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MALCHANCE (et CHANCE) n. f. de mal et chance

« Le mot chance, chéance, kéance, kéanche (latin cadencia, de cadere, choir) était d'abord un terme du jeu de dés et signifiait le point que donne un dé en tombant (chéant) sur la table, ou bien encore un coup de dé » (Larousse). Sens général : probabilité unilatérale, bonne fortune, succès, tournure privilégiée des événements, attribués au « hasard », aux coïncidences, à l'intervention d'une force protectrice (naissance, signe astral, protection divine, etc.). Voir les mots hasard, jeu, préjugés, religions et religiosité, superstitions, etc. La malchance correspond aux états et aux situations contraires : circonstances hostiles, dénouements adverses, accidents regardés comme malheureux. Plus encore que la chance, la « malchance » saisit l'esprit de ses croyants ; elle leur inspire comme une inquiétude permanente, les frappe de prostration découragée, les incline au fatalisme. Qu'il s'agisse de chance ou de malchance, nous sommes évidemment en présence d'un tri tendancieux de cas fortuits et de déductions qui procèdent des superstitions générales engendrées par la faiblesse, la crédulité et l'ignorance.

Il est logique que les hommes qui s'aventurent dans le tournoi périlleux de la Société contemporaine, de ce capitalisme qui ne doit son pseudo-équilibre qu'au déplacement, calculé et méthodique, des « chances » dont il connait et manie les directives, soient plus souvent des « chançards » et des « malchançards » que ceux qui s'évadent et vivent harmonieusement en la Nature.

Si les mots chance et malchance étaient pris dans le sens exact de leur étymologie, on les confondrait littéralement. En effet, combien de gens prennent pour malchance des épreuves salutaires à l'enseignement de la vie, et qui sont ainsi de véritables chances. Inversement, des chances entraînent à des conséquences désastreuses pour la conscience et l'avenir de ceux qui en sont les privilégiés les plus enviés.

Chance et malchance veulent exprimer la probabilité de réussite, l'alternative ; c'est le coup du hasard, le coup de dés et cependant bien que, ainsi entendu, l'homme demeure étranger à l'issue envisagée, on emploie couramment les expression suivantes : Cela est soumis à bien des chances ‒ Rendre les chances égales ‒ Si nous n'amenons pas toutes les chances à nous ‒ Quand on a les chances contre soi ‒ Calculer les chances ‒ On va tenter la chance, etc.

Si la chance et la malchance sont coup de dés, comment peut-on la calculer ? Comment peut-on entreprendre de l'amener TOUTE à soi ? Avoir les chances contre soi, c'est les distinguer, les identifier ; tenter la chance, c'est en connaître la nature. C'est un peu ce qui se passe dans les sociétés de « veinards », les sociétés d'hommes les plus austères, les plus rigides, les plus imposantes, se réclamant de quelque église ou politique que ce soit, véritables syndicats de garantie contre les coups d'un destin, (dont ils sont les maîtres !) De peur d'être victimes, ces hommes s'assurent des concours d'influences et d'intérêts, plus ou moins honnêtes, laissant bien loin derrière eux les scrupules enseignés par l'idéal dont ils se réclament. Ils organisent avant tout leurs chances. En somme, toute la morale contemporaine des chançards et des malchançards se tient en ces expressions de l'égoïsme le plus étroit et le moins pacifiste : amener la chance qu'il leur faut, calculer et favoriser la chance (la leur), tourner la chance contre autrui...

Pour nous la malchance, chez nombre de gens, peu clairvoyants, c'est l'épreuve ; la malchance, c'est la nature par trop rudoyée, la justice naturelle méprisée, fixant leurs inéluctables arrêts ; la malchance, c'est l'effet de quelques trahisons envers soi ou envers autrui ; la malchance, c'est la perte de l'appétit après avoir violenté son organisme ; la malchance, c'est être obligé de servir la guerre, corollaire d'une avidité générale ; c'est de payer son tribut de douleur et de déchéance à tous ces faux besoins tels que : Alcool, boissons fermentées, tabac, café, thé, opium, « coco », et aussi l'or, le luxe, les pierreries et tous les hochets, souvent homicides, de la vanité ; la malchance, c'est le total d'une addition de petits mensonges, de dissimulations, de cachotteries envers les petits qui, le plus innocemment du monde, deviennent des mauvais courriers ; la malchance, c'est tomber sous le bistouri du chirurgien après avoir armé le bras du boucher ; la malchance, c'est avoir des mauvais fils, au sang corrompu, après les avoir intoxiqués ou nicotinisés jusqu'aux moelles par une alimentation malsaine et des médicaments par dessus le tout ; la malchance, c'est se voir livré à l'exploitation à vie, pour contenter des vices ou des passions qui s'opposent à la liberté et justifient les parasites, les fraudeurs et leurs juges ; la malchance, c'est refuser son secours aux misérables qui, laissés sans soins, peuvent semer l'épouvante en étendant leurs purulences sur le reste de l'humanité ; la malchance, c'est l'hôpital après la ripaille, indigente ou dorée ; c'est la prison après les performances de l'arrivisme tragique ; c'est la mort stupide après avoir méprisé la vie et l'oubli pour n'avoir jamais existé.

Celui qui ne veut être servi que par ceux qu'il sert lui-même et ne veut connaître de trahisons que celles qu'il avait prévues, après avoir travaillé pour les rendre moins indignes, ne connaît pas la malchance. 

‒ L. RIMBAULT.