais, contradiction trop explicable lorsqu'on connaît les savants consacrés par l'État, elle admit l'hypnose, qui n'est que le magnétisme affublé d'un autre nom, et reçut parmi ses membres Charcot, (1825-1893) célèbre pour ses études sur l'hystérie et la suggestion.

Une querelle survenue entre l'école de Paris, dont le chef était Charcot, et l'école de Nancy, représentée surtout par les docteurs Bernheim, Beaunis, Liébault, mit l'hypnose à la mode, dans le monde des psychologues et des médecins. La première distinguait trois phases successives dans la grande hypnose : la catalepsie, la léthargie, le somnambulisme. Un bruit intense et inattendu, la fixation d'un objet brillant suffisent à produire la catalepsie. Dans cet état les muscles, restés très souples, conservent toutes les positions qu'on leur donne, même les plus incommodes. Gestes et physionomie s'harmonisent, d'ailleurs, automatiquement : lorsqu'on donne au visage une expression de colère, les membres prennent une attitude correspondante, et les mains se joignent, le recueillement s'imprime sur la face, quand on oblige le sujet à se mettre à genoux. Dans l'état léthargique, obtenu par la simple occlusion des paupières, intelligence, mémoire, conscience, tout paraît aboli. Mais la surexcitation du système névromusculaire est au paroxysme ; le plus léger frôlement détermine la contraction des muscles sous-jacents à la peau, même de ceux qui sont soustraits à l'empire de la volonté. Dans l'état somnambulique, troisième phase de l'hypnose, le sujet voit décupler sa force musculaire et l'acuité de ses sens, de la vue surtout et de l'ouïe. La suggestion favorisée par ce sommeil morbide, mais non constituée par lui, exerce alors une influence particulièrement efficace.

Au dire de l'école de Nancy, ces trois phases successives ne se rencontreraient que chez des individus savamment formés, et la suggestion suffirait à les expliquer. Si l'hypnose favorise la suggestibilité, elle est elle-même un effet de la suggestion. Alors que Charcot avait surtout mis en lumière les rapports de l'hystérie avec le somnambulisme, naturel ou provoqué, Bernheim a montré que la suggestion rend compte de presque tous les phénomènes hypnotiques. Elle fait comprendre pourquoi les anciens magnétiseurs ont cru à l'existence d'un fluide mystérieux et pourquoi des somnambules s'imaginèrent le percevoir. Elle fournit encore la clef de l'énigme, lorsqu'il s'agit de l'action des métaux ou des aimants sur les sujets hypnotisés. « Ce 'sont toujours, écrivait déjà Bertrand en 1823, les idées des magnétiseurs qui ont de l'influence sur les sensations des somnambules... les métaux, lorsque les magnétiseurs le veulent, ne doivent avoir aucun empire sur les personnes magnétisées, c'est l'idée qui les rend nuisibles ». Et pour prouver qu'il ne peut être question de fluide, mais seulement de « force d'imagination », le Dr Ordinaire, rappelait en 1850 qu'il avait obtenu « sans magnétisation préalable, l'insensibilité... la paralysie, l'ivresse, le délire, et cela sans avoir besoin d'endormir le sujet, simplement en disant « je veux. » »

On peut admettre que l'hypnose est de la même famille que le somnambulisme ; il y a entre eux la différence de l'art et de la nature : le premier est artificiel et le second spontané. Mouvements brusques et silencieux, gestes automatiques, bras pendants tête fixe, yeux généralement ouverts, paupières immobiles, voilà ce qui frappe chez le somnambule. Au mental, il se concentre sur un seul objet, il est en état de nono-idéisme. Ses sens sont fermés à toutes les impressions étrangères à son rêve, mais pour celles qui le concernent, ils peuvent atteindre un degré d'hyperesthésie extraordinaire. De plus le somnambule dont la mémoire est surexcitée parfois durant les crises ne conserve, réveillé, aucun souvenir de ce qu'il a pu faire ou dire pendant l'accès. D'où son étonnement lorsqu'on le réveille avec brusquerie, et son impossibilité d'expliquer la situation où il se trouve. Ces remarques sont applicables à l'hypnose. Des procédés nombreux permettent de la provoquer, chez les personnes prédisposées à ce genre de phénomènes. Les enfants sont d'ordinaire aisément hypnotisables ; de même les sujets atteints de certaines maladies nerveuses. Quelques individus sont rebelles ; quelques autres ont l'étoffe de parfaits somnambules. On connaît le système de passes employé par les magnétiseurs d'autrefois il est presque abandonné aujourd'hui. Regarder fixement le sujet fut longtemps à la mode ; mais il suffit que ce dernier concentre ses regards sur un objet brillant, un miroir à alouettes ou un bouchon de carafe par exemple. On peut aussi commander le sommeil en phrases impératives et frotter doucement les globes oculaires. En réalité c'est la monotonie d'une sensation ou la continuité de l'attention, jointe à l'idée qu'on va dormir, qui provoque le sommeil. Certaines personnes peuvent s'endormir elles-mêmes en fixant un point lumineux ; chez beaucoup un bruit monotone et prolongé aboutit au même résultat. Et les animaux sont hypnotisés par des procédés semblables : une poule le sera par la blancheur d'une ligne tracée à la craie ou par un balancement rythmique, quand sa tète est cachée sous son aile au préalable.

Innombrables sont les phénomènes produits par la suggestion, chez les hypnotisés. Parfois ils restent d'apparence cataleptique et consistent dans la répétition des actes et des paroles de l'interlocuteur. « Une jeune dame, somnambule, rapportait le Journal du magnétisme en 1849, mise en rapport avec une personne quelconque, devient immédiatement son sosie. Elle reflète les gestes, l'attitude, la voix et jusqu'aux paroles de ses interlocuteurs. Chante-t-on, rit-on, marche-t-on, elle fait immédiatement la même chose, et l'imitation est si parfaite et si prompte que l'on peut se tromper sur l'origine de l'action ». Des hallucinations extrêmement diverses seront aisément provoquées par les paroles du magnétiseur ; elles affecteront la sensibilité générale ou les sens particuliers à volonté. Sur une simple affirmation, le sujet entendra des chants, verra des fleurs, soulèvera des fardeaux qui n'existent que dans son imagination ; il grelottera en juillet si l'on déclare que la température est glaciale, mangera avec délices une betterave donnée pour du gâteau, boira sans répugnance un breuvage exécrable baptisé vin de choix, et trouvera une odeur suave à l'ammoniaque supposée parfum. « Au début de mes recherches sur le somnambulisme, écrit Pierre Janet, n'étant qu'à demi convaincu de la puissance de ces commandements, je commis l'étourderie grave de faire voir à une somnambule un tigre entrant dans la chambre. Ses mouvements convulsifs de terreur et les cris épouvantables qu'elle poussa m'ont appris qu'il fallait être plus prudent, et depuis je ne montre plus à l'imagination de ces personnes que de belles fleurs et des petits oiseaux. Mais si elles ne font plus de grands gestes de terreur, elles n'en font pas moins d'autres mouvements adaptés à ces spectacles plus doux : les unes, comme Marte, caressent doucement les petits oiseaux ; d'autres, comme Lucie, les saisissent vivement à deux mains pour les embrasser ; d'autres comme Léonie, qui se souvient de sa campagne, leur jettent du grain à la volée. » Il est facile de faire apparaître au sujet la Vierge, les Saints, le Christ en personne et, s'il est dévot, sa figure prend la physionomie inspirée, ses bras, son corps l'attitude extatique que les artistes donnent, en général, aux bienheureux. Le bon somnambule devient insensible : chatouillements, piqûres, décharges électriques mêmes le laissent indifférent.

Si le magnétiseur commande un acte ou une série d'actes, de lever les bras, de marcher, de courir par exemple, l'hypnotisé obéit fidèlement. Le geste à faire peut d'ailleurs être rattaché à un signal convenu, qui sera donné plus tard. « Je dis à Marie, écrit Pierre Janet : « Quand je frapperai dans mes mains, tu te lèveras et tu feras le tour de la chambre. » Elle a bien entendu et garde le souvenir de mon commandement, mais ne l'exécute pas de suite : je frappe dans mes mains et la voici qui se lève pour faire le tour de la chambre. » On contraindra le sujet à prendre les postures les plus incommodes, les plus drolatiques ; et c'est chose courante dans les exhibitions publiques. Pourrait-on lui faire accomplir un crime ? Plusieurs le pensent ; mais nous n'en sommes pas certain. Idées coutumières, tendances, habitudes subsistent, en général, chez l'hypnotisé ; quoi qu'on ait affirmé longtemps, il semble capable de résistance. Et le même qui acceptera dé simuler un assassinat en chambre, refuserait peut-être d'accomplir un meurtre pour de bon. Ce problème, qui passionna autrefois l'opinion, n'est pas encore résolu, croyons-nous.

Mais il est incontestablement possible de faire des suggestions posthypnotiques, et d'ordonner des actes que le patient n'exécutera qu'après son réveil. Actes dont l'accomplissement sera quelquefois reporté à plusieurs jours ou même à plusieurs mois de distance. Endormie dans l'inconscient, l'idée du geste à accomplir se réveillera, le moment venu, et le sujet obsédé, inquiet, obéira poussé par une impulsion dont il ne connaîtra pas l'origine. À l'heure dite il fera du feu, se mettra au lit, rendra une visite, écrira à telle personne, etc. « A. S..., dit Bernheim, j'ai fait dire, en somnambulisme, qu'il reviendrait me voir au bout de treize jours ; réveillé, il ne se souvient de rien. Le treizième jour, à dix heures, il était présent. » Deleuze, Charpignon, du Potet, et bien d'autres avaient depuis longtemps décrit ces phénomènes ; mais les savants officiels professaient un tel mépris pour le magnétisme animal qu'il fallut les travaux de Ch. Richet, en 1875, pour les faire admettre. Les suggestions posthypnotiques portent sur des hallucinations, même sur celles qu'on dénomme négatives, aussi bien que sur des actes. « Nous possédons en ce moment une somnambule, écrivait, en 1854, le Dr Perrier, chez laquelle l'insensibilité la plus parfaite et l'illusion du goût persistent pendant plusieurs heures à son retour à la vie normale. Avant de la réveiller nous émettons une volonté quelconque, et, à son réveil, elle éprouve toutes les hallucinations des sens que nous lui avons imposées. Un individu présent reste pour elle parfaitement invisible ; elle en voit un autre dont elle n'entend pas la voix ; un troisième la pince et elle ne le sent pas. Les liquides ont, dans sa bouche, la saveur que nous désirons ; l'ouïe perçoit les sons les plus variables. Ses perceptions se transforment comme les images de nos pensées. » Ajoutons que certains sujets se laissent persuader, en état d'hypnose, qu'ils ont vu tel événement, entendu telle parole, accompli tel acte ; et, après leur réveil, ce souvenir s'impose à leur esprit, sans qu'ils en puissent soupçonner la raison. C'est grâce aux suggestions posthypnotiques, que plusieurs ont compté sur le magnétisme pour corriger les enfants vicieux, les ivrognes, les déséquilibrés mentaux. Mais les résultats n'ont pas répondu à leurs espérances ; chez le grand nombre, le champ des suggestions efficaces reste très restreint. Le cerveau de l'hypnotisé n'est nullement la table rase, l'esprit vide de tendances et de pensées, que les premiers expérimentateurs avaient cru découvrir ; la puissance de dissimulation demeure étrangement forte d'ordinaire. Et l'hypnotiseur n'a point sur un sujet la toute-puissance que les romanciers lui prêtèrent pour corser leurs récits. De là une réaction, peut-être trop vive, concernant le magnétisme ; et son discrédit actuel parmi les psychologues et les médecins. Il s'est vu détrôné par la psychanalyse, qui permet d'explorer l'inconscient sans endormir la personne, mais ne fournit pas le moyen de décupler le pouvoir de la suggestion.

Ce pouvoir, dans l'hypnose, va parfois jusqu'à déterminer une modification de toute la personne ; d'une pauvre femme on fera un soldat, un archevêque, un marin, etc., qui joueront leur rôle avec une grande perfection. « J'ai dit à Mlle N... , écrivait Durand de Gros en 1860 : « Vous êtes un prédicateur. » Aussitôt ses mains se sont jointes, ses genoux se sont légèrement fléchis ; puis, la tête penchée en avant et les yeux tournés vers le ciel avec une expression de piété fervente, elle a prononcé lentement et d'un ton très ému quelques paroles d'exhortation. » Transformée en général, Léonie, un sujet de Pierre Janet, « se lève, tire un sabre et s'écrie : « En avant ! du courage !... sortez moi des rangs celui-là, il ne se tient pas bien... où est le colonel de ces hommes ?... allons, rangez-vous mieux que cela... oh ! la mitrailleuse, comme cela tonne... ces ennemis sont nombreux, mais ils ne sont pas organisés comme nous, ils ne sont pas à leur affaire, ah ! mais... » Elle tâte sa poitrine « mais oui... j'ai été décoré sur le champ de bataille pour la bonne tenue de mon régiment ». Et les comédies de ce genre, voisines, hélas ! de celles qui se jouent dans la réalité, peuvent être multipliées à l'infini ; elles seront plus ou moins remarquables selon la tournure et la force de l'imaginative chez l'hypnotisé.

Restent certains phénomènes peu fréquents, mais non moins naturels, quoi qu'en disent les prêtres des différentes religions. La vision à distance est du nombre ; un très bon somnambule décrira un événement qui se passe au loin, nous renseignera sur les occupations d'un ami, d'un parent. C'est chose rarissime ; dans ce domaine la supercherie règne en maîtresse ; l'adresse est prise pour du merveilleux, par des spectateurs simplistes. Aucune difficulté, d'ailleurs, pour expliquer les cas certains, sans recourir ni à dieu ni au diable. Il s'agit là de faits télépathiques, d'ondes nerveuses probablement qui, à l'instar d'une télégraphie sans fil, permettent à quelques cerveaux de communiquer entre eux directement.

Rien de surnaturel non plus dans les phénomènes organiques obtenus par suggestion. « Un magnétiseur, constatait déjà Charpignon, peut faire qu'une douleur fictive produise une trace de blessure ou qu'un sinapisme idéal rougisse la peau. » Les médecins savent combien de guérisons s'obtiennent avec de l'eau ou des pilules de mie de pain, baptisées de noms extraordinaires. De nombreux magnétiseurs sont parvenus à produire des plaies, qu'il est impossible de ne pas prendre pour des brûlures véritables ; et par la seule force de l'imagination des sinapismes inexistants provoquent un gonflement de la peau. « Ce gonflement de la peau, écrit Pierre Janet, est étroitement en rapport avec la pensée du somnambule ; d'abord il se produit à l'endroit qui a été désigné et non à un autre ; puis il affecte la forme que le sujet lui prête. Je dis un jour à Rose, qui souffrait de contractures hystériques à l'estomac, que je lui plaçais un sinapisme sur la région malade pour la guérir. Je constatais quelques heures plus tard une marque gonflée d'un rouge sombre ayant la forme d'un rectangle allongé, mais, détail singulier, dont aucun angle n'était marqué, car ils semblaient coupés nettement. Je fis la remarque que son sinapisme avait une forme étrange : « Vous ne savez donc pas, me dit-elle, que l'on coupe toujours les angles des papiers Rigollot pour que les coins ne fassent pas mal ? » L'idée préconçue de la forme du sinapisme avait déterminé la dimension et la forme de la rougeur. J'essayai alors un autre jour (les sinapismes de ce genre enlevaient très facilement ses contractures et ses points douloureux) de lui suggérer que je découpais un sinapisme en forme d'étoile à six branches ; la marque rouge eut exactement la forme que j'avais dite. Je commandai à Léonie un sinapisme sur la poitrine du côté gauche en forme d'un S pour lui enlever de l'asthme nerveux. Ma suggestion guérit parfaitement la malade et marqua sur la poitrine un grand S tout à fait net. » Nous saisissons, ici, le secret des stigmates portés par François d'Assise et plusieurs saintes, ainsi que celui des guérisons miraculeuses obtenues à Epidaure dans l'antiquité, sur la tombe du diacre Pâris au XVIIIème siècle, à Lourdes et dans les milieux théosophiques aujourd'hui. Un médecin suisse vient tout récemment de confirmer cette action thérapeutique de la pensée, non seulement lorsqu'il s'agit de maladies nerveuses, mais lorsqu'il s'agit d'affections manifestement organiques. Par la seule force de l'imagination, et sans recourir au sommeil hypnotique, il est parvenu à guérir un nombre prodigieux de verrues, jusque-là rebelles à toute médication. Ces petites tumeurs de la peau semblaient pourtant n'être soumises que très médiocrement à l'influence du système nerveux.

L'idée est une force, du moins lorsqu'à l'élément cognitif s'ajoutent des éléments d'affectivité : joie ou souffrance, désir ou répulsion. Elle tend à se réaliser, et se réalise en fait lorsqu'aucun obstacle ne l'empêche de se transformer en actes, en mouvement. De cette loi psychologique des vérifications expérimentales nous sont constamment données : lorsqu'on n'y prend garde, rire, bâillement, toux, accent sont contagieux, aussi la peur, l'enthousiasme et les autres émotions. La mode, en matière d'habits comme d'opinions, les multiples manifestations de l'esprit grégaire, l'imitation sous toutes ses formes sont autant de preuves nouvelles de la puissance de l'idée. Dans un troupeau de moutons, il suffit d'un fuyard pour déterminer une panique ; et les manifestations de joie ou d'irritation collective sont fréquentes chez les animaux. Le vertige a sa cause dans l'idée du vide ; les mouvements du pendule de Chevreul dans celles du nombre et de la direction pensés, ceux des tables tournantes ou frappantes dans la croyance des assistants ; on sait que la publicité repose sur la suggestion. C'est de la même façon que s'expliquent un très grand nombre de phénomènes magnétiques. Sans reconnaître à ces derniers l'importance excessive que leur attribua le XIXème siècle finissant, nous refusons de faire nôtre l'opinion de Delmas et Boll qui réduisent l'hypnotisme à une « simulation de sommeil somnambulique par mécanisme mythomaniaque ». Sujets et médiums sont quelquefois des mythomanes et des « menteurs constitutionnels » ; il serait faux de croire qu'ils le sont toujours. 

‒ L. BARBEDETTE.