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MAHOMÉTISME (ou ISLAMISME) n. m. (de Mahomet, forme occidentale de l'arabe Mohammed)

Sans parler des travers inhérents à toute religion, l'islamisme a répandu trop de sang, fait verser trop de larmes pour que nous prenions sa défense. Pourtant l'on doit reconnaître que les auteurs occidentaux, ceux qu'anime la mauvaise foi catholique surtout, se montrent en général d'une partialité insigne lorsqu'ils parlent de Mahomet, de sa personne ou de son enseignement. Accusations injustifiées, mensonges, calomnies foisonnent sous leur plume ; contre le concurrent arabe de Jésus-Christ ils font flèche de tout bois. Alors que nous manquons de documents authentiques concernant le Christ et qu'il est même permis de douter de son existence effective, nous possédons sur le fondateur de l'islamisme des renseignements absolument certains. Sa bonne foi ne saurait être mise en doute. Impressionnable au point de se trouver mal en respirant certaines odeurs, il était sujet à de violentes crises nerveuses qu'il tenait de sa mère. Halluciné, comme tant de mystiques chrétiens, il crut sincèrement voir des anges, entendre des voix. Ses préoccupations religieuses l'avaient conduit à s'affilier aux Hânijs, secte de dévots dissidents qui priaient, jeûnaient, se privaient de vin et voulaient remplacer le polythéïsme arabe par le culte d'un dieu unique. Mais il fut épouvanté et se crut possédé d'un djinn, quand un ange (il sut plus tard que c'était Gabriel) lui révéla pour la première fois sa mission en 611. La vision, semble-t-il, eut lieu pendant son sommeil, alors que, retiré dans la solitude du mont Hira, il se livrait à des jeûnes et à des méditations qui surexcitaient son cerveau. Fort simple, bon pour les femmes, les pauvres, les animaux, Mahomet ou mieux Mohammed, n'était ni orgueilleux, ni vaniteux ; et, bien que le prophétisme fut chose assez courante chez les sémites, il s'estimait indigne d'être choisi par Dieu. Ses scrupules devinrent tels, malgré les encouragements de sa femme Khadidja, qu'il songea au suicide. Mais, trois ans plus tard, les visions reparurent et en plein jour la voix de Gabriel avait toujours le même timbre ; Mahomet la percevait à travers un bourdonnement comparable, disait-il, à la grosse clochette du chameau qui marche en tête d'une caravane : « Tu es le prophète du Seigneur », disait l'envoyé céleste. A la fin, il se persuada de la vérité de sa mission et les longs déboires du début, les moqueries et les persécutions qu'il devra subir ne parviendront pas il ébranler sa conviction. On le traita de fou et de charlatan, on lui jeta des pierres, on lui cracha au visage ; ce fut en vain, Et après les triomphes qui suivront, lorsqu'il aura savouré les joies de la toute-puissance, sa mort témoignera encore de sa sincérité. Sentant qu'il était perdu, il s'en vint à la mosquée pour déclarer au peuple : « O vous qui m'écoutez, si j'ai frappé quelqu'un sur le dos, qu'il me frappe. Si j'ai blessé la réputation de quelqu'un qu'il m'injurie. Si j'ai pris de l'argent à quelqu'un qu'il se paye ». Et il fit indemniser aussitôt un homme qui lui réclamait le paiement d'une petite somme. Sauf les trois derniers jours où son état ne le permit plus, il continua de prier en présence du peuple.

Mais Mahomet ignora absolument la tolérance ; aussi cruel que le clergé catholique du moyen-âge il voulut imposer sa doctrine par la force. Contre les adorateurs des idoles, les païens, il fut féroce ; mieux disposé à l'égard des juifs et des chrétiens « détenteurs d'Ecritures », il persécutera pourtant les premiers, « des ânes chargés de livres », parce qu'ils l'accusaient, non sans raison, de plagier la Bible. Fort modéré dans sa conduite ordinaire, il perdait toute mesure dès qu'il s'agissait d'infidèles refusant d'admettre son enseignement. « Combattez, dira-t-il, ceux qui ne croient pas à Dieu et au Jour Dernier. Si vous ne marchez pas au combat, Dieu vous en demandera un compte sévère. Il mettra un autre peuple à votre place ». Le djihad, la guerre sainte, est particulièrement agréable à Allah : « Le paradis est à l'ombre des épées. Les fatigues de la guerre sont plus méritoires que le jeûne, la prière et les autres pratiques de la religion. Les braves tombés sur le champ de bataille montent au ciel comme des martyrs ». On voit combien l'islamisme se rapproche de l'Église romaine, à ce point de vue. Ne lit-on pas dans Saint Thomas d'Aquin : « L'hérétique est pire qu'un chien enragé et doit comme lui être abattu ! » Croisades chrétiennes et atrocités de l'Inquisition constituent le digne pendant des brutalités musulmanes. Lors de sa guerre contre les mecquois, le prophète arabe se comporta en brigand ; il fit massacrer tous les hommes d'une tribu juive et réduisit en esclavage les femmes et les enfants ; après le combat de Deür, il mit à mort des prisonniers et, à l'un d'eux qui lui demandait angoissé : « Qui prendra soin de mes enfants ? », il répondit implacable : « Le feu de l'enfer ! » S'il amnistia presque tous ses ennemis, après la prise de la Mecque, ce fut par calcul, afin d'assurer la soumission rapide du reste de l'Arabie. Sur son lit d'agonie, il donnait encore des instructions à ses lieutenants pour l'expédition militaire de Syrie ; il fut l'inspirateur de la politique de conquête que les Arabes suivront après sa mort.

On sait que la doctrine de Mahomet est contenue dans le Coran (voyez ce mot), recueil des paroles et des discours que ses disciples transcrivirent de suite avec un soin pieux ou gardèrent fidèlement dans leur mémoire. La première édition parut en 633, sous le khalifat d'Abou Bekr, et le texte définitif en 659, sous celui d'Othman. C'est une œuvre de bonne foi, dont l'authenticité ne peut être mise en doute, au moins pour l'ensemble. Au point de vue littéraire les appréciations portées à son sujet sont contradictoires. Salomon Relnach le qualifie de pauvre livre : « Déclamations, répétitions, banalités, manque de logique et de suite dans les idées y frappent à chaque pas le lecteur non prévenu. Il est humiliant pour l'esprit humain que cette médiocre littérature ait été l'objet d'innombrables commentaires et que des millions d'hommes perdent encore leur temps à s'en imprégner ». Barthélémy Saint-Hilaire émet un jugement tout opposé : « C'est, d'après lui, le chef-d'œuvre incomparable de la langue arabe, et ses qualités littéraires ont contribué à l'influence inouïe qu'il a exercée. On a cru d'autant mieux qu'il était la parole de Dieu, que jamais encore homme parmi les Arabes n'avait fait entendre de tels accents ». Quoi qu'il en soit, l'éloquence naturelle de Mahomet fut admirée de ses adversaires comme de ses amis. « Son art, disaient les premiers, ne consiste que dans sa parole insinuante » ; et l'un de ses fidèles déclarera, après l'avoir entendu pour la première fois : « Mahomet parle comme je n'ai jamais entendu parler personne. Ce n' est ni de la poésie, ni de la prose, ni du langage magique ; mais c'est quelque chose qui pénètre et remue ». Certaines conversions fameuses, celle d'Omar et du poète Lebid par exemple, furent dues au charme de ses harangues. A ceux qui lui demanderont un signe, une preuve de sa mission divine, le prophète n'hésitera pas il répondre : « Écoutez la pureté de ma langue ! » Et, craignant une concurrence dangereuse pour son prestige, il ira jusqu'à faire assassiner poètes et poétesses, ses ennemis. Mais les discours perdent généralement à être lus ; l'écriture ne parvenant à rendre ni l'accent, ni le geste, ni l'émotion vivante qui, chez l'orateur, accompagnait le texte. Ceci est particulièrement vrai de la prose rythmée, aux phrases très courtes, que parlait Mahomet. Aujourd'hui le Coran a perdu de son charme, il est souvent d'une lecture difficile ; mais, d'après les arabisants, ses strophes bien déclamées seraient encore fort agréables ; au moins en dialecte ancien, car à leur avis elles perdent leur saveur dès qu'on les traduit en français.

Outre le Coran, de nombreux musulmans, les Sunnites, admettent la Sunna « la Tradition », recueil de renseignements et de commentaires, donnés par les premiers disciples de Mahomet et transmis d'abord oralement. Ils ne furent recueillis et rédigés que deux siècles plus tard ; avec de nombreux traits concernant la vie du prophète et celle de ses compagnons, ils contiennent des explications capables d'éclairer le texte du Coran. Autour des traditions prophétiques les plus cohérentes, celles dont le dogme a le moins varié et qui constituent jurisprudence en matière religieuse, se sont groupées quatre grandes sectes ayant leur zone d'influence. Le « rit hanafite " prévaut en Orient et le malékite en Afrique du Nord, (c'est à lui que se rattachent les musulmans de l'Algérie). En Égypte, c'est le chafaïte et, en Syrie et en Arabie, le hanbalite. La véritable force de la société islamique réside davantage dans le prestige mystérieux qui enveloppe les confréries mystiques que dans son « clergé » ou sa magistrature. Ce sont ces « théocraties », analogues aux « prophètes de la synagogue » du royaume d'Israël qui s'opposent irréductiblement aux ulémas. Leur développement fut parallèle à celui de la théologie émanant des sectes dissidentes.
    Nombreuses furent (on le verra plus loin) les branches hérétiques. On les divise en huit classes principales, subdivisées elles-mêmes en soixante-douze fractions. Une des plus considérables parmi ces hérésies fut celle des schiites. Les musulmans schiites, tels ceux de Perse, rejettent absolument la Sunna. Ajoutons qu'il existe plusieurs biographies de Mahomet écrites en arabe, qui ne font point partie des livres sacrés admis par les églises musulmanes. Très prolixes en détails minutieux, elles inspirent cependant la défiance par la place qu'elles accordent au merveilleux: intervention des anges, prédictions, etc.

« Allah est le seul Dieu et Mahomet est son prophète ! » tel fut le credo de l'Islam. Peu spéculatif, il n'a pas multiplié les dogmes à plaisir comme le catholicisme romain. Dieu est un, éternel, tout-puissant ; ses décrets sont éternels comme lui et sa volonté immuable ne saurait être modifiée même par la prière. Or rien ne peut se faire sans Allah, puisque sa puissance divine est illimitée ; toutes les actions humaines sont prévues par lui : « Tout est écrit d'avance. L'homme porte son destin suspendu à son cou ». D'où la doctrine du fatalisme absolu ; et la nécessité pour le croyant de se soumettre sans murmures inutiles ; islam signifie en arabe résignation totale à la volonté de Dieu. « C'était écrit! » ou « Allah est grand ! » voilà le cri du pieux Musulman, même s'il subit un sort qu'il ne méritait pas. Entre Dieu et les hommes existent des êtres intermédiaires, les anges et les djinn ; les premiers, dont le corps est composé d'un feu subtil, n'ont pas de sexe et n'éprouvent aucun de nos besoins. Ils adorent Allah de manière constante ; chaque homme en a deux à ses côtes, qui notent, l'un ses actions bonnes, l'autre ses actions mauvaises. Pour avoir refusé de saluer Adam, Iblis et les anges qui le suivirent dans sa révolte furent maudits par le tout-puissant. Quant aux djinn ou génies, si chers aux arabes avant la prédication de Mahomet, il en est de mâles et de femelles, d'hérétiques et de musulmans. Création du monde et chute du premier homme sont racontées d'après la Bible, avec des variantes néanmoins. Pour communiquer ses volontés Dieu se sert des prophètes : Noé, Abraham, Moïse, Jésus, furent du nombre. Mais Mahomet, le dernier, leur est supérieur à tous, car il apporte la vérité entière, alors que ses prédécesseurs n'en purent communiquer que de faibles parcelles. Avec lui la série des prophètes est close définitivement, les hommes n'ayant plus rien à apprendre. Seulement Mahomet ne se donna jamais pour une incarnation divine, pour un fils d'Allah descendu sur terre.

En dehors des moments où l'archange Gabriel l'inspirait, il restait un arabe ordinaire, soumis à la tentation, sujet au péché et, comme les autres, destiné à mourir.

L'âme humaine est immortelle ; jugée par Dieu, elle va au ciel ou en enfer, suivant qu'elle a bien ou mal agi. Aux enseignements du prophète, ses disciples ajoutèrent de nombreuses précisions. Après la mort, l'âme doit passer, au-dessus de l'enfer, par un pont « mince comme un cheveu et tranchant comme le fil d'une épée ». Les pécheurs trébuchent et tombent ; sans autre nourriture que des ronces, ils rôtissent sur un feu ardent et, pour que le supplice se renouvelle sans répit, ils sont munis d'une peau neuve chaque fois que l'ancienne est brûlée. Du moins l'enfer n'est pas éternel, sauf pour les infidèles ; les musulmans n'y restent que le temps d'expier leurs forfaits. De là, ils gagnent le paradis où quelques justes parviennent à se faire admettre du premier coup. « La paix éternelle et l'éternelle joie » règnent dans ce séjour enchanteur où coulent des rivières de lait, de vin et de miel, où les arbres touffus inclinent leurs branches pour que le promeneur en cueille commodément les fruits. Vêtus de brocart et de satin vert brodé, couverts de bijoux, les élus s'attablent près de fontaines jaillissantes, dans des jardins ombreux, avec des houris charmantes ; et des serviteurs nombreux, des échansons portant coupes ou gobelets d'un breuvage exquis, s'empressent à leur moindre désir. La résurrection des corps fut formellement enseignée par Mahomet ; toutefois, dépassant ces plaisirs vulgaires les plus sages ont la joie « de voir la face de Dieu matin et soir », Judaïsme et Christianisme ont fourni, on le voit, de nombreux éléments à la dogmatique musulmane ; ce n'est pas par l'originalité que valent les conceptions doctrinales du prophète, c'est par une simplicité qui les rendit accessibles aux esprits les moins cultivés.

Même simplicité en matière de prescriptions rituelles et morales. Un khalife comme chef suprême, que la communauté des fidèles a le droit de prendre n'importe où d'après les sunnites ; qui, d'après les schiites, doit être nécessairement de la famille de Mahomet. Ce dernier en mourant ne désigna pas son successeur ; c'est à propos d'Ali, son gendre, exclu du khalifat, que ces divergences doctrinales éclatèrent. Point de clergé, mais un simple directeur des prières : l'iman, dont la présence à la mosquée n'est d'ailleurs pas indispensable, et un muezzin pour annoncer l'heure de la prière. Cinq fois par jour le musulman doit prier. Après des ablutions sur les mains, les avant-bras, le visage et les pieds ; avec de l'eau autant que possible, avec du sable s'il est au désert, il se tourne dans la direction de la Mecque, s'incline puis se prosterne, en récitant les formules consacrées. Pendant trente jours consécutifs, chaque année, à partir de quatorze ans, il s'abstient de manger, boire et fumer, depuis le matin « dès que la lumière suffit pour distinguer un fil blanc d'un fil noir », jusqu'au coucher du soleil ; c'est le jeûne du mois de Rhamadan (voir jeûne) qui rappelle l'époque où le prophète eut ses premières visions. Seuls les malades en sont dispensés, mais avec obligation de faire un jeûne de trente jours, dès qu'ils seront rétablis. « L'odeur de la bouche qui jeûne est plus agréable à Dieu que celle du musc ». Ajoutons que les rigueurs du Rhamadan sont adoucies par les plantureux repas absorbés de la tombée de la nuit au lever de l'aurore. Une fois dans sa vie, le musulman doit se rendre à la Mecque. Il y tourne sept fois autour de la Kaaba, suivant une coutume que Mahomet trouva établie ; et, après- s'être fait raser entièrement la tête, en récitant des prières se rend sur une montagne à dix-sept kilomètres de la ville sainte, pour entendre un sermon. Le fondateur de l'Islam, qui lui-même avait connu la pauvreté, témoigne d'une sollicitude particulière à l'égard des pauvres: « Vous n'atteindrez à la piété parfaite, disait-il, que lorsque vous aurez fait l'aumône de ce que vous chérissez le plus. Faites l'aumône de jour, faites-là de nuit, en public, en secret. Tout ce que vous aurez donné, Dieu le saura ». Et dans l'insistance qu'il mit à plaider la cause des orphelins, le souvenir des souffrances endurées dans son enfance, lorsqu'il eut perdu ses parents, fut sans doute pour quelque chose. Les musulmans distinguent deux sortes d'aumônes, l'une volontaire et l'autre légale ; cette dernière, véritable impôt, est destinée à soulager les croyants pauvres et à subventionner les entreprises religieuses, la guerre sainte en particulier. Bien que le Coran ne parle pas de la circoncision, elle est pratiquée par tous les fidèles, Dieu l'ayant ordonnée dans une révélation antérieure. Mahomet réduisit à quatre le nombre des femmes légitimes, mais il reçut de Gabriel la permission expresse de ne point suivre la loi commune et, Khadidjâ morte, il se constitua un harem bien peuplé. Ignorante, à demi-esclave, tenue de se voiler en public, la femme fut en outre presque éloignée du culte ; la religion musulmane s'adresse spécialement aux hommes, différente en cela de la catholique qui, tout en excluant les dames du sacerdoce, voit en elles ses ouailles de prédilection. Aujourd'hui du moins, car on sait que Saint Paul leur défendait vertement d'élever la voix dans les assemblées chrétiennes, et qu'un grave concile délibéra longtemps pour savoir si elles possédaient une âme à l'instar de leurs compagnons masculins. Pour limiter les divorces, le fondateur de l'Islam imposa au mari l'obligation de rendre la dot. Il défendit au père de tuer ses enfants et d'enterrer ses filles vivantes, selon une habitude arabe consacrée par la tradition. Mensonge, calomnie, orgueil, vol, avarice, etc., furent rangés parmi les vices comme chez les juifs et les chrétiens ; le vin et les boissons fermentées en général, la viande de porc, les jeux de hasard furent prohibés ; afin d'éviter un retour possible à l'idolâtrie, peintres et sculpteurs durent s'abstenir de représenter la figure humaine. Mahomet ne supprima pas l'esclavage, mais il en atténua les rigueurs et tendit même à le faire disparaître : « Dieu n'a rien créé déclarait-il, qu'il aime mieux que l'émancipation des esclaves ». En morale, il n'innova pas ; il emprunta aux religions déjà existantes et fit de nombreuses concessions aux mœurs arabes ; toutefois, si l'on excepte les prescriptions relatives à la guerre sainte, il s'efforça d'introduire plus de douceur dans des coutumes souvent atroces. Le Coran servit de code civil aux musulmans ; il devint l'inspirateur de leur jurisprudence, la base essentielle de leur législation civile et criminelle. Aujourd'hui encore, les indigènes d'Algérie, de Tunisie et du Maroc sont jugés d'après ses prescriptions.

A côté de ses légistes l'Islam eut ses théologiens, dont les principaux furent les « maîtres de la Tradition ». L'un d'eux Bokhâri, mort en 870, réduisit les 600.000 « Nouvelles » proposées avant lui à 7275 anecdotes dignes d'être crues. Ces théologiens défendirent le mahométisme orthodoxe contre ses déviations hérétiques ou schismatiques. Ils répondirent aussi aux attaques chrétiennes ; et l'on sait quel éclat jettera la civilisation arabe. Mahomet n'avait rien du contempteur de la science que les occidentaux ont supposé : « Enseignez la science, lit-on dans le Coran ; qui en parle loue le Seigneur ; qui dispute pour elle livre un combat sacré ; qui la répand distribue l'aumône aux ignorants. La science éclaire le chemin du paradis. Elle est le remède contre les infirmités de l'ignorance, un fanal consolateur dans la nuit de l'injustice. L'étude des lettres vaut le jeûne et leur enseignement vaut la prière ». En conséquence d'importantes universités, de riches bibliothèques furent créées dans les divers pays musulmans. Pas davantage les peuples vaincus par les arabes ne furent convertis de force ou massacrés. S'ils acceptaient l'islam, ils devenaient de droit les égaux du vainqueur ; s'ils refusaient, ils conservaient néanmoins leurs terres, à condition de payer une capitation pour leur personne et un tribut pour leurs biens. On exigeait encore que les non-musulmans s'abstiennent de boire du vin et de réciter leurs prières en public, qu'ils portent un costume spécial et ne laissent pas voir leurs porcs. Mais, chose plus grave, ils ne pouvaient presque jamais obtenir justice contre un fidèle de Mahomet, tant il est vrai que toute religion garde une âme de persécutrice, même lorsqu'elle affecte des dehors bienveillants. Et, comme on les pressurait souvent, les conversions devinrent innombrables. Reconnaissons toutefois qu'en fait de crimes, les musulmans n'atteignaient généralement pas à la hauteur des chrétiens. Quand il prit Jérusalem, en 636, Omar assura le libre exercice de leur culte aux juifs et aux chrétiens; il garantit la sécurité de leurs personnes et ne les spolia pas de leurs biens. En moins de huit jours, au contraire, Godefroy de Bouillon et ses croisés, maîtres de la Ville Sainte exterminèrent 70.000 juifs ou mahométans.

Hérésies et schismes, nous l'avons dit, abondèrent dans l'Islam, comme dans toutes les religions. A côté des sunnites ou orthodoxes, il y eut bientôt les schiites qui se rattachaient au gendre de Mahomet, Ali. Officiellement les maîtres en Perse depuis 1499, ils ont aussi beaucoup de partisans dans l'Inde. Moins rigides en ce qui concerne l'usage du vin et la représentation des êtres vivants, ils rejettent la Sunna, et tendent souvent vers un panthéisme plus ou moins voilé. Eux-mêmes donnèrent naissance à des sectes nouvelles : les Ismaïliens presque libres-penseurs ; les Druses qui ne s'accordent ni avec les chrétiens, ni avec les autres musulmans, etc. Les Suffites, dont l'origine remonte à Rabia, une femme morte vers 700, sont des mystiques pour qui l'âme est une émanation de Dieu et qui rêvent d'un retour à lui par la voie de l'amour. Ils devinrent assez nombreux en Perse à partir du IXe siècle et fondèrent des couvents. Au sein de l'islamisme orthodoxe, des tentatives de réforme ont eu lieu également : les Motazilites voulaient purifier la religion ; les Wahhabites s'insurgeaient contre le relâchement des mœurs, ainsi que contre le culte des saints et des reliques. Ils s'emparèrent de la Mecque au début du XIXe, mais furent vaincus en 1818 par Méhémet-Ali agissant au nom du Sultan. On ne peut donner même une simple liste de toutes les sectes soit sunnites, soit schiites. Rappelons seulement qu'une confession nouvelle, le Bâbisme, fut prêchée en Perse, à partir de 1840, par le réformateur Madhi el Bâb que l'on fusilla en 1850, mais dont l'œuvre fut continuée par des disciples enthousiastes, les babistes, nombreux malgré les persécutions qu'ils ont eu à subir, réclament l'admission des femmes aux cérémonies du culte, la suppression de la polygamie et du voile, des mesures en faveur des pauvres et des opprimés. Par ailleurs les « Jeunes Turcs », qui en 1908, mirent fin au règne abominable d'Abd-ul-Hamid, cherchèrent à concilier la civilisation moderne et le Coran. Sous le gouvernement de Mustapha-Kemal des transformations religieuses autrement profondes sont survenues. En 1924, l'Assemblée nationale supprima le khalifat ; elle décréta encore la séparation de la religion et de l'État. Aujourd'hui le mariage est laïcisé en Turquie ; la polygamie est interdite ; et les écoles donnent un enseignement d'inspiration rationaliste. Pourtant l'Islam n'a pas dit son dernier mot dans l'histoire du monde ; il compte plus de deux cent millions d'adhérents et ne cesse de faire des progrès du côté de l'Inde, ainsi qu'en Afrique. En Europe les préventions anciennes contre le prophète de Médine sont en voie de disparition ; à beaucoup sa doctrine n'apparaît pas plus absurde que celle de Jésus-Christ, et une mosquée s'élève actuellement en plein Paris.

Peu-être l'Islam doit-il, pour une bonne part, à ses confréries l'activité conquérante dont il est toujours animé. A l'exemple des moines chrétiens ou buddhistes, de dévots musulmans entreprirent, de sauver leur âme à tout prix en s'imposant des prières surérogatoires et en réchauffant le zèle des croyants. D'où les ordres religieux ou confréries qui cachèrent leurs visées politiques sous le manteau d'un mysticisme désintéressé, absolument comme chez les catholiques romains. Et leur influence devint telle, que généralement les pouvoirs publics n'osèrent leur résister ; leur nombre aussi s'accrut démesurément. Chacune possède un supérieur général ; au-dessous, des moqaddem ou prieurs dirigent les groupes provinciaux et confèrent l'initiation dans la contrée qu'ils gouvernent ; puis viennent les khouans ou frères. Tous les membres de l'ordre se doivent aide mutuelle et protection ; ils appartiennent au chef, corps et âme. Ce dernier réunit les moqaddem, une ou deux fois l'an, pour arrêter les décisions importantes que l'on communique ensuite aux khouans. Les plus curieuses de ces confréries, mais non les plus influentes, sont celles des derviches, appelés jadis safis ou fakirs. Après un long noviciat et de pénibles épreuves, les derviches font vœu de pauvreté, de chasteté et d'humilité, puis reçoivent une initiation particulière du supérieur ou cheik. Ils mendieront ensuite pour leur couvent et prêcheront sur les places publiques. Les derviches tourneurs, dont la maison-mère est à Konieh, possèdent un monastère dans le faubourg de Péra et se livrent publiquement à des danses sacrées, le mardi et le vendredi. Après une procession solennelle et un salut au cheik, ils tournent avec une adresse étonnante et une volubilité extrême, au son du tambourin et de divers instruments. Quant aux derviches hurleurs, ils arrivent à l'anesthésie cataleptique par des invocations répétées à leur fondateur, Mahomed-ben-Aïssa, des cris suraigus, et des oscillations rapides de la tête au-dessus d'une cassolette où brûle du benjoin. Et lorsqu'ils sont arrivés au paroxysme de l'exaltation, ils se transpercent les joues, se labourent le corps, lèchent des fers rougis, tiennent des charbons allumés entre les dents, accomplissent mille tours que le vulgaire qualifie miracles, mais que le savant explique par les seules forces du système nerveux et de la suggestion.

Comme les autres religions, le mahométisme aboutit aux manifestations maladives d'un mysticisme délirant. Dominer les corps, détruire les âmes, voilà le résultat indéniable auquel parviennent sectes et Églises qui se réclament d'une divine révélation. Moïse, Buddha, Jésus, Mahomet, Allan Kardec, Krishnamurti apportèrent aux hommes des chaines intellectuelles ; ce furent de faux prophètes, des dieux inconsistants, soit volontairement trompeurs, soit trompés eux-mêmes. 

L. BARBEDETTE.